Complicated Commons

Il y a les biens communs. Il y a "l'utopie pragmatique". Il y a les biens communs informationnels. Il y a la lutte contre les enclosures informationnelles. Il y a ce billet de Xavier Delaporte, l'idée que l'idée de Montebourg d'interdire Google n'est pas si absurde que cela. Qu'il y aurait un monde d'après. Il y a l'annonce des résultats de Twitter lors de la grand messe d'hier soir, pas vraiment brillants, qui m'inspire ce tweet rapide, caricatural, inexact :

Et puis il y a cette réalité obsédante qui fait que l'essentiel des communs informationnels même explicitement déclarés comme tels (par le biais de licences creative commons par exemple) sont aujourd'hui hébergés et/ou accessibles, dans des plateformes principalement structurées autour d'enclosures.  

Internet : média adroit.

Il y a cette folie galopante d'une course à la propriété, à la mise à bas de l'appropriation en dépit même du bon sens : DRM partout, grignotage patient et systématique du domaine public établi, il y a le triangle des bermudes de la judiciarisation / criminalisation / pénalisation de la consultation et de l'accès. Jusqu'où ? Vers de nouveaux procès en sorcellerie algorithmique ?

Il y a l'incapacité politique non pas à trancher (la LCEN le fait) mais à donner du sens à la question de la responsabilité de l'hébergement de contenus, non parce qu'internet serait une zone de non-droit qu'il faudrait à toute force "civiliser", mais parce que nous refusons de voir que le droit s'y applique déjà mais de manière "adroite" ; qu'il n'est pas "a-droit(e)" (a privatif = "sans droit") mais qu'il s'appuie sur le droit de manière "adroite", "habile", "élégante", qu'internet est littéralement un adressage du droit et que ce n'est pas le droit mais l'adressage qui pose problème ; qu'internet s'inscrit d'abord dans l'espace du droit par sa dextérité à en pointer les limites, à en changer l'adresse si nécessaire ; qu'internet rend au droit sa nature première, celle d'être l'espace d'une négociation possible dans le cadre de règles collectives édictées, de se déployer dans une nature et un espace personnel et social circonstanciel (les fameuses circonstances aggravantes ou atténuantes) ; qu'internet nous ramène aux fondements historiques du droit, la coutume, le "droit coutumier" ainsi défini dans Wikipédia :

"C'est un usage, né de la répétition, à moins qu'une clause de non-préjudice n'empêche celle-ci de constituer un précédent. (…) Si l'usage découle de la contrainte, on parlera de mauvaise coutume. En tout état de cause, le non-usage c'est-à-dire la désuétude met un terme à la coutume."

Négation du négoce de la négociation.

Il y a ces perpétuels reniements, privé un jour, anonyme le lendemain, public et sous identité réelle le lendemain, de nouveau anonyme le surlendemain pour regagner quelques parts de marché, quelques nouveaux prospects, quelques nouveaux deniers. Il y a ces "policies" en renégociation permanente. Chez chacun des acteurs. Il y a l'acopie. L'Hadopi. L'incurie manifeste. La gabegie.

Business partout, ROI nulle part.

Il y a l'oubli. Nous nous souvenons de la bulle spéculative internet mais nous avons oublié que l'essentiel des biotopes qui structurent aujourd'hui notre réalité connectée ne furent pas rentables avant plusieurs très longues années, que certains ne le seront probablement jamais.

Il y a cette profonde et à terme intenable dichotomie : Google est le premier soutien financier de la fondation Mozilla. De fondations en fonds de soutien, un grand nombre de systèmes "libres" sont d'abord financés et viables grâce à des fonds privés de sociétés et des firmes qui conditionnent dangereusement les possibilités mêmes de leur survie. Seule Wikipédia semble encore parvenir à vivre principalement d'une authentique économie du don même si l'équilibre est à chaque fois remis en question.

Il y a cette évidence des alternatives qui même lorsqu'elles sont crédibles, même lorsqu'elles sont viables, même lorsqu'elles sont technologiquement et ergonomiquement équivalentes ne parviennent pas à atteindre une masse critique d'utilisateurs suffisante pour contrer les plateformes marchandes. Pourquoi ne suis-je pas sur Identi.ca plutôt que sur Twitter ?

Il y a l'évidence sans cesse réaffirmée : le libre n'est pas le gratuit. Le "libre" est plus important que jamais.

Il y a cette théorisation qui donne quelques clés : capitalisme cognitif, l'internaute en travailleur exploité. Il y a la cristallisation politique. Il y a les données de la servitude volontaire.

Il y a ce que fut l'idéal du web. Ce qu'il est devenu (1, 2 …). Ce que nos voudrions qu'il soit. Ce que nous nous disons prêts à faire pour qu'il le devienne et ce que nous ferons réellement pour y parvenir. 

Il nous faudra de la patience. Il nous faudra du trauma. Encore plus de scandale que celui de la #NSA, encore plus de livres qui disparaissent, encore davantage de dérives publicitaires, beaucoup plus que 800 000 utilisateurs délestés de leurs données personnelles. Il nous faudra inlassablement chercher l'aliénation sociale sous la promesse technologique. Et surtout rester attentif à sa voix.

"Il faut re-décentraliser le web".

Mais il est à mon avis trop tard. En outre, la re-décentralisation ne se décrète pas, et les oligopoles en place ont établi des topocraties sur lesquelles il sera difficile de revenir. Voilà pourquoi les "communs informationnels" sont aujourd'hui essentiels. Parce que sur eux seuls nous avons encore réellement la main. Parce que d'eux seuls, de leur dissémination, du maintien des garanties de leur appropriation possible peuvent naître de nouvelles topologies du réseau. Parce qu'ils sont porteurs d'un usage coutumier du droit qui peut obliger les écosystèmes dominants à infléchir leurs logiques pour ne pas perdre notre attention.

 

 

 

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