J’avais ce matin, un cours de « bibliothéconomie » avec mes étudiants de 2ème année du DUT infocom de La Roche sur Yon. En fait, je leur fais surtout un cours sur les bibliothèques et le numérique. Et voilà que comme d’autres je découvre hier grâce à l’excellent travail de veille du site Actuallité, que Numilog alimente Gallica en ouvrages pornographiques.
Le pervers que je suis prof que je suis se mit aussitôt à bondir de joie car je tenais là, enfin, l’exemple parfait pour rendre excessivement concret l’essentiel des notions théoriques vues en cours. Les voici.
Primo : la question du modèle marchand (ou à tout le moins hybride) de la bibliothèque. Le programme par lequel Gallica présente depuis désormais deux (?) ans une offre d’ouvrages commerciaux « achetables » sur son portail doit être débattu. Non pas du point de vue du modèle marchand en lui-même (je suis convaincu que dans peu de temps, les bibliothèques vendront des livres, et que les frontières métier entre éditeur, libraire et bibliothécaires n’auront plus les mêmes raisons d’être, voire plus de raison d’être du tout). Non pas du point de vue du modèle marchand donc, mais du point de vue du modèle bibliothéconomique.
Deuxio : une bibliothèque numérique gère des flux et non plus uniquement du stock. Et le flux, c’est tendu. Avec du stock, impossible de laisser passer une telle bourde. Avec du flux (en l’occurrence les remontées de Numilog), impossible d’emplyer les même modes de gestion. Soit on ouvre le robinet, soit on le ferme, mais quand il est ouvert … ben ça coule.
Tertio : la question des fonds propres. Une bibliothèque numérique est faite (ou devrait être faite) pour gérer au moins trois différents types de fonds : ses fonds propres (documents physiques), les documents qu’elle numérise elle-même, et les documents en provenance de différents silos répartis sur le net (archives ouvertes par exemple). Et on le voit bien ici, la question des fonds commerciaux (physiques ou numériques) pose des problématiques … différentes.
Quatrièmement : l’importance des métadonnées. Devant une telle bévue, plusieurs solutions, dont celle de supprimer illico tous les documents répondant à des mots-clés par trop explicites. Or le fond de Gallica contient une foule de document à la valeur littéraire ou patrimoniale incontestable qui regorgent d’insanités en tous genres (Les chants de Maldoror de Lautréamont ou les 11 000 Verges d’Apollinaire pour n’en citer que deux). L’objectif n’est pas de rétablir une nouvelle forme « d’enfer », impossible donc de virer les documents contenant le mot « grosse cochonne », « fellation » et j’en passe. D’où l’importance des métadonnées au regard de celle du texte brut même OCRisé : les métadonnées sont aux bibliothèques – et donc aux citoyens – ce que les frappes chirurgicales sont à l’armée : la possibilité théorique d’éviter les dommages collatéraux. En l’occurence, une fois identifiée les quelques éditeurs et/ou collections incriminées, rien de plus simple de les effacer de la base Gallica, rien de plus simple que de tarir non pas l’ensemble du flux (cf supra le robinet ouvert) mais simplement l’une de ses parties.
Cinquièmement : la réactivité et l’importance des réseaux sociaux. Après l’incident, le nouvelle s’est évidemment complaisamment et largement répandue sur les réseaux sociaux, Twitter et Facebook en tête. Cela demandera à être vérifié mais il est plus que probable que c’est par l’un de ces 2 canaux qu’elle est remontée jusqu’à l’équipe de Gallica en charge de ces questions. Laquelle équipe à ensuite fait diligence pour que les documents incriminés ne soient plus accessibles. Ils ne seront en tout et pour tout restés en ligne que quelques heures (même si l’on peut encore douter de la valeur littéraire et/ou patrimoniale de cet ouvrage et de ceux conseillés en parallèle ;-).
Bref le « community management » est naturellement aussi l’affaire des bibliothèques (et ce n’est pas l’équipe de Gallica, qui fait un authentique et innovant travail de médiation sur les réseaux sociaux qui me démentira)
Moralité : pour toutes les raisons citées ci-dessus, merci aux grosses cochonnes de Gallica de m’avoir permis de bien démarrer mon cours de ce matin 🙂
Je soupçonne l’ami Silvère d’être dans le coup, de longue date le bougre!
http://www.bibliobsession.net/la-cage-aux-bibliothecaires/
Bonjour,
J’avoue que la lecture de votre billet, « Les grosses cochonnes de Gallica », si, comme tout le monde, elle m’a amusé, m’a laissé finalement plus que perplexe, voire effrayé. En effet, vous semblez trouver parfaitement naturel, et vous en féliciter même, que, au bout de « quelques heures », et par « la diligence » des « réseaux sociaux », les documents « incriminés » (le terme n’est pas neutre) ont été enlevé ou, plus exactement, « ne sont plus accessibles ».
Mais, au nom de quoi, exactement, a-t-il été procédé à la suppression de ces documents ? Contrevenaient-ils à la législation sur la diffusion de documents à caractère pornographique, ou tout texte réglementaire du même genre ? Si oui, il aurait été bien de le préciser.
Sinon, je dois dire que le fait que tout cela vous semble naturel me laisse plus qu’accablé. Chacun sait que, par le biais du dépôt légal, la Bibliothèque nationale de France obtient, par exemple, tous les DVD de films X édits en France et que, à ma connaissance (ce point, je le reconnais, mériterait d’être vérifié) ces documents peuvent être consultés par des chercheurs au rez-de-jardin de la bibliothèque.
J’entends déjà les rires gras qui accompagnent : des « chercheurs » sur des sujets pareils ! Et alors ? En quoi le film X ne pourrait-il pas, comme n’importe quel autre domaine, être un objet de rechercher et d’élaboration de connaissance ?
Et qui êtes-vous ou, pardonnez-moi, qui sont ces (anonymes) contributeurs de réseaux sociaux pour s’ériger en censeur, au nom de quelle conception de la « morale » ? Qui dicte ce qui est érotique et reconnu, ou pornographique et à rendre non accessible ? Comme vous le notez vous-même, Lautréamont (j’avoue que je ne comprends pas trop, mais bon…) ou Apollinaire sont en accès libre, de même, je le suppose, que « Les bijoux indiscrets » de mon cher Diderot, pour Sade, c’est moins sûr, allons vérifier ensemble. A lire le résumé de l’ouvrage ainsi « mis en valeur », et j’ai conscience de ce que j’écris, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. L’effraiement me paraît en l’espèce bien ridicule quand on songe à tout ce qu’on peut, en un clic, obtenir en accès libre (ce qui, sauf erreur, n’est pas le cas ici) sur des sujets disons « approchants » (essayez « zoophilie » pour voir).
Je suis désolé d’avoir à le mentionner, mais les mots ne sont pas neutres, vous le savez comme moi. Quand, avant de le barrer, vous employez le mot « pervers », vous impliquez que toutes les personnes qui lisent ce genre de prose sont des pervers. J’aurais tendance à penser, pour ce qui me concerne, qu’il s’agit plutôt de malheureux, mais là n’est pas le problème. Le problème, c’est qu’un groupe anonyme, ne s’appuyant sur aucun argument réglementaire et, même, sur aucune doxa morale affichée (les groupes cathos, eux au moins, jouent franc jeu), décide de ce qui doit être « accessible » ou pas par le biais du site de la Bibliothèque nationale de France – et, à moi, cela paraît grave, mais aussi significatif, pour brasser large et de manière caricaturale, je le reconnais, d’une sorte de puritanisme informatique, vaguement égrillard, mais résolument machiste et frileusement puritain (je ne vous compte pas, cher ami, dans ce nombre).
J’ai aussi conscience d’être injuste, car il me semble avoir compris que ce qui vous importe (préoccupe ?) c’est l’image de la Bibliothèque nationale de France, « pourvoyeuse de documents pornographiques » (je suis sûr que ça va plaire à « Libération »). N’est-ce pas un peu rapide ? La BnF n’a-t-elle pas, entre autres, initié une excellente exposition explicitement intitulée « X » ? Là encore, il y a sans doute bien d’autres chats à fouetter (oui, je sais)…
Entendez-moi bien, je ne fais pas l’apologie de ce genre de prose, et, appliquée à un autre domaine (mais peu restent aussi « sensibles », la preuve), j’aurais appliqué exactement le même genre de raisonnement. Bon, vous allez aussi me prendre pour un « pervers », ce n’est pas grave, il y a des réputations plus lourdes à porter…
Et puis, de toute façon, et pour conclure et asséner, ce n’est pas le problème : personne, surtout anonymement, ne peut s’ériger en censeur dans un pays libre où la censure est réglementée.
Yves DESRICHARD, qui ne peut cacher qu’il est rédacteur en chef du « Bulletin des bibliothèques de France », mais qui, en l’espèce et bien sûr, s’exprime à titre personnel.
Voir une suite donnée à votre billet http://bibnum.over-blog.com/article-musarder-sur-gallica-93428779.html