Contributions wikipediennes

(nota-bene : suite à la nouvelle mouture de Typepad, les titres des billets d'Affordance seront désormais sans accents, désolé pour les puristes …)

Il est un vieux débat autour du web 2.0 en général et de Wikipédia en particulier, c'est celui de l'échelle réelle de collaboration et de contribution qui structurent ces deux univers. En d'autres termes, qui contribue "réellement" et qui en profite "simplement".

Un article du Silicon Alley Reminder revient sur une étude déjà commentée ici en Octobre 2006 à propos du nombre de contributeurs réellement actifs dans Wikipédia. L'étude signalée en 2006 indiquait que "50% des
modifications sont faites par seulement 0,7% des utilisateurs … soit 524
personnes"
et que "les 2% les plus actifs (1400 personnes) ont
fait 73.4% de tous les modifications."
Pour aboutir à ce résultat, Jimmy Wales avait à l'époque comptabilisé le nombre de modifications ("edit") réalisées sur les articles. La conclusion était que quelques "insiders" (ou "heavy editors") étaient responsables de l'essentiel du contenu de l'encyclopédie.
L'article du Silicon Alley Reminder propose de ne pas compter les "modifications" (edit) d'articles mais plutôt leur nombre de signes (lettres). Et le résultat (à nuancer étant donné que ladite étude est – de l'aveu même de son auteur – simplement empirique) est radicalement différent de celui de Wales : on s'aperçoit que les plus "gros" contributeurs en "nombre de signes" sont plutôt des "outsiders" (utilisateurs non-réguliers), les "heavy editors" se contentant de faire de nombreux "edit" mais essentiellement pour des questions de mise en forme et de calibrage ou de rectification.
OK mais et alors ???
Alors la question qui est ici posée est celle de la nature même du projet d'encyclopédie collaborative. Dans l'hypothèse 1 (celle de Wales), Wikipédia serait en fait une encyclopédie "comme les autres", avec un très petit nombre d'encyclopédistes labellisés et actifs. La seule différence – mais de taille – avec un projet encyclopédique classique étant que lesdits encyclopédistes n'ont pas été choisis ou recrutés es qualites. Soit disons 80 % d'un fonctionnement encyclopédique traditionnel et 20 % d'un fonctionnement "en rupture" avec les modèles éditoriaux traditionnels.
Dans l'hypothèse 2 (celle du Silicon Alley Insider), c'est la situation exactement inverse qui est décrite. Le coeur du projet Wikipédien est serait bien celui d'une collaboration ouverte reposant sur la contribution d'usagers "extérieurs" et non-nécessairement réguliers ou accrocs pour fournir les connaissances et les informations, collaboration ouverte "complétée" par un travail d'édition plus traditionnel (correction, mise en forme, etc …) effectué cette fois par quelques "heavy editors". Soit 80% de collaboration et 20% de fonctionnement éditorial "classique".

Soit pour résumer :

  • hypothèse 1 : les encyclopédistes sont des gens "à/de l'intérieur"
  • hypothèse 2 : les encyclopédistes sont des gens "à/de l'extérieur"

La fonction crée l'organe.
Au delà des chiffres et des pourcentages, ce débat est important voire essentiel car il reflète et illustre notre rapport au savoir dans un environnement numérique. L'hypothèse 1 serait la preuve qu'au-delà de la forme (innovante) du Wiki, le projet encyclopédique n'a pas réellement changé de nature dans son mode de fonctionnement. L'hypothèse 2, de mon point de vue beaucoup plus séduisante et beaucoup plus réaliste (même si elle demande à être confirmée), indique a contrario qu'en sus du changement de nature de l'objectif encyclopédique, il y a bien également un changement de nature du mode de contribution et d'accumulation des savoirs. Wikipédia procède donc bien d'une nouvelle forme et d'une nouvelle ambition pour le projet encyclopédique du XX1ème siècle, nouvelle forme et nouvelle ambition qui ont su, pour partie, asseoir la rupture qu'elles proposent sur des schémas de fonctionnement éditoriaux ayant déjà fait la preuve de leur efficacité. Et ce n'est pas l'un des moindres intérêts de ce projet que de constater que cette stratégie n'a pas été bâtie et pensée en amont du projet lui-même, mais qu'elle s'est organiquement déployée au fur et à mesure de son avancement. Work in progress. Et si l'on observe Wikipédia comme un organisme numérique en croissance, on vérifie une fois de plus la formule de Lamarck selon laquelle "La fonction crée l'organe."

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Et pour compléter cette petite réflexion (et accessoirement expurger mon agrégateur), une
petite revue de liens autour de l'encyclopédie collaborative.

  • et tout d'abord une excellente idée : "Un chercheur, qui soumet un article à la revue RNA Biology, devra également écrire un résumé de ses travaux dans Wikipédia." Source et suite de l'info sur Prosper et ReadWriteWeb.
  • ensuite un article de Pascal Duplessis : "Wikipedia : un objet-problème en information documentation." Rapide extrait pour vous donner envie : "Qui, sans en avoir été longuement averti, peut-il appréhender l’extraordinaire complexité dont fait preuve le deus ex machina
    à l’œuvre derrière la scène de tout article encyclopédique collaboratif
    ? Comment imaginer ne serait-ce que le perpétuel mouvement de création
    et de re-création de l’édifice puisqu’il se fige à l’instant même où on
    le regarde ? Pour en faire prendre conscience aux élèves, il faudrait
    un logiciel de type morphing où l’on verrait en l’espace de
    quelques secondes merveilleuses l’article se développer et se réduire
    sous l’effet erratique des contributions, varier ses formes du simple
    au caricatural, laisser et abandonner ses traces, et vivre et mourir en
    quelques palpitations de son être documentaire.
    "
  • voir également mes voeux de bonne année 2009

(Temps de rédaction de ce billet : 1h30)

2 commentaires pour “Contributions wikipediennes

  1. On pourrait ajouter, en faveur du « fonctionnement éditorial classique », que wikipédia dispose désormais de comités de lecture informels, dont l’avis est recommandé pour renforcer l’éligibilité de contenus aux labels « bon portail », « bon article », attribués après vote des internautes. Une hiérarchie qualitative des contenus émerge dans wikipédia, et elle est obtenue par des procédés inspirés de l’édition classique. Ce point de vue permet au fond de réconcilier vos deux hypothèses : il y a des encyclopédistes « de l’intérieur » qui sont plus éditeurs qu’auteurs, et des encyclopédistes « de l’extérieur » qui sont plus auteurs qu’éditeurs. Banalisation de wikipédia?

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