C'est donc l'affaire de l'été. Bettencourt, Woerth, la communication de crise, la presse, une "certaine" presse en première ligne et en arrière plan la crise de l'autre presse. Bettencourt, Woerth, les médias, l'emprise sur les médias comme enjeu à l'empire des médias. Et le net.
En temps de crise, sur des dossiers sensibles, le recours au Net comme formidable amplificateur est désormais un fait avéré, entré dans les pratiques courantes des partis politiques. Que l'on se souvienne, au moment de la crise des banlieues, de l'achat de liens sponsorisés sur les mots-clés "banlieue", mais aussi "racaille", liens menant vers le site de l'UMP.
La "banlieue" est aujourd'hui celle de Neuilly, et la "racaille" probablement le qualificatif le plus générique qui sied aussi bien à Anelka qu'à Woerth. Bettencourt et Woerth sont des mots-clés plébiscités dans les moteurs de recherche.
En disséquant attentivement les résultats renvoyés par Google sur ces deux requêtes, on mesure assez bien quel est aujourd'hui l'enjeu de l'écosystème du Net, ce qu'il permet de révéler, ce dont il permet de se saisir, et la manière dont il peut être instrumentalisé à l'indistinct profit de l'une ou l'autre des deux parties en présence.
Les 5 invariants des grandes affaires sur le net. Sur ce type d'affaire ou de "hot topic", et depuis l'arrivée de la recherche universelle, les résultats de Google possèdent généralement une quintuple caractéristique. On y trouve systématiquement :
- un grand nombre de liens sponsorisés au bénéfice de l'une ou l'autre des parties en présence ou des acteurs concernés.
- une page Wikipédia en 2ème ou 3ème position.
- de l'information qui contextualise l'opinion sur l'affaire, grâce à la fonctionnalité Google Suggest.
- des articles "primeurs" en provenance des différentes sources de presse (volet "actualités/news")
- des vidéos qui "buzzent"
La preuve en image 🙂
Invariant 1. Liens sponsorisés.
Peu après, et flairant la bonne affaire en terme de traffic (au double sens du terme …), d'autres sites médias (en l'occurence RTL sur la copie d'écran ci-dessus) se sont également mis à investir dans ces mots-clés porteurs. Enfin, dans un troisième temps, ce sont des sites marchands (cf copie ci-dessous), sans aucun rapport avec l'affaire qui ont jeté leur dévolu sur les mêmes mots-clés, uniquement intéressés par une facilité de positionnement liée à la très grande occurrence de ces requêtes.
Invariant 2 : guerres d'édition sur Wikipédia.
Sur la requête "Bettencourt", la page Wikipédia de la dame en question fait apparaître dans l'onglet "discussion" les vestiges d'une nouvelle guerre d'édition opposant cette fois les wikipédiens qui ne souhaitent pas répercuter, au nom d'une neutralité encyclopédique, les derniers remous de l'affaire tant que celle-ci ne sera pas terminée, à ceux qui à l'inverse souhaitent faire état de ces derniers rebondissements au nom d'un principe factuel de temporalité des médias. Une opposition qui, comme le montre la copie d'écran ci-dessous, cristallise également à la perfection le story-telling, les éléments de langage et la contre-offensive gouvernementale sur l'argutie d'une certaine presse colportant des rumeurs à l'aide de, je cite, "méthodes fascistes au détriment de la présomption d'innocence la guerre c'est mal la pluie ça mouille et pour bluffer tout le monde y'a qu'à qualifier le journalisme d'investigation de journalisme du soupçon et hop ni vu ni connu j't'embrouille."
Résultat : un nombre anormalement élevé de modifications sur la page Wikipédia de Liliane Bettencourt depuis la fin Juin 2010 – rappel : médiapart sort l'affaire le 16 Juin, elle sera reprise par toute la presse à partir du 20 Juin -, et des débats assez vifs sur ce qui doit ou non y apparaître.
Invariant 3 : les requêtes suggérées.
Si en tapant Bettencourt LIliane sur Google, ce dernier ne nous suggère pour l'instant que les requêtes "Bettencourt Liliane fortune" et "Bettencourt liliane adresse", les suggestions concernant Eric Woerth sont elles beaucoup plus connotées et attestent, pour le coup effectivement, de réelles tentatives de manipulation et de ragots anti-sémites.
Comme le montre la copie ci-dessus, c'est l'adjectif "juif" qui est le plus fréquemment accolé à la requête "Eric Woerth". Les sites répondant à cette requête sont pour l'essentiel des ramassis d'immondices antisémites.
Côté Wikipédia, pour la page Eric Woerth, on retrouve les mêmes débats, exposés aux mêmes motifs que sur la page de Liliane Bettencourt.
Et très vite le chapitre de "l'affaire Bettencourt" fit son apparition sur la page d'Eric Woerth.
Que retenir de tout cela ? Plusieurs choses.
- Que d'un strict point de vue éditorial, l'ADN de la presse "papier" et celui du Net sont composés des mêmes brins d'influence, d'opinion et d'information. Dans les mêmes proportions. N'en déplaise à nos nouveaux ministères de l'information.
- Que les pratiques documentaires liées à l'achat de liens sponsorisés font aujourd'hui partie intégrant d'une stratégie média minimale.
- Que les pratiques de redocumentarisation des guerres d'édition wikipédiennes sont toujours pleines d'enseignements.
- Que le meilleur allié de Wikipédia est sa nature "transparente" et la possibilité offerte à chacun non pas de la modifier mais bien de consulter les modifications effectuées par l'ensemble des autres. Et que de la même manière la presse ferait bien de ne pas oublier que son meilleur allié demeure l'investigation et l'enquête.
Pour terminer simplement 3 recommandations. Lisez le billet Boomerang de Maître Eolas. Et abonnez-vous à Médiapart. Regardez l'émission d'Arrêt sur Images : édifiante. Et abonnez-vous à Arrêt sur images.
Très bon article. Mais si je peux me permettre, il suffit de mettre le nom de quasiment n’importe quelle personnalité (politique, médias, cinéma…) sur google pour que leur soit accolé le terme « juif » dans les suggestion de recherche… Ce n’est pas une spécificité de M. Woerth (même si pour lui c’est apparu après l’affaire).