(Suite de l’épisode précédent).
Et tout d’abord, une petite devinette : "Quelle est la différence entre un moteur et un médecin ?
Réponse : Aucune. Ils sont tous les deux prescripteurs." (applaudissements, rires enregistrés, merci)
Bien, et maintenant les choses sérieuses.
L’intérêt de nos chers moteurs pour la médecine en général, et la collecte d’informations médicales personnelles en particulier étant avéré (cf épisode précédent), la suite logique, c’est comme le relate fort bien Piotrr, le lancement d’une carte vitale à la mode Microsoft.
Ci-dessous la traduction du texte d’accroche du site Healthvault :
-
"C’est votre boulot de veiller à la santé de votre famille. Imaginez que vous puissiez disposer d’un moyen de collecter, de stocker et de partager l’information médicale qui est nécessaire au bien-être de votre famille. HealthVault est la nouvelle manière gratuite d’y parvenir. Imaginez-vous contrôler le flux de vos informations médicales. Que vous ayez besoin de chercher les derniers traitement efficaces sur le web, de consulter le catalogue de vos informations médicales, de recevoir le résultat de vos bilans médicaux, HealthVault vous offre le niveau de contrôle dont vous avez besoin."
Toujours en page d’accueil du site, le point numéro 4 de la charte de confidentialité est … comment dire … édifiant américain à hurler le suivant :
- "We do not use your health information for commercial purposes unless we ask and
you clearly tell us we may". Je pense que vous n’avez pas besoin de traduction …
Seuls les 4 premiers points de la charte de confidentialité sont affichés en page d’accueil. Je suis allé lire la suite et là encore, ce qui est frappant c’est que les médecins et praticiens de santé, sont mis sur le même plan que des programmes ("vous partagerez l’information avec vos médecins et des programmes"), et des sites webs ("you collect, store, and share your healthcare information with Web sites and doctors"). D’autant qu’en fait, il y a deux chartes différentes, une pour le site (HealthVault.com) et le moteur (HealthVault Search), et une autre pour le "compte" HealthVault. J’ai tout lu, faudrait un billet de 15 pages pour tout vous raconter tellement c’est consternant. Et naturellement, c’est cookies paradize.
Concernant la fiabilité des sources en revanche, rien n’est indiqué (où alors j’ai pas trouvé), on sait seulement que c’est une "version spéciale" du (mauvais) moteur LiveSearch qui est mise en place. Pourtant il serait essentiel que les sites médicaux crawlés soient tous estampillés, d’une manière ou d’une autre. Et en la matière, ce ne sont pas les initiatives et les réflexions qui manquent : la question de la fiabilité et de la certification / labellisation de l’information médicale sur le net n’est pas nouvelle : voilà déjà 10 ans que, parmi d’autres, l’ONG "Health on The Net" s’en préoccupe. En France, et mis à part quelques valeureux documentalistes faisant leur boulot, on est, du côté institutionnel (Haute Autorité de Santé), au mieux dans le flou et au pire dans l’à peu près. Et dans tous les cas en retard.
Bon, enfin voilà. Au moins c’est clair. Au moins c’est dit. Au moins c’est en place. Au moins c’est parti. Et on ne pourra pas jouer éternellement les vierges effarouchées à retardement.
Reste à se demander comment tout cela est devenu possible : la réponse est à lire chez Christian Fauré. Je vous livre sa conclusion :
- "Faire du patient un consommateur au centre d’un système de santé est également une forme de déresponsabilisation du système de santé,
car il peut être illusoire d’amener le malade à avoir un comportement
de consommateur pour participer à des décisions qu’il ne comprend
finalement pas."
Comprenons-nous bien : en lançant HealthVault, Microsoft marque incontestablement des points devant Google. Attendons de voir la riposte de MountainView quand le vide laissé par Adam Bosworth aura été comblé. La bataille qui s’annonce ici sera beaucoup plus sanglante et beaucoup plus déterminante que celle qui s’est déjà livrée autour de la numérisation des livres.
Attardons-nous maintenant un peu sur le service de recherche en lui-même. Il est indéniablement d’une "grande qualité". Au niveau de l’interface, on sort de la simple liste de liens pour aboutir à une répartition en 3 colonnes : à gauche, l’information extraite de la base de donnée Medline, mâtinée de Wikipedia, au centre, les résultats "web" classiques, et à droite, l’information "sponsorisée". Chacun jugera, mais il y a indéniablement un gain graphique et organisationnel sur cette page. Par ailleurs – comme Google le propose également depuis quelques temps mais sous une forme grpahiquement moins aboutie – on vous propose des "clusters" pour affiner votre recherche selon que vous recherchez un "traitement", un "diagnostic", des "symptômes", etc. Mais, mais, mais, mais …, en bas, tout en bas de la page, en dessous de la fameuse "ligne de flottaison", on peut lire : "This site does not provide medical or any other health care advice, diagnosis or treatment. " Et pour en savoir plus on est renvoyé sur le HealthVault Content Disclaimer, qui n’est en revanche pas accessible depuis les deux chartes de confidentialité citées plus haut. Pas accessible et pour cause : on vous dit ici que ce n’est qu’un moteur de recherche et pas un médecin, quand on vous a dit ailleurs presqu’exactement l’inverse. Cela ne s’appelle pas de la schizophrénie. Simplement de l’hypocrisie du marketing.
Et demain ?
Les médecins ? Les médecins ne diront rien. Ils ont d’autres préoccupations. Au mieux, ils demanderont leur avis aux lobbies pharmaceutiques qui assurent l’essentiel de leur formation continue, lesquels lobbies sont tout naturellement partenaires du site HealthVault.
Les patients ? Les patients mettront leurs données en ligne. Si vous ou l’un de vos proches avez récemment été hospitalisés, vous saurez pourquoi (dossiers inaccessibles malgré les affiches proclamant le contraire dans chaque couloir, informations perdues/retrouvées, informatisation inconséquente permettant à un service du 4ème étage d’ignorer complètement que la semaine précédente le même patient a été hospitalisé dans le service du troisième, etc.) Clairement, l’informatisation et le suivi de ladite informatisation, on sait pas faire (ou "on n’a pas le temps", ou "ce n’est pas notre métier", ce qui revient au même). Donc autant confier ça à des professionnels.
L’état ? Euh … là en ce moment … comment dire … c’est pas vraiment d’actualité. La consultation du site de la Haute Autorité de Santé concernant la question du Dossier Médical Informatisé atteste d’une absence totale et pathétique de vision stratégique. D’atermoiements en "recommandations", de "plans d’actions" en "phases d’audit", on ne se préoccupe (mal) que des outils qui rendront cela possible, sans réellement poser la question du contenu et des usages, ou en ne s’en servant que comme d’un alibi justifiant le retard pris pour la mise en place des outils. Définitivement pathétique donc.
La CNIL ? Malgré la bonne volonté manifeste de son directeur, la CNIL demeurera pour quelques années encore un simple organisme consultatif. De toute manière, à regarder de près les chiffres de son effectif et de ses moyens, on voit mal comment elle pourrait être à la hauteur des missions qu’on lui a confiées.
L’Europe ? Long. Compliqué. Concurrence libre et non-faussée. Bolkenstein. Puissance des lobbies encore amplifiée. Donc non. Pas l’Europe non plus.
Comme disait l’autre, "Quand
les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misèèèèère. Les soldats
seront troubadours et nous nous serons morts, mon frèèère." Et quand les moteurs seront médecins, il n’y aura plus de malaaades. Vu qu’ils seront aussi banquiers, et nous, nous n’y pourront rien faiiiiire.
Plein d’autres lectures édifiantes à cette adresse : http://www.microsoft.com/presspass/events/healthvault/default.mspx
Merci de nous avoir mentionner (et pour le choix de l’adjectif).
Au milieu de tous les mauvais points qui peuvent être attribués à HealthVault, j’en vois au moins 3 qui sont bons :
– bon point pour laisser au patient l’initiative de gérer ses données de santé (notamment dans « document – library ») ; l’empowerment est là…
– bon point pour la gestion des accès ;
– bon point (très bon point même) pour le moteur de recherche qui « clustérise », met en avant Wikipedia ou MEDLINE Plus et affiche une liste de liens le plus souvent adéquats et de qualité.