A côté des archives ouvertes permettant d’accéder aux articles scientifiques, un autre pan de l’Open Access est constitué par les archives institutionnelles, qui, comme leur nom l’indique, sont rattachées à une institution et permettent d’accéder à d’autres types de document (supports de formation, rapports de laboratoires, publications officielles, publications du personnel, documents du corps professoral, cours, documents des étudiants – rapports, mémoires, thèses). Une archive institutionnelle aboutie permet ainsi de rendre-compte, de valoriser et de partager ce qui constitue le coeur immatériel du flot documentaire propre aux institutions qui les mettent en place (universités, bibliothèques, organismes de recherche essentiellement). Dans cette catégorie, l’Université de Montréal et son archive baptisée "Papyrus" et tournant sur le logiciel DSpace est un modèle du genre. C’est une manière unique de contrôler le flux d’information en le mettant à disposition de la communauté dans un premier temps, mais en autorisant également (via l’interopérabilité des métadonnées générées par exemple pour les thèses et mémoires de recherche) une ouverture contrôlée sur l’extérieur. Les utilisateurs (= tous les personnels) sont largement gagnants dans l’histoire, mais les gestionnaires et décideurs également qui disposent ainsi d’un véritable outil de pilotage "sur mesure". Trop peu d’établissements francophones disposent malheureusement à l’heure actuelle de telles archives institutionnelles. Il est d’ailleurs étrange qu’elles soient "moins" développées (en nombre) que les initiatives d’archives ouvertes thématiques ou disciplinaires. Mais cela explique probablement pour partie le fait que les mêmes archives ouvertes aient souvent du mal à "décoller" en volume : les enseignants-chercheurs, les étudiants et les personnels des bibliothèques sont globalement trop peu formés et informés de ces nouveaux modes d’archivage et de partage. Ils déposent donc peu dans les archives ouvertes. En favorisant le déploiement d’archives institutionnelles on créerait à coup sûr un effet mécanique d’entraînement dans lequel l’ensemble d’une communauté de recherche et d’enseignement ayant fait l’expérience d’un dépôt partagé et contrôlé au sein de l’institution, serait dès lors plus enclin à enrichir ces dépôts "externes" que sont les archives ouvertes. Donc : il faut mettre l’accent sur la promotion des archives institutionnelles comme préalable aux archives ouvertes, si l’on veut que ces dernières atteignent une masse critique rapidement, par effet d’entraînement. On vaincra ainsi (à mon avis …) la réticence de nombre de "collectifs" à se lancer dans l’expérience du partage.
En sus, notons qu’à l’heure d’une décentralisation toujours plus affirmée (Toulouse et "ses" sites à Rodez ou Castres … Nantes et "ses" sites à La Roche sur Yon, St Nazaire ou La Rochelle, etc, etc.), notons, disais-je, que les universités disposent aujourd’hui systématiquement d’antennes excentrées (en général des IUT) qui rendent les échanges et les communications difficiles et coûteuses (financièrement et kilométriquement s’entend). Pour ces dernières et pour les gens qui les peuplent, les "délocalisés de la recherche et de l’enseignement", le fait de pouvoir accéder à une entité "numériquement centralisée" leur permettrait également de pouvoir davantage s’impliquer et disposer de retours des "non-délocalisés". Bref de travailler un sentiment d’appartenance sans lequel il ne peut exister de culture commune et de dynamiques de recherche fortes et transversales. A moins que l’on n’ait déjà décidé que l’on ne pouvait faire de recherche sérieuse que dans la fac centrale et de l’enseignement dans ses sites périphériques … En un mot comme en 100, le déploiement d’archives institutionnelles (qui rappelons-le est tout de même gratuit …y’a même d’excellents comparatifs qu’il ne reste plus qu’à traduire en français) permettrait de résoudre bien des soucis (ou des soi-disant soucis) de la recherche française, aussi bien en terme de visibilité que de notoriété.
Allez encore un dernier argument pour convaincre les gens du ministère qui fréquentent ce blog (j’ai les noms les logs) :
- les archives institutionnelles sont de gauche : elle favorisent le partage équitable des besoins et des compétences et dopent la visibilité des collectifs qui les alimentent.
- les archives institutionnelles sont de droite : elles favorisent la compétitivité et les pôles d’excellence.
Vous n’avez donc qu’à faire votre choix 😉
Dans un récent post (http://openaccess.eprints.org/index.php?/archives/133-Central-versus-institutional-self-archiving.html), Steven Harnad pose également la question du modèle d’archive ouverte le plus pertinent pour le dépôt initial du document par le chercheur (centralisé sur le modèle de PubMed Central ou délocalisé au niveau des établissements de recherche). Parmi les 21 raisons avancées en faveur des archives institutionnelles figurent arguments de « gauche » et de « droite ».
Vous semblez dire que le problème vient d’une mauvaise information des étudiants et des professeurs, et s’il existe sans aucun doute des progrès à faire à ce niveau-là, je constate également une différence de culture entre les anglo-saxons et nous. Ainsi, avant même que l’on traite d’archives ouvertes, il n’était pas rare de trouver des articles librement disponibles sur le site de professeurs anglo-saxons. C’était nettement moins fréquent sur le site des professeurs de nos contrées.
De nos jours, il existe encore des différences. Ainsi, si je veux obtenir la liste des publications d’un professeur, j’ai plus de chances de l’obtenir si ce dernier est anglo-saxon. Pour la beauté du test, j’ai tenté de retrouver une bibliographie de vos écrits, je n’y suis pas arrivé (même si j’avoue ne pas avoir lancé une réelle stratégie de recherche, tout au plus un coup de sonde).
Jean-François> oui, je me doutais bien que Steven Harnad devait avoir eu cette idée d’argumentaire avant moi 🙂
Manu> Vous n’avez effectivement pas cherché très longtemps. Tout est sur archivesic (http://archivesic.ccsd.cnrs.fr) > consulter par auteur > lettre E
Et la plupart de mes supports de cours ou de formation sont régulièrement archivés sur ce blog. Sur lequel figure aussi mon dossier « scientifique » de qualification aux fonctions de maître de conférence. Je ne voudrais pas m’auto-congratuler, mais en termes de transparence ça me paraît difficile de faire davantage 😉
Ceci étant, la différence culturelle que vous pointez est (en partie) juste et s’explique essentiellement pour deux raisons :
– les théoriciens (et donc les principaux évangélisateurs) du mouvement sont anglo-saxons
– la politique anglo-saxonne de soutien au mouvement de l’Open Access est plus ancienne et plus lisible qu’en France. Ceci dit, y compris outre-manche ou outre-atlantique il existe également de fortes résistances selon les champs disciplinaires concernés.
Pas si simple malheureusement : les universités françaises, mais aussi les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, dont le fonctionnement est très divers, sans parler même des EPST, peuvent difficilement être comparées aux universités canadiennes, américaines ou britanniques (pour prendre des exemples dans des pays où les archives institutionnelles sont les plus répandues). En France en particulier, on a un organisme central de recherche, le CNRS, présent dans quasiment toutes les structures de recherche via les UMR. Or, l’expérience semble prouver que l’argument de la proximité (argument de gauche) joue un rôle moins important pour l’incitation du dépôt dans les archives, que, par exemple, la contrainte de l’évaluation du nombre de publication pour le déclenchement de financements (argument de droite). Là dessus, il faut ajouter des complexités et des niveaux supplémentaires telles que PRES, ANR, MSH (pour les SHS) et j’en passe. On comprend alors pourquoi les établissements français, pris dans le maillage de ces différents niveaux et acteurs quelquefois contradictoires, ont du mal à faire émerger une représntation unifiée de la recherche qui se fait dans leurs murs (remarquez la prudence de l’expression qui, dans certains cas, reflète stricto sensu, la réalité). Finalement, derrière la question des archives institutionnelles c’est une grosse interrogation sur ce que peut être une politique institutionnelle de recherche pour un établissement donné dans le contexte français qui est posée. Et ce ne sont évidemment pas les archives ouvertes qui la résoudront.
Piotrr> le fléchage institutionnel complique en effet passablement les choses. Je persiste cependant à croire, au regard notamment des discussions avec des collègues et des bibliothécaires « non-convertis » que l’effet d’amorçage des archives institutionnelles serait déjà un bon point de départ.
Juste pour mémoire, il faut aussi signaler que tous les chercheurs du CNRS (mais aussi de l’IFREMER, de l’INRIA et de l’INRA entre autres) sont normalement invités à mettre leur article sur HAL (SHS et autres) avec la possibilité pour chaque institution d’avoir une présentation personnalisée (cf par exemple le centre Alexandre Koyré : http://halshs.ccsd.cnrs.fr/CRHST/ ).
On pourra regretter l’aspect centralisateur d’une telle démarche très française, mais elle s’explique aussi par les coûts de maintenance des machines et des logiciels. Steven le regrette certes, mais la situation est somme toute différente dans les pays anglo-saxons.
Ne retrouvant nulle part mon message envoyé via mon plug in RSS Popper dans Outlook, je me permets de renvoyer ce commentaire, directement via affordance.typepad.com.
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Bonjour,
J’aimerais faire un peu de publicité pour une archive réalisée par une université technologique francophone qui essaie de faire ceci :
(extrait de votre texte) « C’est une manière unique de contrôler le flux d’information en le mettant à disposition de la communauté dans un premier temps, mais en autorisant également (via l’interopérabilité des métadonnées générées par exemple pour les thèses et mémoires de recherche) une ouverture contrôlée sur l’extérieur. Les utilisateurs (= tous les personnels) sont largement gagnants dans l’histoire, mais les gestionnaires et décideurs également qui disposent ainsi d’un véritable outil de pilotage « sur mesure ». »
Cette archive s’appelle infoscience : http://infoscience.epfl.ch.
Elle est réalisée par le service d’Information scientifique et des Bibliothèques de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Elle tourne sous CDSWare devenu CDS Invenio.
Elle offre la possibilité aux labos de déposer les références et le fulltext, de manière libre et décentralisée. Ca marche car aujourd’hui 130 labos sur 200 environ, le font.
Elle offre des outils de contrôle de qualité, des services de conseil en droit d’auteur, des outils de réappropriation des données saisies (exports, incorporation dans les sites web des labos, etc…) et des critères de qualification des publications signalées qui permettent de trier le bon grain de l’ivraie je plaisante) : pre- post- print, peer reviewed ou non, et bientôt un tag « dans web of science ».
Une petite brochure en pdf disponible depuis la page d’accueil essaie d’expliquer simplement tout ça.
J’ai présenté cette archive à l’enssib l’été dernier et à la semaine du document numérique à Fribourg en sept. Le texte de la communication sera bientôt mis sur ARTIST, grâce à Jacques Ducloy et Sylvie Laîné.
Tout ça pour dire que c’est possible, à la portée des bibliothèques universitaires et que plusieurs projets élaborés sont en route en Suisse francophone (Uni Genève, Uni Lausanne).
Fin de la pub. J’espère que ça intéressera du monde et suis prêt à répondre aux questions,
Très cordialement,
D. Aymonin
Service d’Information scientifique et des Bibliothèques de l’EPFL.