C’est donc la nouvelle tendance. Une tendance qui risque fort de dépasser le simple phénomène de mode si même Google s’y intéresse. Cette tendance est celle des moteurs à la carte. Marissa Mayer à récemment déclaré que : "la compagnie (Google) a affecté plus d’ingénieurs que jamais à la conception d’un nouvel outil de recherche qui permettra aux usagers de dessiner ("design") et de construire leur propre moteur, en cherchant juste dans les sites qui les intéressent." Ceci n’est certes pas une nouveauté. Dans le domaine, Rollyo ou les Search Party d’Eurekster furent les premiers, implémentant sous la forme de moteur de recherche une fonctionnalité qui est le coeur des signets partagés (del.icio.us) : la construction "communautaire" d’une base de signets (sites) et la possibilité d’y rechercher de l’information. L’innovation de Google sur ce secteur aura probablement à voir avec l’atteinte d’une masse critique que les précédents services n’atteignent pas. Il y a aussi fort à parier qu’à la différence de services sus-mentionnés, ce n’est plus la communauté mais l’usager qui sera ainsi dépositaire de "tranches de web à fouiller" qui lui seront suggérées par Google. D’où le deuxième point du titre de ce billet: les autarcithécaires (avec un amical clin d’oeil aux archithécaires de Jean-Michel).
La question est ici celle du choix des sources et des savoirs qu’elles véhiculent. Dans un monde de consommation atomisé, fragmenté, qui se contente essentiellement de renforçer l’individualisation des pratiques d’accès et d’appropriation des connaissances derrière une vitrine communautaire qui n’est souvent qu’un alibi technologique, dans ce monde là (respirez ici), le coeur de compétence et la mission des bibliothèques permettant une validation et une stabilisation d’états de savoirs donnés est plus que jamais essentielle et doit à tout prix être préservée, avec le devoir d’invention de nouveaux modes de préservation/stabilisation/conservation qu’impose le numérique (reeeespirez). Or derrière ces moteurs à la carte, c’est le risque pour chacun d’entre nous de devenir un autarcithécaire qui me paraît inquiétant.
La révolution française avait eu le mérite de mettre sur la place publique les entrepôts de savoirs qui gisaient à la disposition d’un seul ou de quelques-uns. Le mouvement que Google imprime au numérique est excatement inverse : il met à disposition d’un seul (moteur à la carte) un ensemble d’informations et de connaissances qui, en ne restant plus que potentiellement l’apanage de tous, se trouvent du même coup appauvries et privées de leur essence. Le savoir ne vaut que s’il est partagé, s’il est le résultat d’un choix raisonnable et concerté au vu de l’état de connaissance à un moment donné, et s’il est mis à disposition du plus grand nombre. Ce qui circonscrit assez bien le domaine d’action des bibliothèques et des bibliothécaires qui les peuplent.
Le web avait déjà tenté de faire de chacun de nous des indexeurs, avec les dérives que l’on connaît (déboires des balises méta et du Spamdexing) et les promesses qui fleurissent aujourd’hui (indexation sociale et folksonomies). Les moteurs à la carte (qui seront peut-être les moteurs de demain), feront de chacun de nous non pas un bibliothécaire mais un autarcithécaire. Le dépositaire d’un savoir qui n’est pas tourné vers les autres à des fins de confrontation, de partage et de création de nouvelles connaissances, mais (dé?)livré à un seul à des fins de consomarchandisation (il est tard et je n’en suis plus à un néologisme près). Le filigrane que Google glisse dans les ouvrages de sa bibliothèque universelle pouvant dès lors être lu comme un symptôme.
Les bibliothèques (grâce aux bibliothécaires), indépendamment de leur taille et de leurs avatars numériques, restent plus que jamais des lieux qui nous permettent de faire le choix du savoir comme "vecteur de connaissances". Les moteurs à la carte et leurs usagers autarcithécaires n’auront que le choix du savoir comme "moteur de consommation".
Update du lendemain : sur le même sujet voir cet article : "Most reliable search tool could be your librarian" (merci à Olivier Le Deuff pour le signalement en commentaire)
Ce qu’il faut craindre, c’est bel et bien le communautarisme d’où effectivement l’importance des médiateurs que sont les bibliothécaires, documentalistes et enseignants.
Il faut pour cela que les formations dans ces domaines soient valorisées et efficaces…Information literacy toujours…
Un article qui va dans ce sens :
http://news.com.com/2100-1032_3-6120778.html
Je ne vois pas forcément les choses de la même façon. Créer un outil de recherche personnalisé c’est aussi travailler pour la communauté : on utilise son expertise pour filtrer les sources de qualité, pour ensuite proposer un accès plus aisé à un champ de savoir non ?
“…livré à un seul à des fins de consomarchandisation (il est tard et je n’en suis plus à un néologisme près)”
Finement trouvé, je l’aime bien celui-là !
J-M
OLD> Merci pour le lien. Je l’ajoute dans le corps du billet
Sébastien> Oui, c’est effectivement le cas pour Rollyo ou Del.icio.us. Mais pour ce qu’on peut entrevoir des projets de Google (il ne s’agit pour l’instant de de supputations), il s’agirait d’inverser la perspective. Ce n’est plus un usager qui aggrège un corpus de sources pour ensuite les mettre à disposition de la communauté (sous forme d’interface de recherche ou de signets) mais un moteur qui envoie vers un usager un corpus de sources données. Il n’y a donc ni partage, ni enrichissement collectif. A moins que Google ne décide d’ouvrir ensuite les accès à l’ensemble d’une communauté, un peu à la manière de MyWeb pour Yahoo!. Mais je fais le pari que ce ne sera pas le cas. A suivre …
On est bien d’accord :
Delicious, c’est bien ;
Netvibes, c’est tarte.
Pour faire court.
Mais franchement : critiquer un projet dont rien ne permet encore de deviner à quoi il ressemblera, ni même s’il verra le jour, n’est-ce pas céder un peu vite à la Googlephobia ambiante ?