Acheter un livre numérique c’est acheter un droit de lecture personnel et non transmissible.

Je viens de terminer un cours sur la question des bibliothèques numériques, suivi d'un autre cours sur la question du livre numérique. Une vingtaine d'heures au total avec mes étudiants du DUT information et communication de l'IUT de La Roche sur Yon.

Et je tombe ce matin, via un tweet d'Aldus, sur cette page "pédagogique" mise en place par la librairie Decitre. Page qui s'intitule : "Découvrir la lecture numérique". Découvrons donc. Plutôt basique mais plutôt bien fichu. De petits schémas explicativo-illustratifs qui permettent, en effet, de découvrir la lecture numérique.

Et puis soudain il y a ça :

"Acheter un livre numérique : c’est acheter un droit de lecture. Ce droit est personnel et non transmissible."

Livrenum

Et là ça m'énerve.

C'est même carrément au-delà de l'énervement. Car oui c'est hélas une partie – j'ai bien dit "une partie" – de la réalité. Et malheureusement et à la différence des icebergs, cette partie "émergée" est beaucoup plus important que la partie "immergée".

Alors pourquoi s'énerver hein ? Après tout, acheter un morceau de musique numérique c'est aussi acheter un droit d'écoute personnel et non-transmissible. Et personne ne semble s'en offusquer outre mesure. Le marché, l'industrie de la musique se porte très bien. L'offre légale des plateformes de streaming et les formules par abonnement existent et cartonnent. Les usages sont là. Tout le monde semble – j'ai bien dit "semble" – y trouver son compte. L'activité d'écoute a passé le cap de la dématérialisation sans grands heurts. Alors pourquoi s'émouvoir ou s'inquiéter que l'activité de lecture fasse de même ?

Et bien parce qu'elle n'y parviendra pas. Jamais. Never. No Way.

Musique d'ambiance et écoute ambiante.

Si aujourd'hui, acheter de la musique revient de plus en plus souvent à acheter un droit d'écoute personnel et non-transmissible et si cela semble gêner beaucoup moins de monde que pour un livre, c'est pour plusieurs raisons. D'abord parce que les acteurs industriels (éditeurs, distributeurs) ont eux-mêmes et dans une même temporalité, façonné le marché, l'offre et les usages, le tout sous l'impulsion et après le déclic constitué par le débarquement de l'iPod. C'est ensuite – et à mon avis surtout – parce que ce bien culturel que constitue "la musique" fut, reste et demeurera un bien culturel multimodal avec une dimension de partage "ambiante". Je m'explique.

Même si je suis abonné à un quelconque service de streaming (Deezer, Spotify, Itunes, etc.) et même si je ne peux donc pas confier à d'autres un "droit d'écoute" sur ma playlist (sauf dans le cas des playlist partagées, on est d'accord, sauf si je file à quelqu'un mon identifiant et mon mot de passe sur le service, on est d'accord aussi, sauf si je "déclare" plusieurs appareils d'écoute au sein de mon foyer à partir d'un même compte, on est toujours d'accord), il reste possible pour "d'autres" d'entendre les morceaux qui composent ma playlist à la radio, à la télé, sur Youtube, dans une autre offre gratuite d'un autre service de streaming, etc … Bref, la "conversation" reste possible ; bref le référentiel commun peut se construire en miroir, en reflet, en écho ; bref le partage de cette référence culturelle que constitue pour moi tel ou tel morceau est, d'une certaine manière, "déjà" partagé ou "toujours" partageable, accidentellement (passage radio par exemple), ou du fait de la multitude des opportunités d'écoute disponibles (multimodalité).

La lecture d'ambiance n'existe pas. La littérature d'ambiance non plus. Enfin en tout cas pas encore.

Rien de tel pour le livre. Parce que "la lecture n'est pas réductible à une consommation". Je répète : "la lecture n'est pas réductible à une consommation". Les étudiants auxquels s'adresse mon cours font partie d'un "coeur de cible". En plus d'être étudiants en DUT information et communication, ils ont choisi l'option "métiers du livre" et se destinent donc à être bibliothécaires, libraires, éditeurs. Pourtant, depuis maintenant 5 ans que ce cours existe, moins de 10% d'entre eux possèdent aujourd'hui une liseuse et ont une activité "dédiée" de lecture numérique. Chaque année par contre, de plus en plus d'entre eux possèdent (en leur nom propre ou chez leurs parents) une tablette. Ils sont tous abonnés à différents services d'écoute musicale, ils consomment tous des films en streaming (et plutôt légalement qu'illégalement), mais ils sont totalement étrangers à la lecture numérique. Parce que la lecture d'ambiance n'existe pas. Parce qu'elle est une aporie. Alors même eux, eux qui seront demain les principaux prescripteurs et les principaux acteurs, même eux qui devraient pourtant saisir les formidables opportunités offertes par la partie immergée de l'iceberg des usages, même eux qui sont en "métiers du livre", même eux se rattachent à la lecture papier, au livre papier.

Steve Jobs avec son iPod et dans son sillage les majors de l'industrie du disque, ont offert à une génération entière non pas un "droit d'écoute" mais un affranchissement de contraintes matérielles et pécuniaires (le prix d'un CD) qui étaient – d'ailleurs souvent légitimement – perçues comme autant d'entraves ou d'empêchements sur leur "désir d'écoute". C'est parce que ce désir d'écoute fut satisfait que l'on accepta d'aliéner quelques-uns de nos pourtant essentiels droits d'écoute.

Le livre numérique tel qu'il est présent chez les grandes plateformes de diffusion/distribution ne répond aujourd'hui à aucun désir. Il n'offre aucune perspective d'affranchissement. L'offre de livres numériques a émergé de manière tellement chaotique, de manière tellement complexe, de manière tellement asynchrone des usages et des pratiques, qu'elle est devenue littéralement illisible. Sauf peut-être du côté de chez Amazon et de son offre Kindle Unlimited. Mais à quel prix. Au prix de quelles contraintes, de quelles aliénations.

"Acheter un livre numérique : c’est acheter un droit de lecture. Ce droit est personnel et non transmissible."

Mais de quel droit parle-t-on vraiment ?

Voilà pourquoi je commence toujours mon cours par cet article de Stallman sur "les dangers du livre électronique".

Voilà pourquoi tant que nous en resterons là (le "droit de lecture personnel et non transmissible") nous contribuerons tous autant que nous sommes à réduire l'activité de lecture à une activité de consommation comme une autre.

Voilà pourquoi le "marché" du livre numérique ne décollera jamais réellement en France, ou que seuls quelques grands oligopoles consommatoires (Amazon, Apple, Google) en seront les hérauts.

Voilà pourquoi il est absolument vital que les quelques-uns, courageux, pionniers, qui ont fait le choix de fabriquer et/ou de vendre des livres et non des droits de lecture soient présents dans l'offre des mêmes grands oligopoles consommatoires.

Mais comme en y étant présents ils seront également soumis aux "droits de lecture" imposés, voilà pourquoi il est vital que d'autres circuits, que d'autres "chaînes" se mettent en place.

Voilà pourquoi il est une nouvelle fois urgentissime de s'interroger sur les modèles connus de "l'allocation" et de "l'acopie".

Voilà pourquoi la seule question qui vaut aujourd'hui, au-delà des discours déclinistes ou iréniques sur "l'avenir du livre à l'ère du numérique", voilà pourquoi la seule question qui vaut est celle de savoir si la lecture est réductible à un trafic comme un autre dans le cadre d'une économie de l'attention qui continuera d'englober l'ensemble de nos pratiques culturelles.

Ou alors continuons de buter des vieillards.

"Quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle" écrivait Amadou Hampâté Bâ. Si les bibliothèques numériques de demain ne doivent être bâties que sur des "droits de lecture personnels et non transmissibles", nous n'aurons plus à nous inquiéter de la mort des vieillards, car nous les aurons tués dès leur entrée dans l'âge d'homme, dès leur entrée dans l'âge de lire.

15 commentaires pour “Acheter un livre numérique c’est acheter un droit de lecture personnel et non transmissible.

  1. Oui, lire n’est pas consommer. C’est une production, une pratique, sociale de surcroît, et il faut que cela soit possible.
    Il faut vite que la TVA de logiciel (20%) pénalise les produits avec DRM qui profitent abusivement de ce régime, comme le demandait Isabelle Attard, car ce ne sont PAS des livres. Et 5.5% pour les seuls livres numériques (et donc sans DRM). 🙂

  2. Ma réaction sur Twitter aux révoltantes déclarations du site de Decitre :
    @affordanceinfo refuser aliénabilité droit de lecture! Droit fondamental! & corrriger DéclUnivDH 27§2 pour introduire ‘publié’ == ‘Commons’

  3. Le sujet est réel, fondamental. Mais là vous êtes en train de pourrir le messager.
    Factuellement, aujourd’hui, au moins pour la France, le livre numérique *est* légalement/fiscalement un droit de lecture. Rien de plus. Même pour ceux qui ne le disent pas explicitement. Même pour ceux qui veulent faire autrement.
    Là c’est d’autant plus un messager qu’ils ne font qu’éclaircir les conditions des éditeurs, ils n’en sont pas eux-même à l’origine.
    Je ne suis pas certains que ceux qui veulent ignorer ou garder sous silence cet aspect, empêchant par là même le débat d’arriver et les lecteurs d’acheter en toute connaissance de cause, soient vraiment à encourager.

  4. Je suis complètement d’accord avec Eric. Vaut-il mieux laisser les lecteurs « acheter » des licenses restreintes en silence, ou les informer de la « réalité » législative/fiscale ?
    Que Decitre mette les points sur les I ne peut avoir pour effet que d’informer les lecteurs, et donner l’occasion à ceux-ci de se faire une meilleure idée 1) de ce qu’ils « achètent » et 2) des défauts du système législatif actuel.
    Tirer sur le messager qui diffuse les faits ?
    Là où je vous rejoins par contre c’est sur le nécessaire changement. Mais ce n’est pas en laissant les e-libraires continuer de le pousser sous l’e-tapis qu’on y arrivera.
    De ce points de vue là, Decitre ne se place pas dans le camp des escamoteurs…

  5. Eric et TheSFReader : pas de méprise. Il ne s’agissait en rien de « tirer » sur Decitre. J’aurais publié exactement le même billet si c’était quelqu’un d’autre qui avait publié cette formule.

  6. Merci à NT Polyloque qui rappelle l’intéressant débat mené par la députée Isabelle Attard. Frapper les licences pour ce qu’elles sont réellement.

  7. Olivier, pour ma part, j’ai bien compris que ce n’était pas Decitre en tant que Decitre qui te posait le problème, mais bien l’état actuel des choses.
    Pour ma part, je préfère saluer celui-ci, qui met les pieds dans le plat que (par exemple) Kobo qui me disait au SDL l’année dernière « On n’affiche pas les DRM car ça fait peur aux consommateurs, et on veut qu’ils lisent, pas qu’ils aient peur. »
    (Ils ont progressé sur l’affichage depuis et c’est tant mieux)

  8. Je trouve un peu irénique ta vision de la transition numérique dans le monde de la musique. Tu fais l’impasse sur les plans sociaux, les gens au chômage, les artistes sans contrat, les musiciens de studio qui n’ont plus fait leurs heures, la forte baisse de production de nouveautés.
    C’est important d’accéder aux œuvres, mais cet accès illimité se résume pour de nombreux auditeurs à l’accès à une tout petit nombre de titres, et laisse les artistes dans une grande difficulté pour exister au milieu de cette immensité de titres disponibles.
    Je ne porte pas de jugement de valeur, ce n’est ni bien, ni mal, simplement, on ne peut pas dire que tout est simple, facile et résolu grâce à Steve Jobs.
    Les changements profonds que vivent tous ceux qui ont pour activité principale d’investir dans la création sont complexes et impliquent d’apprendre très vite à piloter dans cette complexité et dans l’incertitude, et ce dans tous les secteurs sans exception.
    Lorsque tes étudiants travailleront pour certains, et je leur souhaite de tous y arriver le plus rapidement possible, dans le secteur de l’édition, ils comprendront cela très vite. Leur sort, le maintien de leur job, de leur salaire, dépendra de la santé économique de leur secteur. Et ils seront peut-être heureux que ce secteur soit vigilant, et fasse en sorte que la transition numérique (dont le livre numérique, soit dit en passant, n’est que l’un de aspects, mais qui concerne également le livre imprimé…) se traduise par des bénéfices pour tous, lecteurs, bien sûr, mais aussi libraires, éditeurs, bibliothèques et auteurs.
    Et à propos de préservation, j’ai bien aimé cet article et je suis sûre qu’il va te plaire aussi : https://medium.com/message/never-trust-a-corporation-to-do-a-librarys-job-f58db4673351

  9. Salut Virginie, je crois que tu m’as lu un peu trop rapidement. Je n’ai jamais dit que Steve Jobs avait tout résolu. Il a tout imposé. Rien d’irénique dans ma vision. Je maintiens que l’idée d’acheter un « droit de lecture personnel et non transmissible » est la pire des voies à suivre, et ce pour l’ensemble des acteurs de la chaîne, du lecteur à l’auteur en passant par l’éditeur, le libraire et les bibs. Précisément parce que – c’est ce que j’essayais de montrer dans mon analogie avec la musique – précisément parce que le livre N’EST PAS la musique.
    Après oui bien sûr, va y avoir de la casse, y’en a déjà d’ailleurs, bien sûr y’en a eu dans la musique, bien sûr y’a plus de disquaires, et bien sûr y’aura bientôt plus de libraires. En tout cas plus les libraires qu’on connaît. Ok. So What ? On monte le label de la librairie indépendante contre Amazon / Google / Apple / etc et on croise les doigts pour que ça marche ??? Difficile pour les auteurs d’exister dis-tu ? T’as vu le Kindle Direct Publishing ? Tu trouves ça « difficile » ?? Après, pas davantage que toi je ne porte de jugement sur le fait que c’est bien ou mal. Je constate juste que … que toi et quelques autres vous êtes « vigilants », mais que tu n’es pas « le secteur », et que ça fait 15 ans que « le secteur » organise des colloques sur le livre et le numérique, que les syndicats représentatifs des uns et des autres rivalisent d’incompétence notoire pour tenter de préserver des marges et des rentes qui auront explosé en vol dans moins de 10 ans (et là on peut faire la comparaison avec le monde de la musique …), et ça m’énerve. Alors je publie un billet énervé 😉

  10. Oui, c’est très simple de publier avec KDP. C’est plus difficile, et de plus en plus difficile de trouver un public. Exister, à l’ère de l’économie de l’attention, ce n’est pas avoir placé sur un serveur chez Amazon son petit fichier .mobi. Ça, oui, c’est facile (une fois le livre écrit, j’entends, et ça c’est une autre histoire). Exister, c’est rencontrer des lecteurs, trouver un public, son public, pas forcément immense, mais un public. Et il est intéressant de noter que les quelques auteurs KDP qui y parviennent sont vent debout pour la plupart contre Kindle Unlimited qui rabote leurs revenus violemment. http://the-digital-reader.com/2014/12/01/author-discontent-grows-kindle-unlimited-enters-fifth-month/
    Personne ne monte personne contre personne, me semble-t-il. Mais nombreux et motivés, contrairement à ce que tu t’imagines, sont ceux , dans le « secteur », qui se mobilisent pour créer les conditions d’un écosystème du livre numérique viable, respectueux de la diversité des œuvres et de la liberté des lecteurs. Ce n’est guère original de tirer sur le « secteur », c’est plus difficile de s’informer pour connaitre le rôle que ce « secteur » joue dans des projets structurants comme celui de la fondation Readium qui fait tout pour accélérer l’adoption la plus large et rapide possible d’un format ouvert et interopérable, son engagement pour rendre possible le prêt numérique en bibliothèque, (qui je sais fait hurler ceux qui se scandalisent qu’on ose « prêter » des livres numériques, mais qui se développe cependant et trouve son public), pour accompagner les profondes transformations des différents métiers, développer des nouvelles formations et j’en passe.
    Dans son « incompétence notoire », le syndicat tant décrié invite prochainement Ivan Herman, du W3C, à présenter le travail qui se fait aujourd’hui au sein du W3C en liaison avec l’IDPF, sur la convergence entre web et livre numérique – tiens, si ça t’intéresse http://w3c.github.io/epubweb/
    et c’est vrai, tu as raison, c’est la preuve d’un grand aveuglement, d’une véritable myopie.
    Personne n’a toutes les réponses, nul n’est devin ni parfait, mais c’est parfois fatigant de toujours entendre associer le monde de l’édition à un monde de « marges » et de « rentes » : c’est un secteur économique qui fonctionne dans une économie capitaliste, oui, et c’est le cas de toutes les activités – en dehors des services publics et de l’économie sociale – avec des actionnaires, oui, et la nécessité de faire des bénéfices etc.
    Mais ce n’est pas pour autant un monde de « rente ». Viens voir travailler tous ces soi disant rentiers, fais connaissance avec leur quotidien, leurs paris, le travail qui précède, les efforts et les espoirs qui accompagnent la sortie d’un livre… C’est assommant à la fin. Des rentiers, ça se contente de placer son argent et d’attendre… Miser sur la création, accompagner les auteurs, prendre le risque de soutenir un talent auquel on croit, c’est tout de même bien autre chose. Et les éditeurs, gros et petits, crois-moi, travaillent, à tous les niveaux, à tous les étages, avec sérieux, avec exigence et professionnalisme, au service des auteurs et des lecteurs, dans l’édition, le pré-presse, la fabrication, le commercial, le marketing, la vente et l’achat de droits, la distribution, la diffusion… Les livres n’arrivent pas tout seuls par miracle dans les rayons des libraires, qui sont encore là, et bien là, ni sur les serveurs des libraires numériques, fréquentés les uns et les autres par des gens qui comptent bien y trouver de quoi lire…
    Je n’en peux plus de cette vision binaire, et j’ai du mal à comprendre comment tu arrives à articuler ta critique et ta compréhension souvent si fines et nuancées des stratégies d’un Google ou d’un Facebook, et une vision aussi sommaire et caricaturale du monde de l’édition et de la musique.
    Tu vois, moi aussi je suis énervée, tiens, pour une fois 😉

  11. Herman, W3C, Idpf, ok très bien très bien. On reparle 2 minutes de 1001libraires ? Du fait qu’il a fallu attendre 2014 pour voir arriver un contrat d’édition « adapté » au numérique ? C’est de cette incompétence là que je parle. Je sais qu’il y a aussi des gens qui bossent bien. Je sais que c’est compliqué. Chacun se bat à son niveau. Moi j’ai chaque année 60 étudiants qui débarquent, dont la moitié en « métiers du livre » et qui ne connaissent qu’Amazon et Google. Et qui veulent devenir libraires, éditeurs, bibliothécaires. Et j’essaie de leur expliquer (parfois avec plus de nuances que dans mon billet, parfois avec bcp moins de nuances aussi) pourquoi tout ça est très compliqué et très nuancé. Mais j’essaie aussi – j’arrive pas à m’en empêcher – de leur donner qques « repères » sur des « bonnes » et des « mauvaises » pratiques. A ceux qui veulent devenir libraires, je leur parle des disquaires. A ceux qui veulent devenir bibliothécaires, je leur montre les chiffres de fréquentation des bibliothèques. A ceux qui veulent devenir éditeur, je leur parle d’auto-édition. Et quand ils ont bien compris, bien flippé, alors je les rassure. Je leur explique qu’il n’y aura plus de « libraires » dans 10 ans mais que jamais on n’aura autant besoin de gens capables de prescrire et de conseiller des livres. Etc. Enfin bref. Parmi ces repères – j’en reviens à mon billet – y’a celui qui consiste à choisir : soit on vend des livres, soit on vend des droits de lecture.

  12. Echouez, et on vous en parlera pendant 10 ans. C’est mal. (Ailleurs, on dit qu’il faut apprendre à échouer, on a la culture du « fail », mais ici, pour ces libraires qui ont essayé quelque chose : non.) – Ne tentez rien, jamais vous n’échouerez.
    Réussissez à aboutir à un accord auteur-éditeurs, après des années de négociation. Ah, vous avez réussi, oui. Mais trop tard. C’est mal.
    Il y assez peu de gens du monde de l’édition pour venir discuter la compétence des professeurs d’université, et leur expliquer dans des billets de blog comment faire leur métier. Pour questionner l’insertion de leurs anciens élèves, la pertinence de leurs cours, la qualité de leur pédagogie. Mais beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde pour écrire des billets sur la prétendue incompétence des professionnels du livre.
    Les éditeurs publient des livres, sous forme imprimée et numérique. Certains pensent qu’il est nécessaire de rendre compliquée la reproduction des livres numériques pour éviter que les œuvres de leurs auteurs se baladent partout sur les réseaux. D’autres, que cela complique inutilement la vie des lecteurs. Le fait est que cela la complique plus dans des environnements ouverts que dans les silos propriétaires.
    Focaliser toute l’attention sur cette question, qui est une vraie question (parce que le téléchargement illégal existe bel et bien, et qu’on a tous les jours des auteurs au téléphone, inquiets de retrouver dans les résultats de recherche de Google des liens vers des sites où figure leur livre en téléchargement gratuit , ce livre qu’ils ont mis trois ans à écrire ), c’est je crois passer à côté des vrais sujets.
    Ta conclusion est erronée : je connais pas mal d’ éditeurs qui pratiquent l’un ET l’autre, qui vendent des livres sans DRM d’une part, quand ils le peuvent, et d’autres avec DRM, par exemple parce que leur contrat avec de nombreux agents les y oblige, ou pour d’autres raisons. Regarde bien la liste d’Aldus, il y a plein d’éditeurs là-dedans, qui pratiquent les deux formes. Rien n’est simple…

  13. oh la je te rassure, il y a PLEIN de gens qui nous questionnent en permanence sur la pertinence de nos cours, l’insertion de nos diplômés et tout un tas d’autre choses (dont « comment faire nos cours »). A commencer par les étudiants qu’on a chaque jour en face de nous 😉 Mais blague à part c’est aussi pour ça que j’aime bien enseigner en IUT, parce que les étudiants sont aussi confrontés, en cours, aux discours et aux pratiques d’intervenants professionnels. Tout le monde a le droit d’échouer, de prendre du temps pour négocier des choses compliquées. Mais j’ai croisé, en vrai ou sur les internets, tant de libraires et d’éditeurs qui refusent d’envisager le changement, qui refusent d’entendre ce qui relève pourtant souvent du simple bon sens, qui s’enferment dans des « postures » et des représentations où le numérique c’est juste « pas bien » que cela a peut-être, je te l’accorde, un peu figé et crispé ma représentation globale « du secteur ». J’y ai aussi croisé plein de gens intelligents, passionnés et – parfois – visionnaires. Donc je te rassure, mes étudiants ont vu la liste d’Aldus, ils savent que les choses sont compliquées, qu’un même éditeur peut diffuser un même bouquin avec ET sans DRM. Ils savent surtout que demain ils auront à se poser la question de savoir en tant qu’usagers ou professionnels s’ils achètent ou s’ils vendent des livres ou des droits de lecture. Que c’est une question importante, essentielle même. Et ils connaissent mon avis sur le sujet. Ils savent aussi que ce n’est que mon avis et, pour rester en contact avec bcp d’entre eux après leur sortie de l’IUT, ils savent que mon avis n’est là que pour leur permettre d’avoir le leur.

  14. C’est difficile de prendre parti pour l’une ou l’autre vision, parce qu’il n’y a aucun moyen de le faire de façon sérieuse : vous avez tous les deux raison. La seule différence, peut-être, je dis bien peut-être, c’est que vous n’avez pas raison sur le même plan : l’un a raison (selon moi encore) sur le plan sociétal — on ne peut pas envisager un avenir où le livre n’a plus de valeur de transmission, où le lecteur affaibli paye pour l’indolence des autres, des non-lecteurs ou des lecteurs qui ne sont pas « dans les clous » de la loi — et l’autre a raison sur le plan professionnel et industriel : l’édition, c’est un métier foutument compliqué par les temps qui courent et il y a des gens qui s’y font des cheveux blancs à penser création et business à la fois. En fait, on est en permanence, où qu’on soit, à faire des grands écarts entre nos principes, la réalité, nos aspirations et tout le vide qui les sépare. Reste à voir où on met les priorités, parce qu’on sait très qu’on ne peut pas (ou alors j’ai pas trouvé la solution) mettre en place un projet de société culturelle pacifiée, égalitaire et juste en même temps qu’on assure la pérennité du business en gardant les mêmes chevaux. À un moment, les deux tirent dans des directions opposées et il va bien falloir que la corde casse. Pour moi, au stade où j’en suis de ma réflexion, c’est cette question qui l’emporte : c’est quoi, la société du livre que je veux léguer à mes enfants ?

  15. Je n’aurai qu’une chose à dire : la culture c’est le partage et inversement, donc le droit à la lecture/écoute non transmissible est une hérésie.

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