Economie de l’attention et marché de la recommandation

Les enjeux économiques du web actuel (c’est à dire 2.0 et 1.0) sont, parfois faute de recul suffisant, parfois pour cause de modèles économiques en rupture, le plus souvent délicats à saisir. Il compte cependant quelques analyses qui non seulement résistent à l’usage mais permettent en outre d’éclairer ces derniers (les usages).
Parmi ces analyses, la première est celle de la "longue traîne" (long tail) qui, si il n’est pas encore démontré qu’elle puisse fonctionner sur tous les secteurs économiques, est en revanche parfaitement éclairante pour l’industrie des biens culturels. L’autre "modèle" est celui d’une économie de l’attention (voir notamment le billet de JMS).

  • Le modèle macro-économique c’est donc celui de l’économie de l’attention (réappropriation de l’idée d’une économie de l’accès)
  • La segmentation est celle de la longue traîne (pour les industries culturelles tout au moins).
  • Reste à définir le marché, ou les logiques micro-économiques qui viennent alimenter les deux premières. Et bien ce pourrait être un marché de la recommandation.

Nombreux sont les sites qui depuis Amazon (qui fut historiquement la première place de marché à développer systématiquement ces "recommandations"), nombreux sont les sites qui fonctionnent sur la mise en avant systématique des recommandations – parfois largement bidonnées – de leurs usagers, à destination de l’ensemble de la communauté. Tout y passe et tout est "recommandable" : livres, disques, films, DvD mais aussi applications (dans Facebook notamment), programmes, services, etc. Ce marché de la recommandation sert en quelque sorte de "fixateur" à l’économie de l’attention dans laquelle il s’inscrit, et de "révélateur" à la théorie de la longue traîne.

Ce marché de la recommandation, s’il présente bien des avantages in media res, dont celui de booster la diffusion de ses produits sur un mode de propagation "viral", ce marché offre également quelques risques importants. Au premier degré, découplé du monde réel et fonctionnant comme modèle unique, il représente pour le "marché" le même risque que celui de l’abolition de tout filtre éditorial pour la création et la diffusion de contenus : une dérégulation systématique et une "prime à l’ami" ou une "tyrannie de la majorité" (phénomène du crowdsourcing) dont on perçoit clairement les travers possibles.
Ces mêmes "recommandations" sont par ailleurs au coeur non seulement du web actuel ("2.0", "web implicite"), mais il est bon de rappeler qu’elles furent également à l’origine du web 1.0 et notamment de l’algorithme PageRank, dont le principe fondateur est précisément celui de la recommandation, via l’établissement de liens entre les sites (le fameux et un peu inexact : "1 lien = 1 vote").

Il existe – en gros – deux écoles concernant cette économie de l’attention : ses promoteurs, qui pensent qu’elle permet de favoriser la diversité (par la découverte de nouveaux produits/biens/service en fond de traîne) et de doper les ventes, et ses détracteurs, pour qui elle ne fait que renforcer la visibilité/diffusion des produits/biens/services déjà les plus "en vue" ("effet saint matthieu" dans la théorie de Merton). Aucune analyse n’était jusqu’ici parvenue à réconciler les deux approches ou tout au moins à en faire abstraction pour tenter d’observer leurs points respectifs d’achoppement ou d’exclusion. Or l’article "Blockbuster Culture’s Next Rise or Fall: The Impact of Recommender Systems on Sales Diversity" vient combler ce manque. Et ses résultats sont riches d’enseignements :

  • Primo : les "common recommanders", c’est à dire les sites utilisant un système de filtrage collaboratif des recommandations individuelles, diminuent la diversité des ventes, parce qu’ils reposent (ces sites) sur des produits ne disposant pas d’un historique de vente suffisant. On ne recommande donc "que" les plus vendus, les plus "recommandés". Mais, l’effet saint matthieu peut dès lors indistinctement bénéficier à des produits déjà très populaires, ou à des produits inconnus mais bénéficiant d’une bonne "viralité", d’un bon "effet de buzz".
  • Deuxio : on observe une augmentation de la diversité des produits proposés ou achetés au niveau de l’individu, mais une diminution de la même diversité dès que l’on passe à une échelle, à un niveau plus global (et on retrouve donc ici notre théorie de la longue traîne) : quelques produits phares, peuvent se retrouver avec un haut niveau de recommandation, mais ce sont "quelques produits" seulement.
  • Tertio :  Les recommandations entrent en ligne de compte pour augmenter le "bruit" à l’occasion de la sortie d’un produit sur le marché. Mais là encore, deux niveaux sont à distinguer : au niveau du "produit", les recommandations ont un effet direct sur les ventes. Au niveau du "marché" (dans lequel s’inscrit le produit), on peut tout au plus dégager une "tendance", laquelle est de réduire globalement la diversité de l’offre.

A lire donc :
Fleder, Daniel M. and
Hosanagar, Kartik, "Blockbuster Culture’s Next Rise or Fall: The Impact
of Recommender Systems on Sales Diversity" (September 18, 2007).
Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=955984

(Via Pintiniblog)

5 commentaires pour “Economie de l’attention et marché de la recommandation

  1. Sur la recommandation(3)

    Ou le recommandeur des croyants ou : le petit bout de la lorgnette
    La recommandation – appliquée tout de go aux bibliothèques- peut reposer sur une ambiguïté, mâtinée d’un contresens.
    Voyons cela.
    Le mécanisme d’incitation s’appuie-t-il vraim…

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