Google cache des juifs.

On vient donc d'apprendre (Le Monde, Numerama, PC Impact) la conclusion d'un accord secret entre Google et un certain nombre d'associations représentatives juives et anti-racistes pour supprimer le mot-clé "juif" de la liste des suggestions sur un certain nombre de requêtes.

Je vous suggère de vous arrêter.

Je ne vais pas revenir sur l'affaire, m'étant déjà largement exprimé sur le sujet. Juste vous rappeler que les billets en traitant sont toujours consultables, principalement ceux-ci 🙂

Ainsi que ceux du Maestro Jean Véronis :

Cet accord laisse ouvertes un certain nombre de questions :

  • quelles seront les mot-clés et/ou nom de personnalités qui se verront ainsi "coupés" de leur judéité effective ou supposée ?
  • qu'en sera-t-il des mot-clés et/ou nom de personnalités dont la judéité est précisément attestée ?
  • cette démarche sera-t-elle élargie à d'autres suggestions embarassantes ?
  • sur quels critères ? selon quelle(s) motivation(s) ?
  • la suppression se fera-t-elle "à la main" ou de manière algorithmique ?
  • et bien d'autres choses encore.

Attendons donc de voir si, comme on semble nous le promettre, "(…) vous verrez très prochainement – c’est une question de semaine voire de quelques mois  - les résultats de ce partenariat. Cela aura une visibilité extrêmement forte, notamment sur Google" (source). Et dans l'attente, reprécisons une énième fois que le coeur de cette écologie cognitive, de cette écologie de l'information sur le web tient aujourd'hui plus que jamais à notre capacité d'être capable de déterminer ce qui, de l'activité de requêtage à la navigation dans des contenus, participe d'une engrammation (mise en mémoire choisie ou subie) et/ou d'une programmation.

Le web stéréotypique

Rappelons également que jamais, j-a-m-a-i-s dans l'histoire de l'humanité, y compris en y incluant la télévision voir même le journal de Jean-Pierre Pernaud, jamais dans l'histoire de l'humanité une seule et unique entreprise ne fut en mesure de peser autant sur la fabrication de nos modes de pensée que ne l'est actuellement Google. Que jamais non plus, la manière dont elle le fit ne fut aussi opaque. Que jamais enfin nous ne l'acceptâmes avec une telle naïveté, avec une telle candeur.

Stéréotypique. Du grec "stéréos" qui signifie "ferme, dur, robuste, vigoureux" et "tupos", qui signifie "empreinte, marque". Comme cela est rappelé dans cet article :

"C'est à Walter Lippmann (1922) que l'on doit la notion de stéréotype dans son acception psychologique. Ce terme de "stéréotype" existe depuis 1798 et désigne un coulage de plomb dans une empreinte destiné à la création d'un "cliché" typographique. Lippmann désigne par là les images que nous nous construisons au sujet des groupes sociaux, des croyances dont il veut souligner la rigidité par le recours à ce terme d'imprimerie. Selon lui, ces images nous sont indispensables pour faire face à la complexité de notre environnement social ; elles nous permettent de simplifier la réalité pour nous y adapter plus facilement. Par ailleurs, ces représentations ne sont pas dépourvues de conséquences négatives. Les comportements discriminatoires tels que le racisme ou le sexisme s'accompagnent en effet de représentations stéréotypées des groupes à l'égard desquels la discrimination s'exerce."

D'autre part (voir cette fois par ici) :

"La stéréotypie désigne un état de simplification des dimensions des stimuli, d’immédiateté de la réaction et, parfois, de rigidité. À un autre niveau, plus fréquentiel, cette notion exprime le degré de généralité d’une opinion, d’acceptation ou de rejet d’une représentation, d’un groupe ou d’une personne. La fonction de la répétition des associations qui contribue à l’établissement du stéréotype, l’orientation polarisée qu’elle engendre imposent le parallélisme avec la propagande."

Et plus loin :

"L'idée de jugement en extrême a pour but de ne présenter qu'une seule réponse, une seule voix, sans aucune solution de rechange. (…) Voilà pourquoi les stéréotypes sont les éléments qui incitent à l'action. Ils donnent la solution ultime. On ne discute pas, on agit."

Nous sommes ici au coeur du choix qui se présente aux acteurs majeurs du Search au travers des derniers programmes de personnalisation et de facilitation du requêtage : il s'agit d'apporter non plus des réponses mais "la" réponse. "Le" résultat, actionnable et monétisable parce qu'il maintient l'internaute au coeur de l'écosystème hôte et/ou lui permet (à l'écosystème hôte) de coupler l'intentionalité présidant au requêtage à une action de consultation qui devient littéralement et immédiatement "capitalisable" (cf le capitalisme linguistique déjà traité).

"Mythe et stéréotype"

Le Trésor de la Langue Française nous indique de son côté que le 3ème sens du terme stéréotype, en linguistique et en stylistique, désigne une "association stable d'éléments, groupe de mots formant une unité devenue indécomposable, réemployée après avoir perdu toute expressivité et avec une fréquence anormale." La bascule en train de s'accomplir sous nos yeux fait de cette "unité devenue indécomposable" un préalable, une condition d'optimisation et non plus un résultat, une résultante. Car pour l'abolition programmée du mot juif, l'essentiel des suggestions proposées par Google demeurent essentiellement stéréotypiques, faisant l'économie de tout ou partie des circonstances englobant la requête pour mieux alimenter la pompe à phynance du site.

Google s'installe comme un pourvoyeur de mythologie, une machine à fabriquer du mythe sur des catégorisation stéréotypales.

"En passant de l’histoire à la nature, le mythe fait une économie : il abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences, il supprime toute dialectique, toute remontée au-delà du visible immédiat, il organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence, il fonde une clarté heureuse : les choses ont l’air de signifier toutes seules." Roland Barthes. Mythologies. 1957.

 

2 commentaires pour “Google cache des juifs.

  1. Éloignons-nous un peu des stéréotypes et demandons-nous un instant : pourquoi l’auto-complétion ne fonctionne-t-elle pas pour des mots comme « porno » ou « sexe » ? Ne s’agit-il pas de requêtes un peu plus fréquentes que celles consistant à se demander si telle ou telle personnalité est juive ou non ?

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