Les blogs de chercheurs peuvent-ils sauver le journalisme scientifique ?
C’est la question que pose l’Online Journalism Review (OJR). Une question qui me semble effectivement importante, mais pas pour les mêmes raisons que celles soulevées par l’article de l’OJR (qui dénonce, à mon sens un peu hâtivement et un peu trop d’un seul tenant, la piètre qualité de la presse scientifique). Si cette question est intéressante c’est parce qu’elle pose la question de la valorisation de la recherche. J’ajoute donc ma touche personnelle à la question de l’OJR : comment valoriser la valorisation ?
Pour prendre un exemple personnel, je reçois environ un ou deux appels par mois de journalistes. Une fois sur deux, je ne m’estime pas le plus qualifié pour répondre à leurs questions (ce qui ne manque pas de les étonner … "Hein ? Ah bon ? Vous préférez nous renvoyer vers un collègue à vous ?") et je les renvoie donc vers d’autres collègues (bloggueurs ou non). Quand je m’estime compétent pour y répondre (= quand les questions portent sur mes thématiques de recherche), il m’arrive d’être surpris par la retranscription ou le résultat de l’article : l’écriture journalistique a opéré et elle a choisi de porter l’accent sur des éléments que je n’aurai pas moi-même choisis ou qui ne m’apparaissaient pas comme essentiels. Mais peu importe, car cette retranscription se veut avant tout une explicitation, et elle passe par une réécriture (celle de l’explication donnée par le chercheur).
Quand un chercheur tient un blog, l’espace de cette réécriture, vécue comme intermédiation, n’a plus lieu d’être. On peut à loisir jargonner ou tenter de se faire pédagogue. On est "dans" sa recherche, dans "sa" parole. Il n’y a pas d’autre médiation que le seul filtre de nos habitudes et nos réflexes, de nos "habitus" scientifiques. Pourtant que l’on jargonne ou que l’on vulgarise, que l’on choisisse de se centrer sur son sujet de recherche, ou bien de donner une lecture de faits de société "à la lumière" de celui-ci, c’est toujours de valorisation qu’il s’agit et aucunement de journalisme. La valorisation est, à mon sens, une modalité de discours trop souvent délaissée par les chercheurs qui ne voient point de salut hors l’excellence (leurs publications scientifiques) ou la vulgarisation (pour pouvoir être invités dans les médias ;-). Si elle est délaissée – la valorisation – c’est parce qu’elle est effectivement risquée. Celui qui valorise s’expose davantage, car la distance séparant le temps de sa recherche et le moment de sa valorisation est beaucoup plus courte, plus instantannée que dans le cas de la sortie d’un ouvrage de vulgarisation ou d’une publication scientifique. Je crois qu’elle est pourtant aujourd’hui une troisième voie non seulement nécessaire mais réellement déterminante dans un monde dominé (et c’est tant mieux pour certains aspects) par la babélisation des expertises. Le journalisme scientifique ne me paraît donc aucunement à sauver : qu’il continue simplement de défendre la science, comme il le fait depuis déjà assez longtemps, avec ses propres niveaux d’excellence (InternetActu par exemple) ou de vulgarisation. Il pourra s’adosser sur ce nouvel espace de parole qu’est celui de la valorisation.
Effectivement, les chercheurs devraient sortir plus souvent de leur laboratoire, qu’ils s’ouvrent au reste du monde à travers les blogs (ou bientôt les réseaux sociaux) pour communiquer en temps réel leur démarche, leur approche, leur cheminement pour finalement aboutir (on l’espère) à des trouvailles, des résultats publiables dans les revues scientifiques. C’est l’idée que le chemin est aussi (ou même d’avantage) important que la destination car l’intelligence collective est un processus actif avant d’être un résultat final.
Effectivement, on aimerait bien pouvoir s’y adosser plus souvent.