Au début j'ai dit ça "comme ça". Plus exactement je l'ai écrit. En commentaire du statut Facebook d'un copain qui venait de lancer une pétition en ligne pour que ceux qui vont voter Macron sans partager son programme mais pour faire barrage au Front National soient comptabilisés à part.
Un vieux flood de commentaires en mode disputatio s'étalait déjà sous le statut dans lequel il filait l'adresse de sa pétition lorsque j'ai tapé ceci :
"le plus simple serait encore de demander à Facebook de faire une extraction depuis sa base de statuts. Là on aura une idée TRÈS précise de qui a voté, pour qui, et pourquoi"
Pour la forme mais sans trop y croire j'ai rajouté l'émoticône qui fait un clin d'oeil. Et après j'ai réfléchi. Et je me suis souvenu.
Mentalement d'abord j'ai fait défiler les images de mes amis "Facebook", j'ai revu plusieurs de leurs statuts, je me suis souvenu de la manière dont on s'était gentiment allumé avant le premier tour en mode "Hamon ou Mélenchon" (j'ai surtout des amis de gauche dans ma bulle de filtre)
Je me suis souvenu que j'avais souri en les voyant pour la plupart d'entre eux ne jamais réellement exprimer le nom du candidat qui obtiendrait leur voix au premier tour mais en s'arrangeant de la même manière pour tellement massacrer ou reposter le moindre article critique sur "les autres candidats" qu'il ne pouvait plus subsister aucun doute sur le candidat pour lequel ils allaient voter.
Et ce que je savais bien sûr déjà (vu que c'est quand même un peu là-dessus que je bosse), m'est apparu avec l'évidence d'une angoisse désormais vécue et précisément incarnée.
"le plus simple serait encore de demander à Facebook de faire une extraction depuis sa base de statuts. Là on aura une idée TRÈS précise de qui a voté, pour qui, et pourquoi."
Comme je suis un chercheur j'ai vérifié hein 🙂 Je me suis demandé si je n'étais pas victime d'une illusion de la majorité, l'impression comme j'ai beaucoup parlé et échangé sur des questions politiques ces derniers temps que tout le monde en avait fait autant. Donc j'ai vérifié.
J'ai passé 6 mois à rédiger un projet ANR, j'ai attendu un an d'avoir le résultat et au final je n'ai pas été retenu. Non je déconne.
J'ai juste ouvert Facebook et cliqué sur le nom d'un "ami" au hasard. Sur mes 910 amis (dont 2/3 d'anciens étudiants) j'en ai pris un au hasard, puis un autre parmi nos amis "communs", et ainsi de suite. Et deux fois sur trois, et quel que soit "l'ami" de départ, rien qu'en remontant dans l'historique de leurs statuts, j'ai assez aisément isolé la phrase, le statut, le commentaire ou le lien qui donnait explicitement leur vote du premier tour. Et je n'ai bien sûr regardé que leurs statuts, et pas les différentes pages ou contenus qu'ils ont "liké", partagé ou aimé, c'est à dire la mine d'informations aussi contextuelles que précises à laquelle Facebook à accès, que Facebook organise.
Et pour les rares à ne laisser aucun indice apparent sur leur compte Facebook, un détour par leur compte Twitter suffit en général à lever toute ambigüité.
Rien de nouveau dans tout cela donc. Rien d'illégal non plus d'ailleurs : si le scrutin est secret, le vote, lui, ne l'est pas et chacun est libre d'affirmer ou de dissimuler ses choix. Juste un risque donc. Celui de cette "version post-moderne de la Stasi" qu'est ontologiquement Facebook pour reprendre l'expression de Julian Assange. Et de ses nouvelles ambitions politiques. De son projet politique. De ce qui est, qu'on le veuille ou non, un projet politique.
Que deviennent ces informations dans un monde piloté par Donald Trump ou Marine Le Pen ? Mark Zuckerberg aura-t-il des pudeurs de gazelle au moment d'aborder avec ces dirigeants du monde occidental la question des libertés publiques déjà passablement mises à mal par le fichier des gens honnêtes ?
Des questions pour lesquelles je n'ai pas envie de démarrer un nouveau projet ANR. Ou à défaut un nouveau billet sur ce blog. Alors décidément non, le second tour n'est pas une deuxième chance.
