J’ai été récemment contacté par une très (très) grosse école privée pour participer, en tant que Vice-Président, à un "jury de délibération d’attribution du titre visé". Le titre visé, c’est celui du Master, du Bac+ 5, c’est la capacité pour une école privée de délivrer un diplôme au nom du Ministère de l’éducation nationale et de la recherche. Ce qui n’est pas rien. Plus précisément, un "diplôme visé", "C’est le label le plus élevé. Ce visa est un gage de qualité. Tout est examiné avant sa délivrance: programme pédagogique, méthodes d’enseignement, modalités d’examen … Ce critère est d’autant plus important que seuls les diplômes visés ou délivrés par l’Etat bénéficient d’une équivalence européenne. Le titulaire d’un diplôme visé a une position plus forte sur le marché de l’emploi et trouve plus facilement un emploi de cadre. Les diplômes visés sont les mieux situés à l’intérieur des grilles de salaires fixées par les conventions collectives des entreprises. Au plan international, il confère aux écoles le poids nécessaire pour conclure de s accords de coopération avec les meilleures universités étrangères." En l’occurence, l’école qui m’a sollicité est apparemment étudiée de près par le dit Ministère depuis déjà 3 ans. On peut donc supposer que l’enseignement et l’encadrement y sont effectivement de qualité. En sus, le président du Jury est un professeur d’université, doyen en économie d’une grande université française.
Et bien j’ai refusé. Ce qui n’est pas grave en soi. Ils n’auront aucun mal à trouver un autre maître de conférences en Infocom pour venir vice-présider leur jury. Si j’ai refusé, c’est parce que je trouve profondément pervers le processus actuellement engagé qui consiste à mettre sur un même plan le diplôme et la monnaie. Entendons-nous bien, le motif de mon refus (et de mon agacement) n’a rien à voir avec la qualité des enseignements délivrés dans les écoles privées, en tout cas pour les susmentionnés "diplômes visés". Des écoles privées, il en est d’excellentes. Il en est même de nettement supérieures à certains diplômes délivrés dans nos universités publiques. Mais. Mais à regarder les sommes proprement exorbitantes demandées pour entrer dans l’une de ces écoles, on se dit qu’à ce prix là, on est en droit d’avoir des exigences de qualité.
Alors pourquoi ne pas y aller ? Alors pourquoi s’énerver contre la possibilité aujourd’hui offerte à ces écoles-entreprises de délivrer des diplômes habilités et reconnus de niveau Master au nom du Ministère de l’éducation nationale et de la recherche ? Hein, pourquoi ? Et bien parce qu’accepter cela c’est à moyen terme condamner l’ensemble du système universitaire public. Dans l’enseignement public, la monnaie, la "valeur d’échange", c’est le diplôme. Le niveau Master, ce n’est pas rien. Cela représente une valeur. Et cette valeur est elle-même fixée par un certain nombre d’assurances qualitatives. Le haut niveau de recrutement des enseignants en est une (même s’il est de mauvais enseignants de haut niveau, nous sommes d’accord). Il n’empêche. Dans l’enseignement public, la monnaie, la "valeur d’échange", c’est le diplôme. Et ce diplôme, tout le monde peut se le payer. Dans l’enseignement privé, le diplôme, c’est la monnaie. Si vous payez (très très cher, je le rappelle), si vous amenez la monnaie, alors vous l’aurez. Vous aurez quoi ? Et bien vous aurez le droit d’en sortir, le droit d’être embauché, le droit de vous vendre à un haut prix, le droit de profiter d’un carnet d’adresse fourni. Mais vous n’aurez pas le diplôme. Ou en tout cas, celui que l’on vous donnera ne vous sera délivré que par l’école privée que vous avez payée, et certainement pas par le ministère de l’éducation nationale et de la recherche. Ce n’est rien un diplôme. C’est un petit bout de papier. J’en ai plein chez moi. Deug, licence, DEA, DESS (bé oui à l’époque ça s’appelait comme ça), doctorat. Certains de ces diplômes sont tirés sur du papier très commun, ils sont sans fioritures, il en est même qui semblent hâtivement remplis à la main par une secrétaire à la bourre. Mais tout cela n’ôte rien à leur valeur. Ils restent MA monnaie. Celle grâce à laquelle je peux (si je veux) m’échanger, me comparer, me situer. En autorisant les écoles privées à délivrer les mêmes diplômes que l’enseignement public, ce dernier est condamné. Au mieux, il tentera de se rapprocher de l’enseignement privé, en changeant sa monnaie, en en demandant à l’entrée, en demandant plus d’argent, plus de sélection. Au pire, il tentera de préserver son intégrité. Et ce faisant mourra, non sans panache, mais il mourra. Car il ne pourra pas lutter : on lui aura ôté sa seule arme. Et ceux qui n’y seront pas, ceux qui ne pourront plus y être, se souviendront qu’il fut un temps, où tout le monde pouvait obtenir un diplôme. Alors non, décidémment non, la monnaie de doit pas se transformer en diplôme, si l’on veut que le diplôme reste une monnaie. Voilà pourquoi je n’irai pas jouer au vice-président dans ce jury. Candide ? Naïf ? Peut-être.
Salut Olivier,
Je ne comprends pas ton raisonnement. Si on peut avoir la même reconnaissance de diplôme, soit en payant un prix exhorbitant, soit en payant un prix dérisoire, l’avantage concurrentiel va au second et non au premier. Les autres avantages que tu cites ne relèvent pas de la reconnaissance officielle du diplôme.
Je crois, bien au contraire, que réserver la reconnaissance des masters aux seules universités risque de produire des diplômes à deux vitesses et de dévaloriser les masters universitaires.
La reconnaissance européenne reste théorique. Chaque établissement ou chaque employeur restera évidemment libre d’accepter ou non tel ou tel diplôme. Il y a bien longtemps que l’enseignement supérieur est en quelque sorte harmonisé au Canada et aux USA. Cela n’empêche nullement qu’un diplôme de telle ou telle université soit plus ou moins coté.
Jean-Michel> Les diplômes à deux vitesses existent déjà et tu as raison de le rappeler. Ils existent d’abord entre le public et le privé. Et en l’occurence, vu le prix d’entrée, les écoles privées ont tout loisir d’attribuer autant de titres diplômants (bachelor, MBA et autres) en leur nom propre.
Ces diplômes à deux vitesses existent également au sein même des écoles privées (telle sup de co ne vaut pas tripette en face de telle autre), et au sein même de l’université publique, tel « master » est plus ou moins côté que tel autre (ce que tu rappelles dans ton dernier paragraphe). Mais je continue de penser qu’il est un socle commun diplômant, lequel socle reconnaît à tous les diplômes une même VALEUR, valeur qui est double : au sein du système d’enseignement public ET sur le marché de l’emploi. Même si l’on m’objectera que cela est un peu théorique, que cela ne couvre pas les cas particuliers, etc, etc … La loi n’a pas vocation à gérer les cas particuliers mais à donner un cadre. Et c’est ce cadre qui me semble aujourd’hui en danger. Si de plus en plus d’écoels privées se retrouvent en situation de délivrer des diplômes NATIONAUX, plus personne ne viendra s’inscrire dans les diplômes de l’université. Ou alors seulement ceux qui n’ont pas les moyens de s’en payer un autre. Tu pourras m’objecter qu’il est aux états-unis (mais aussi en angleterre), et peut-être au canada (là je n’en sais rien), des familles « modestes » qui pour y arriver s’endettent à vie pour pouvoir financer de « grandes » études à leurs enfants. Or ce que je décris dans mon billet me semble être une porte ouverte (de plus) à l’arrivée de ce genre de situation en France. C’est donc bien une position purement idéologique 😉
Quant à ce qui est de ton premier paragraphe sur « l’avantage concurrentiel », ton argument me semble spécieux étant donné que l’on n’est précisément pas (encore) sur un marché. Mets-toi deux secondes dans la tête d’un parent d’étudiant (ou d’un étudiant) : qu’estimerais-tu être le meilleur entre une école clinquante, suréquipée matériellement, offrant un carnet d’adresse impressionnant et une université crasseuse, avec une salle informatique pour 200 étudiants ? Le diplôme permettait jusqu’ici à la seconde de continuer à être attractive. Mais demain ?
Il se trouve que je suis parent d’anciens et d’actuelle étudiants justement ;-).
Le coût exhorbitant dont tu parles est, crois moi, aussi très dissuasif pour les parents et certains établissements publics de qualité imaginent des solutions alternatives intéressantes (Sc Po, Insa..).
Il y a, de fait, un marché et il n’est, d’ailleurs, pas que national. Je ne suis même pas sûr que l’UE accepterait ce monopole public, mais c’est à vérifier. Refuser l’évidence relève de l’idéologie, dans le mauvais sens du terme, celle qui met des œillères.
Sur les établissements publics n’ont, à mon avis, rien à gagner à jouer la carte de la protection administrative, sinon à s’isoler un peu plus pour partager leur misère et tirer vers le bas la valeur (celle qui sera reconnue de fait par les acteurs, non pas celle octroyée en amont par le ministère) de leurs diplômes. En disant cela, je ne défends pas les établissements privés, mais je fais confiance plus que toi aux capacités des collègues du public. Il est aussi indispensable de ce côté là de sortir de bien de mauvaises habitudes..
Jean-Michel> Je me doutais que mon message réveillerait ta fibre paternelle, mais je voulais éviter d’attenter publiquement à ta vie privée (par les temps qui courrent, j’aurai peut-être droit à un éditorial du Monde 😉
Bref, je reste en indécrottable désaccord avec toi sur ce point : tu cites les établissements publics de qualité (Sc Po, l’Insa). Aaaaaaaah Ben oui. Mais moi je pensais davantage à tout le reste (dont par exemple le master en nouveaux médias de l’université de picardie, ou le Master en Intelligence économique de l’université de Savoie, etc, etc.)
Si on baisse les bras sur les diplômes, il ne restera à nos facs publiques que ceux (les diplômes) dont les écoles privées ne veulent pas (parce que moins rentables). Et moi dans 20 ans j’ai pas envie de coller ma nombreuse descendance dans une école privée à 20 000 euros l’année. Bon sinon c’est pas grave, j’essaierai SciencePo 😉
Je ne sais pas si les entreprises sont naives également mais bizarrement certains diplômes fournis par les écoles privées ont beaucoup plus la côte que les masters classiques de l’université. Et les gens cherchant du travail qui en sont détenteurs n’en cherchent pas longtemps. Et pour avoir été en stage et échangé avec des personnes venant d’écoles privées, il n’y a pas photo sur le volume de travail qu’on impose aux uns et aux autres.
Néanmoins je confirme un point, que j’ai demandé à des potes dans des écoles privées, on peut avoir son diplome grace à de la monnaie, tout comme on peut décrocher un Master universitaire sans rien foutre.