Ayé. L'AERES (agence d'évaluation de la recherche) vient de publier le résultat de 4 années de travaux. Cela s'intitule : "Analyses régionales des évaluations réalisées entre 2007 et 2010." Sobre.
Jean-François Dhainaut, personnage controversé et grand gourou de ce grand machin-chose, affirme que "Ce n'est pas un palmarès". Certes. Surtout quand on sait que "Ceci n'est pas une pipe".
Bon ben j'ai tout lu. Oui je sais je suis un grand malade. Je me suis particulièrement attaché à lire en détail la partie concernant l'académie de Nantes (qui est aussi l'université qui m'emploie pour l'instant). Et j'ai ainsi pu avoir la confirmation qu'il ne s'agissait effectivement en rien d'un palmarès, pas davantage d'une mise en concurrence des universités, non non non Madame, non Monsieur, puisqu'on peut y lire par exemple, ceci (je souligne) :
Les masters
Dans l’académie de Nantes, les notes attribuées aux masters SHS par l’AERES sont globalement en dessous de ce que l’on pourrait attendre. Seules 20 mentions sur 45 ont obtenu un A et moins de la moitié des spécialités. Ce résultat global ne doit pas masquer les disparités entre établissements. Les 2 plus petits tirent l’ensemble vers le bas : moins de 38 % des mentions à Angers et moins de 29 % au Mans ont été notées A. Dans cette dernière université, seule une spécialité sur 3 obtient la meilleure note. (…)
Ou encore ceci (je souligne) :
"Globalement, les résultats de l’évaluation de la recherche en SHS dans l’académie de Nantes sont de bonne qualité : plus de la moitié des unités évaluées ont obtenu la note A (soit 12 % de plus que le niveau national). Il faut toutefois souligner l’absence complète de notes A+. Le taux de notes B et C est dans la moyenne nationale.
Le tout assorti de splendides infographies qui là encore se gardent bien de toute tentative de palmarès en classant les universités et/ou secteurs disciplinaires et/ou laboratoires de recherche du meilleur au plus mauvais.
(çui-là, de graphique de l'académie de Nantes, ça va encore, mais y'en a d'autres – académies et universités – dans lesquelles on va bientôt voir se multiplier les demandes de mutation ou les tentatives de vol en apesanteur depuis la fenêtre du troisième étage)
Dans cet exemple ci-dessus, on voit bien par exemple qu'il est très pertinent de faire partie de l'une des écoles doctorales des universités d'Angers et du Mans. On voit bien aussi qu'il est parfaitement impossible d'établir un palmarès de la meilleure offre universitaire en Master dans l'académie de Nantes.
Tout le reste est à l'avenant. Alors bien sûr un tel document synthétique de 598 pages sera utile au politique et il lui est même – peut-être – nécessaire pour "se faire son idée", et puis c'est du sérieux hein, du lourd, "10 000 évaluations par plus de 4500 experts français et internationaux." Voilà voilà voilà. Mais qu'entend-je ? Il se murmure que beaucoup des fameuses evaluations ont été réalisées par les laboratoires eux-mêmes ? Y'en-a-qui-disent-que la plupart des tableaux concaténés par l'AERES étaient déjà disponibles dans les services administratifs des universités concernées ? On murmure que l'AERES a mis au chômage d'autres grands machin chose (çui-là, çui-là aussi, et encore plein d'autres). On sous-entend que munis de si nets et définitifs palmarès indicateurs, le pouvoir politique en place (ou les universités autonomes, ce qui est la même chose, ces dernières ne servant in fine que l'intérêt du premier) on sous-entend, disais-je, que le pouvoir politique en place ne sera pas tenté de supprimer les formations les moins bien notées performantes. Toujours plus pour les plus grandes (pôles d'excellence et tutti quanti) et toujours moins pour les plus petites. Libéralisme programmatique.
On me chuchote aussi à l'oreille que mobiliser "4500 experts français et internationaux" pour constater que les universités les plus riches / importantes sont celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu, c'est un peu comme demander à Marc Toesca de présenter à nouveau le Top 50 : c'est tout à fait possible mais est-ce vraiment nécessaire ??
A lui seul, et si vous n'avez pas le temps et/ou le courage de vous cogner la lecture des 598 pages, le communiqué de presse fourmille de révélations toutes plus inédites les unes que les autres. On y découvre en effet que :
une relation très forte existe entre la qualité de la recherche et celle des masters et inversement
c'est vrai. Il existe également une relation très forte entre l'intensité de la pluie qui tombe et le degré d'humidité des vêtements portés par ceux qui sont dessous lorsqu'elle tombe.
la collaboration est devenue effective entre les universités et les écoles, entre les universités et les organismes de recherche, entre les universités et les CHU et entre les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche et ceux du monde socio-économique ;
c'est également vrai. D'ailleurs précisons qu'avant l'invention de l'AERES et l'envoi de sa cohorte d'experts, les chercheurs refusaient catégoriquement d'adresser la parole au monde socio-économique, que les CHU n'avaient jamais entendu parler de l'université, etc.
une dynamique des grandes métropoles a été engendrée par la préparation aux récents appels d’offres tels l’opération Campus et le Grand Emprunt. Ces métropoles ont mis en place une réflexion autour de projets collaboratifs permettant l’implantation de grands plateaux techniques
c'est vrai. Quand on te fais un chèque de plusieurs dizaines de millions d'euros à partager avec les autres universités de ton académie (opération Campus et Grand Emprunt), tu as tendance à ne pas t'enfuir avec ledit chèque mais à discuter avec ses autres destinataires des meilleurs moyens d'employer cette manne (= "réflexion autour de projets collaboratifs etc.")
au sein des régions, hors des grandes métropoles, des collaborations étroites sont indispensables pour atteindre la masse critique qui permettra de travailler à armes égales avec les grandes métropoles ;
c'est vrai. Quand tu es tout petit et que tu veux lutter contre un très grand, soit tu attends 20 ans de grandir, soit tu t'allies avec d'autres touts petits. C'est une loi scientifique édictée après 4 ans de travail acharné par plus de 4500 experts français et internationaux.
les universités de création récente remplissent le plus souvent remarquablement leur mission de proximité. Leur mission de recherche, plus difficile à accomplir, ne peut se concevoir qu’en tissant des liens avec les grandes métropoles.
c'est vrai. Pour des raisons qui échappent encore au monde scientifique, il est assez délicat d'installer un collisionneur de hadrons dans toutes les petites universités de province. Et Jean-François Dhainaut de conclure ce splendide communiqué de presse en indiquant (je souligne) :
que l’AERES a insufflé une culture qualité et d’autoévaluation dans les universités et initié une dynamique de progrès. Cette 1re évaluation cartographique est un outil novateur (sic) et indispensable (double-sic). Il faut maintenant aller plus loin : l’étendre aux écoles, valider les procédures d’évaluation du personnel, promouvoir l’autoévaluation et l’évaluation à l’international.
Allez, Jean-François, un p'tit palmarès une p'tite pipe ?
Moralité. L'AERES est un outil. Une sorte de marteau. Qui, en d'autres mains et d'autres temps aurait pu servir a consolider l'édifice de la recherche universitaire française, bien moins branlant et chancelant que ne le prétendent certains politiques. Ledit marteau ne servira ici au mieux qu'à placarder un palmarès, et au pire, à taper sur les doigts de certaines universités puis de certains chercheurs. J'ai de toute façon toujours préféré l'idée d'un marteau sans maître.
<Update du lendemain> Je vous recommande chaudement la lecture du communiqué des Directeurs d'Ecoles d'Ingénieurs suite à la livriason de l'AERES. Ci-dessous quelques extraits qui me semblent très bien pointer tous les travers et dangers dont cette agence est porteuse :
"Sur la forme, la CDEFI conteste le rôle que s’attribue l’AERES dans la rédaction d’une étude de cette nature. Elle rappelle que l’AERES est une agence d’évaluation selon les termes de la Loi et qu’à ce titre elle a vocation à évaluer les formations universitaires existantes. En aucun cas, il ne lui appartient à ce jour d’élaborer le cahier des charges de formations à venir."
"Par ailleurs, la CDEFI constate la fragilité de la légitimité du groupe réputé avoir contribué à la rédaction de l’étude. Elle remarque notamment que deux des personnes citées ont déjà publié un communiqué indiquant ne pas avoir été associées à ce travail et ne pas en partager les conclusions. Elle souligne également l’absence notoire de représentants du monde économique, alors-même que cette étude prétend s’intéresser au métier d’ingénieur"
"la CDEFI rappelle à la Présidence de l’AERES que la Loi LRU prévoit l’existence de deux conférences consultatives pour l’Enseignement supérieur et la Recherche en France : la Conférence des Présidents d’Université et elle-même. Elle s’étonne que sur un sujet intéressant directement les formations d’ingénieurs, elle n’ait été pour le moins tenue informée de la démarche, au mieux consultée sur son opportunité."
"Enfin, sur le cas particulier des formations au métier d’ingénieurs au sein des universités. La proposition de création d’un ‘‘modèle 4’’ est sans fondement du point de vue du diplôme d’ingénieurs. La CDEFI souligne sur ce point qu’il existe en France aujourd’hui 50 écoles d’ingénieurs internes aux universités. Elle rappelle que ces écoles, composantes d’universités, sont particulièrement dynamiques et contribuent largement à l’attractivité de leur établissement de tutelle. Aujourd’hui, il n’y a guère d’universités à composante scientifique qui n’ait sa propre école interne. Et ces écoles diplôment près d’un ingénieur sur 5. Elles ont une mission d’ascension sociale incontestable avec un taux de boursiers dépassant pour la plupart le seuil symbolique des 30 %. C’est pourquoi la CDEFI s’inquiète de cette prise de position de l’AERES et déplore l’introduction d’une concurrence inutile entre les formations au sein d’une même université alors que nous sommes confrontés à des impératifs de lisibilité de notre offre de formation."
</Update du lendemain>
Je crois qu’on n’a tous fait le tour de la question : flux d’arrogance continue, de mousse. Le mélange de ton guerrier et de ton commercial m’est vraiment désagréable.
En tout cas, c’est sympa de savoir que les “étrangers” s’appelle les “internationaux”. Si Jen-Marie savait ça… J’aurais dit que le comité était international, mais que les experts étaient étrangers – chacun n’ayant généralement qu’une nationalité. M’enfin, on n’est pas à ça près. “International”, c’est beaucoup plus chic, hein, Jean-François ? Et être chicos, c’est bien ça le but, visible, lisible et risible, comme on disait.
Projet pour le prochain quadriennal : tous ces clowns dehors en 2012.
oups, “qu’on a”, s’ “appellent”.
Et surtout : bonne année jean-françois 🙂
Les universités ne sont pas seules concernées. En école supérieure d’art, c’est assez dramatique parce que l’Aeres nous évalue sur des critères universitaires pour savoir si on a droit au grade de Master… Apparemment les collègues allemands ont eu la sagesse de dire merde dès le début, tandis qu’en France, on a été assez mou, personne ne prenait l’affaire au sérieux et maintenant c’est la panique, la course au recrutement de docteurs, tous les profs s’inscrivent à la fac pour reprendre leurs études, les établissements changent de statut juridique dans une précipitation ahurissante… et tout le monde commence à comprendre que 25% du temps pédagogique va désormais être supprimé au profit de tâches administratives destinées à se faire passer pour les universitaires que l’on n’est pas. Bah.