Et si … Et si l'opération de crowdfunding visant tout simplement à éponger la dette grecque avait marché ? 7 jours pour rassembler 1,5 milliards d'euros soit 3 euros par européen. Le 30 Juin, plus de 16 000 personnes avaient donné plus de 250 000 euros. <Mise à jour> Nous en sommes aujourd'hui – 1er Juillet 13h30 21h00 à 800 000 euros 1 million d'euros … </Mise à jour>
Le paléolithique de l'âge des machines.
Les technologies de l'information et de la communication sont une réinvention linéaire de l'histoire des technologies et des artefacts qui les ont précédées depuis l'aube de l'humanité. Et pas uniquement métaphoriquement comme en atteste le passage de la tablette d'argile à la tablette de Steve Jobs. Il a d'abord fallu conquérir le langage, les mots, le texte. Après les moteurs de recherche ce sont aujourd'hui, à l'instar des premiers hommes, les "intelligences artificielles" qui, à l'aide de programmes dits de "deep learning" apprennent à parler, à converser, à discuter. Certains disent même qu'elles peuvent rêver. Elles sont les primitifs que nous étions à l'aube des temps ; comme l'homo habilis, elles aussi utilisent ces outils que sont les bases de données gigantesques du Big Data, comme lui elles "vivent" de la cueillette de nos données, de nos textes. Le paléolithique de l'âge des machines.
Il a ensuite fallu partir explorer le monde, étendre son territoire : on inventa alors les systèmes de cartographie, de GPS. Souvenez-vous du séisme que fut le lancement de Google Earth. Aujourd'hui, les technologies les plus "disruptives", dont les voitures sans chauffeur ou autonomes ne sont qu'un exemple, reposent toutes sur ces systèmes de cartographie.
L'invention du feu ? Les thermostats connectés de Nest et les batteries "Tesla Powerwall" d'Elon Musk sont les avatars technologiques modernes du frottement de silex.
(1ères intelligences artificielles découvrant le 1er thermostat connecté. Allégorie)
Avec les premières sociétés humaines virent le jour les 1ères formes de travail, d'économie et de "salariat". Et aujourd'hui, l'économie du partage des restes est incarnée par Uber.
Et comment ne pas voir dans Google Books l'image en miroir de la bibliothèque d'Alexandrie ? Même ambition, même rêve, même démesure, même place centrale dans l'ensemble de l'écosystème de savoirs se mettant en place à l'échelle d'une humanité connectée.
Puis on inventa la monnaie pour faciliter les échanges. Comme aux temps préhistoriques, les premières "monnaies" furent constituées de matières naturelles (sel, pierre) laissant la part belle au troc. Notre présence et nos pratiques connectées ne sont rien d'autre qu'une nouvelle forme de troc dans laquelle l'accès à un service se fait au travers de "l'échange" de la 1ère matière naturelle de l'ère numérique : nos données personnelles.
Puis les "vraies" monnaies apparurent. Et aujourd'hui sur le milliard et demi nécessaire au remboursement de la dette grecque, c'est tout de même près de 250 000 euros qui ont été collectés en seulement quelques jours via une plateforme de crowdfunding.
Et si …
Et si ça avait marché ? Si le milliard et demi avait été réuni ? Imaginez-vous l'ampleur du cataclysme politique, économique, géo-politique ? T'imagines la tête du FMI ? La tronche des édiles bruxellois ?
La capacité de réunir de telles sommes aura nécessairement un jour prochain un impact à la mesure … des sommes réunies, c'est à dire gigantesque. Crowdfunder la faim dans le monde, l'accès à l'eau potable, crowdfunder l'impôt. Depuis le temps qu'on nous explique et qu'il est démontré que si quelques-uns des plus riches / puissants politiquement et économiquement faisaient le job, l'essentiel desdits problèmes pourraient être réglés ? Et depuis le temps qu'on sait qu'ils ne le feront jamais. Que ce temps-là ne viendra pas.
Redevenir maîtres de la redistribution des richesses et des ressources naturelles. Et virer tous ces guignols. Nettoyer le solutionnisme technologique de la gangue néo-libérale et de l'idéologie libertarienne qui le corsette et remettre les technologies au service de solutions dans un espace qui soit vraiment socialement appropriable et encadré. Cela peut naturellement paraître parfaitement utopiste mais imaginez un état "gouvernant" Blablacar et le déployant à l'échelle d'un pays, d'une région, d'une ville. Et si c'était cela le vrai processus de Bologne : The Bologna Regulation for The Care and Regeneration of Urban Commons ? Regardez les bénéfices – pour la collectivité et les individus – de la municipalisation des régies d'accès à l'eau potable dans notre bel hexagone. Le financement de la bulle de la French Tech ne serait-il pas plus fécond et adapté aux enjeux du siècle à venir s'il intégrait un volet dit de "politiques publiques" ? Ou faut-il se résoudre à voir, les uns après les autres, les secteurs de la médecine, de l'éducation, de l'alimentation tomber sous la coupe des anarchistes notoires de Goldman Sachs ?
La promesse émancipatrice du numérique était aussi celle-là. Elle porte naturellement en elle les germes d'un libéralisme totalement dérégulé et socialement et économiquement dangereux. Mais elle porte également ceux d'une anarchie calculatoire dans laquelle les désintermédiations sont autant de réappropriations possibles à condition qu'elles soient – c'est important – pensées dans le cadre – par exemple – d'une théorie des biens communs.
Oui bien sûr je rêve, oui bien sûr c'est plus compliqué que cela. Ou peut-être est-il aussi plus simple de le croire. L'opération de crowdfunding qui aurait permis d'effacer la dette grecque ne réussira probablement pas. Mais elle est l'un de ces signes qui nous permettront peut-être de relever collectivement la tête.
Le salariat Uberisé, la redistribution des richesses crowdfundée, une gouvernance politique centrée sur la notion de biens communs, et des intelligences artificielles qui rêvent. Made My Day. Le siècle à venir s'annonce passionnant vous ne trouvez pas ?