« Comment les réseaux sociaux chamboulent les usages sur le web »

Interrogé par l'AFP (article consultable notamment ici ou ), je reproduis, en le développant un peu, l'argumentaire de cet entretien.

Verbatim 1 : Les jardins fermés.

"les écosystèmes fermés de type Facebook ou Apple prennent de plus en plus de place au détriment du web +ouvert+, ils focalisent l'attention et ramènent tout à eux"

Facebook est un écosystème qui ne peut exister que s'il est fermé. Comme Google, il est bâti sur une économie de l'attention, mais à la différence de Google qui ne peut croitre que sur des interactions externes (nombre de sites auxquels il donne accès par exemple), Facebook ne peut croître que sur des interactions internes. Cette fermeture est la condition nécessaire pour pouvoir ensuite "vendre" des collections de profils hyper-segmentés. Facebook n'est naturellement pas le seul écosystème de ce type et il s'inscrit dans ce que Tim Berners Lee appelle les "walled gardens", les "jardins fermés" du web, menaçant ainsi une certaine conception d'un web ouvert. (cf mon billet sur une géopolitique du web)

Verbatim 2 : Effondrement de la valeur symbolique.

"Si on a 400 amis sur Facebook, on va envoyer 400 cartes de voeux en un clic", renchérit Olivier Ertzscheid, universitaire spécialiste de l'internet et maître de conférences à Nantes. "Il y a une sorte d'hyper-déterminisme qui fait qu'on se retrouve contraints de souhaiter des voeux ou des anniversaires non pas à 15 amis très chers, mais à tous ses +amis+ Facebook", résume-t-il. L'universitaire met en relief "un effondrement de la valeur symbolique de certaines interactions sociales, comme fêter les anniversaires par exemple: les dates de naissance sont rappelées par l'algorithme de Facebook, et il est donc impossible de ne pas s'en souvenir".

Sur Facebook, on constate un double phénomène qui pourrait devenir rapidement préoccupant. Tout d'abord, un effondrement valeur symbolique – ou une dé-symbolisation – de la plupart interactions sociales courantes (voeux, anniversaires). S'y ajoute un hyperdéterminisme qui conditionne les mêmes interactions sociales. C'est toute la question (largement traitée sur ce blog) des ingénieries relationnelles.

Verbatim 3. De Facebook comme rite initiatique.

"souvent, pour les jeunes, l'inscription sur Facebook est comme un rite initiatique qui signe leur entrée dans le monde numérique. Et c'est ensuite cet écosystème qui va conditionner toutes leurs pratiques connectées ; ils vont interagir sur le web comme ils interagissent sur Facebook."

Ce phénomène pose (ou repose) la question de l'inné et de l'acquis à l'échelle de la culture "numérique". A l'heure où tout le monde commence à s'accorder – tout au moins les gens intelligents 🙂 – sur l'inanité des brevets de compétences informatiques et autres C2i, à l'heure où – dans le même temps – tout le monde commence aussi à reconnaître (avec à peine 10 ans de retard) l'importance d'un réel enseignement de la culture numérique (le cours est déjà tout prêt, y'a qu'à se servir), débarque une génération dont on se contrefiche de savoir si elle est Y ou Z, mais qui est en revanche incontestablement biberonnée au placenta facebookien, une génération qui, "en s’inscrivant sur Facebook à 15 ans, n’a que très peu souvent conscience d’entrer en documentation de soi." Une génération qui méconnaît hélas trop souvent les enjeux de la culture "libre" (Stallman, Lessig et les autres) tant l'écho médiatique du copyright, de l'Hadopi, et de la criminalisation des pratiques connectées est pregnant et médiatiquement univoque. Une génération des supermarchés numériques que sont Apple, Amazon et donc, Facebook. Une génération des jardins fermés, une génération locataire d'environnements toujours plus propriétaires, de jardins sans autre chose à cultiver qu'une socialisation sous contrôle, qu'une consommation culturelle massifiée.

Verbatim 4. De la pregnance probable des sociabilités numériques.

"On est à une époque charnière: avant, on allait chercher dans le numérique le même type de relation qu'on avait dans la vraie vie. Et aujourd'hui on est tenté d'aller chercher dans la vraie vie des interactions qui sont courantes dans les environnements numériques, où on passe plus de temps", résume Olivier Ertzscheid."

Si la citation est parfaitement exacte et conforme a ce que j'ai raconté pendant l'interview, j'avoue, à la relecture, qu'elle est un peu abrupte. Le point que je voulais souligner sans y parvenir dans l'exercice de captation en direct, était le suivant : l'utilisation massive des écosystèmes numériques fermés (réseaux sociaux mais aussi supermarchés Appel et Amazon) va inévitablement poser la question de la pregnance des habitus générés sur le plan de la consommation mais aussi de la socialisation. De la même manière que l'usage des moteurs de recherche et plus exactement de la "onebox" de Google a contaminé (heureusement souvent pour le meilleur mais parfois aussi pour le pire) l'ensemble des interfaces d'accès à l'information, l'ensemble des modes opératoires de recherche d'information, de la même manière donc que l'immense majorité des outils de recherche et d'accès à l'information ont "subi" un effet d'alignement contraint, il faut aujourd'hui s'interroger (quand on est sociologue, ce que je ne suis pas) sur l'effet de pregnance qu'auront les modes d'interactions sociales connectées sur l'ensemble des modes de socialisation (numériques ou non). 

Voilà. Merci à Katia Dolmadjian de l'AFP pour cet entretien.

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