Affaire DSK (encore) : Dégâts Sémantiques Kolatéraux et psychanalyse des médias

Rappel des épisodes précédents :

A la suite du commentaire déposé sur mon dernier billet consacré à l'affaire, par Max Maarek, "Business Developement Manager" de la société qui gère l'e-reputation du groupe Accor et (ou ?) de sa chaîne de Sofitels (profitez-en pour lire leur intéressant billet sur la gestion de la communication de crise sur les réseaux sociaux, notamment Facebook), suite à ce commentaire donc, je suis allé vérifier qu'effectivement seule la page anglo-saxonne des "sites Sofitel" avait gommé tout référence à "l'art de vivre à la française". Illustration.

Sofitel
Les pages Allemandes, Italiennes, Portuguaises, Espagnoles ont conservé le même titre (balise Title en HTML) : "Hôtels Sofitel : hôtels de luxe conjuguant l'art de vivre à la française", mais la version anglo-saxonne du site est passée de "Sofitel Hotels: luxury with a French flair" à un plus oecuménique "Sofitel Hotel : Luxury Hotels Around the World".

Pourtant, assez étrangement, si la balise Title a effectivement été modifiée, les balises méta "description" et "keywords" n'ont elles, subi aucune modification :

Sofitel-meta-us
On retrouve ici, dans la balise "Description", l'expression pourtant gommée de la balise de titre "the ultimate embodiment of the French art of living". "L'art de vivre" à la française n'est certes pas sémantiquement identique au "french flair" mais quitte à corriger la sémantique pour éviter un référencement fâcheux, on aurait pu s'attendre à une correction plus systématique. L'une des raisons de ce maintien peut s'expliquer par le fait que si Google accorde une grande importance aux titres des pages, il indique officiellement ne pas prendre en compte les balises méta (même si des débats d'experts continuent d'exister sur ce point …). Mais il n'y a pas que Google dans une stratégie de référencement et/ou de positionnement, et je maintiens donc mon étonnement sur cette absence de modification.

Pour comparaison, ci-dessous, la copie d'écran du code HTML de la page d'accueil française :

Sofitel-meta-fr

Autres sémantiques colatérales à l'affaire, celle de son épouse, Anne Sinclair, qui ne semble pas directement impactée par les "suggestions" de Google (elles sont les mêmes qu'il y a 15 jours et que précédemment à l'affaire, à savoir "blog, biographie, fortune, nu, divorce, wikipédia"). Anne Sinclair qui, sur son blog, a enfin pris la parole pour dire qu'elle ne la prendrait pas.

A noter que les suggestions liées à l'inculpé ont légèrement évoluées dans la version anglophone de Google, mais pas dans sa version francophone, sauf sur la requête DSK pour laquelle "l'ADN" apparaît au premier plan :

DominiqueSK-googlecom
 Sur Google.com, c'est toujours la femme de ménage ("maid") qui est au premier plan sémantique.

 

DominiqueSK-googlefr
Sur Google.fr, outre une judéité antérieure à l'affaire (mais ô combien persistante), résonne toujours le mot "viol", seul lien entre sa biographie et son épouse.

 

Dsk-googlefr
Sur Google.fr toujours, mais cette fois sur la requête DSK, c'est l'"ADN", dernier rebondissement  et futur verdict documentaire de l'affaire qui vient surclasser la rhétorique de l"'alibi" et l'image marquante du politique "menotté"

Temporalités et (a)moralités : comme je l'écrivais sur Twitter à la lecture de mes quotidiens favoris, on ignore encore quel sera le verdict de l'affaire DSK, mais une chose est sûre, l'information est déjà en conditionnelle, le traitement de l'information en temps réel déjà condamné au conditionnel. A côté d'un inculpé libéré sous caution, nos médias peinent à trouver leurs propres cautions.

Conditionnel

Après le conditionnel, l'autre temps des médias est celui de l'imaginaire, du futur improbable. Réduits dans un premier temps à l'usage du conditionnel – à l'exception notable de l'AFP sur la copie d'écran ci-dessus, seule à utiliser le passé composé – les médias sont aujourd'hui encore empêtrés dans leur double contrainte : l'obligation de parler de l'affaire en l'absence de tout nouvel élément  nouveau d'information. Une double contrainte qui après l'usage du conditionnel forcené, les condamne à celui du futur improbable. La palme documentaire revient ici conjointement à l'AFP et au Parisien : 

Parisien
La concordance des temps cède la place à la discordance du temps médiatique, conjuguant ici au présent un pourtant très hypothétique futur d'ailleurs négativé ("les experts ne l'imaginent pas plaider coupable"), et lui juxtaposant un conditionnel légitimant cette incursion dans le futur ("DSK (…) devrait selon plusieurs experts interrogés par l'AFP (…)" ). A elle seule cette copie d'écran illustre toute la distorsion du temps médiatique accordé au traitement de l'affaire DSK. Du point de vue sémiologique on observe :

  • l'usage du présent en titre avec valeur de futur marquée par la sémantique du verbe choisi (imaginer)
  • l'usage du conditionnel en "châpo" venant compenser ou réassurer …
  • … le traitement de l'image, une image qui vient déjà – documentairement parlant – d'un passé proche (celui de l'audience ayant aboutie à la libération sous caution de l'inculpé), mais est ici choisie parce qu'elle illustre – et documente – le présent de l'affaire (en l'absence de tout événement ou image actuelle) en même temps qu'elle annonce (valeur prédictive) un autre temps futur (celui du procès qui doit s'ouvrir le 6 Juin)

L'image qui performe. La linéarité de l'image, sa lecture de gauche à droite est d'ailleurs autant programmatique que potentiellement performative puisqu'elle cerne l'inculpé de deux paires de menottes, l'une renvoyant à son passé et l'autre à son … futur. Le regard de l'inculpé lui-même est d'ailleurs entièrement tourné vers ce passé qui lui interdit tout futur politique. C'est tout sauf un hasard si cette image est celle que l'on retrouve le plus souvent dans les illustrations consacrées à l'affaire.

En l'absence de réel, reste l'imaginaire. Et en l'absence de faits inscrits dans le présent journalier de l'affaire, la focale se tourne vers l'éclairage d'une rétro-documentation du passé, une relecture du présent non pas à l'aide de "faits" similaires, mais à l'aide de productions imaginaires passées offrant des similarités fortes avec les faits du présent de l'affaire. Ou la longue histoire de la fiction qui dépasse le réel.

Non-dit, indicible, dire interdit. Le traitement de cette affaire dans la presse et les médias, notamment depuis l'autre affaire (celle de Georges Tron), joue clairement sur les non-dit, sur les vraies-fausses confessions, sur les rumeurs plus ou moins accréditées. Du non-dit qui alimente l'indicible, c'est à dire la parole de la supposée victime de viol, un indicible pourtant déjà verbalisé devant le grand jury, et qui devra l'être à nouveau lors de l'ouverture du procès. C'est dans ce contexte d'inaudibles bavardages rapportés au porte-voix, qu'est tombée samedi 28 mai, la décision du CSA imposant aux chaînes de télévision de pouvoir "mentionner l'existence de ces pages ou profils "sur les réseaux sociaux", mais n'auront pas le droit de citer "la page Facebook de notre émission"." Très exactement, le CSA indique :

"le renvoi des téléspectateurs ou des auditeurs à la page de l’émission sur les réseaux sociaux sans les citer présente un caractère informatif, alors que le renvoi vers ces pages en nommant les réseaux sociaux concernés revêt un caractère publicitaire qui contrevient aux dispositions de l’article 9 du décret du 27 mars 1992 prohibant la publicité clandestine."

Rassurance contre résilience : psychanalyse des médias. Alors même que Twitter et – selon des modalités différentes et dans une bien moindre mesure – Facebook furent, dans le traitement médiatique de l'affaire, les seules "sources" des journalistes "en plateau", sorte de "métarédaction en permanence à l'ouvrage", l'interdiction de mentionner leur nom sonne comme un très Freudien acte manqué de rassurance auto-centrée, alors que l'on aurait ici plutôt attendu l'expression d'une résilience permettant de légitimer ce "nouveau" mode d'expression médiatique. Si nombre de psychiatres et psychanalystes se sont trouvés convoqués au lendemain de l'affaire, faute de témoins, de confidences ou d'aveux, pour étayer la thèse d'un suicide programmé de DSK façon "acte manqué", on attend avec gourmandise leur analyse de cette interdiction des mots perçus par un système médiatique ronronnant comme autant de ses maux à venir. 

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