Community Actions : le jour où la pétition tuera le vote (ou pourquoi Facebook provoque des troubles de l’élection)

Alors voilà. Facebook, la grande plateforme sociale, vient de lancer sa plateforme de pétition en ligne. Une plateforme qui lance une plateforme. Objectif : continuer de tisser son écheveau à dimension politique dont je vous parlais pas plus tard que y'a pas longtemps. Car si l'on pourra bien sûr lancer des pétitions sur à peu près tout et n'importe quoi comme dans la plupart des autres plateformes pétitionnaires dont Facebook cherche ici à avoir la peau et les parts de marché, la communication du réseau social met l'accent sur la dimension "politique" de sa plateforme de pétition. 

Community Actions.

Car avec "Community Actions" (nom du machin) vous pourrez donc directement "notifier" des institutions politiques et/ou leurs représentants. Le tout sur la plateforme de pétition de la plateforme sociale. 

En version longue ça donne un truc du genre

"Construire des communautés civiquement engagées et informées est au cœur des missions de Facebook. Chaque jour, les gens viennent sur Facebook pour mettre en avant une cause à laquelle ils tiennent, en contactant leurs élus, en organisant une collecte de fonds ou en démarrant un groupe. À travers ces différents outils, nous avons vu des personnes mobiliser des soutiens et obtenir des résultats sur des problématiques qui leur tenaient à cœur. Community Actions est un nouveau moyen pour aider les gens à changer leur communauté et à s’associer avec leurs élus locaux et leurs agences gouvernementales pour trouver des solutions." 

Une nouvelle fois, les éléments de langage de la firme tournent autour des notions qui sont au coeur du discours officiel de Zuckerberg depuis déjà deux ans et sa lettre à la nation, à savoir "l'engagement civique" et le "rapprochement entre citoyens et élus ou représentants" le tout pour constituer une "communauté globale", que Facebook soit "une infrastructure sociale" permettant aux gens d'être toujours davantage "civically-engaged".

Et donc en version suuuper-longue c'est là.

Petition is Sexy.

La nouveauté dans tout ça c'est que depuis quelques années, la pétition politique est devenue tendance. Quand j'étais encore étudiant, les pétitions politiques se signaient au stylo, dans des coins de rues marchandes et de zones commerciales, et c'était de très jeunes (ou de très vieux/vieilles) militant(e)s vous les tendaient avec toute l'énergie de leur haleine de poney et un sens de l'accroche et du contact humain en général équivalent à celui d'Emile Louis dans une rame de métro bondée. Mais aujourd'hui la pétition politique est tendance et a donc toute sa place au sein de notre Newsfeed. Et pourquoi la pétition politique (sur à peu près tout et n'importe quoi) est-elle devenue tendance ? Parce que, dans sa multiplication et sa systématisation, elle s'appuie sur une forme dégradée de slacktivisme ; et parce qu'elle nous permet, au regard d'une sollicitation attentionnelle et émotionnelle constante, de préserver l'image que nous avons de nous-mêmes à moindre coût cognitif ; elle nous maintient dans une illusion de mobilisation qui constitue notre réponse au stimulus d'une indignation "rediffusée" en permanence plus que réellement "partagée".

Même s'il est bien sûr difficile de généraliser, l'expérience cognitive des réseaux sociaux (en tout cas celle de Twitter et de Facebook) n'est pas seulement sur-sollicitante, elle s'appuie également sur le ressort de cette "indignation" comme facteur principal de visibilité et comme source principale d'interaction et d'engagement. Et à ce titre les pétitions politiques sont une manière redoutablement efficace de cristalliser (et de capitaliser sur) cette indignation pour maintenir la pression attentionnelle et sociale (par le défilement des amis qui signeront à leur tour) et surtout pour qualifier toujours davantage les données que Facebook possède sur nous.

Etant entendu (mais je le reprécise quand même) que l'intérêt que Facebook porte à l'engagement civique ne se mesure qu'à l'aune de ce que ce dernier est susceptible de lui apporter comme données d'opinion qualifiées pour alimenter son modèle économique de régie publicitaire. 

Après que le Like a tué le lien, l'enjeu est désormais de savoir si la pétition tuera le vote.

Alors bien sûr on peut se moquer (ce dont je ne me prive pas), on peut ricaner (pareil) mais on aurait tort de croire qu'il ne s'agit que d'une énième opération de communication au service d'un enjeu principalement économique destiné à dézinguer toute forme de concurrence. Bien sûr Change.org est clairement dans le viseur mais si Facebook ne semble pas avoir fait d'offre de rachat c'est aussi parce que son architecture technique et sociale semble idéale pour ce genre de "civisme pétitionnaire" et parce qu'il souhaite, dès le départ de l'offre, qu'elle soit "intégrée" aux couleurs, au code et à toute l'architecture de Facebook. Et pourquoi souhaite-t-il cela ? Parce que ce qui se joue derrière c'est la captation et la vampirisation de toute la valeur du lien de triangulation entre citoyens, élus et institutions représentatives, c'est à dire la valeur même du lien démocratique.

Voilà ce qui se joue au fond derrière cette méga-plateforme sociale lançant une méga-plateforme de pétitions : la vampirisation et la dévitalisation du lien démocratique de représentativité. Et ça, ben ça pue d'autant plus qu'il est déjà partiellement trop tard pour faire marche arrière. 

Souvenez-vous : il y a quelques années de cela, au moment où Facebook lançait son bouton Like comme d'autres lançaient l'invasion de la Pologne ou l'écoute d'un disque de Wagner, j'expliquais et tentais de convaincre que le "Like" allait tuer le lien. Je n'aime pas trop m'auto-congratuler mais bon pour le coup je ne m'étais quand même pas trop planté. 

Or après que le Like a tué le lien, l'enjeu est désormais de savoir si la pétition tuera le vote. Si à l'engagement citoyen se substituera la vision mécaniste que Facebook a de l'engagement. 

L'engagement qui désengage.

Le "taux d'engagement", valeur cardinale sur Facebook est – en gros – calculé comme suit : nombre de personnes engagées sur un post (= les gens qui ont liké, commenté ou partagé) divisé par la portée du post (nombre de personnes qui l'ont vu), le tout multiplié par 100. 

Comme je vous l'expliquais dans d'autres articles sur le sujet de la lutte contre les discours de haine, la question de l'engagement sur les réseaux sociaux est souvent, in fine, une affaire de désengagement.

"Soutenir en ligne un certain type de discours n'est pas nécessairement être prêt à "s'engager" derrière ce discours, fut-il un discours de haine ou, d'ailleurs, un discours de paix. L'engagement en ligne est le plus souvent une forme de désengagement ("slacktivisme"). A propos de l'engagement, Merleau-Ponty écrivait : "Tout engagement est ambigu puisqu’il est à la fois l’affirmation et la restriction d’une liberté : je m’engage à rendre ce service, cela veut dire à la fois que je pourrai ne pas le rendre et que je décide d’exclure cette possibilité." Or précisément, sur les internets, le "like" ou le slacktivisme est une forme d'engagement monoface : "liker" une "cause" ou un "discours" c'est exclure la possibilité de rendre réellement un service. Et la plupart du temps … c'est tout."

Le sens premier "d'engagement" est celui de la mise en "gage" de quelque chose. A l'échelle des plateformes sociales, c'est d'abord évidemment notre capacité attentionnelle qui est le bien que nous gageons et qui par retour nous en-gage. 

En mettant temporairement de côté les différents scandales d'ingérence et d'influence découverts après l'affaire Cambridge Analytica, ce qui se joue aujourd'hui à l'échelle politique avec Facebook c'est qu'une plateforme est en train de siphonner à son propre bénéfice toute l'énergie vitale de nos démocraties, c'est à dire la particularité – et l'effort aussi – que constitue ce lien qui lorsqu'il est activé, créé et maintenu, transforme un individu en citoyen et un collectif  d'individualités en communauté de destin. 

Alors vous me direz : "Oh mais non regardez par exemple les Gilets Jaunes et le rôle que Facebook joue dans ce mouvement. Ou souvenez-vous des printemps arabes …" Certes. Et justement. Lors de ces pics de colère sociale ou politique, Facebook et d'autres réseaux restent de puissants vecteurs de coordination et d'expression citoyenne. Même s'il faut encore une fois rappeler que si Facebook permet de déclencher des révolutions il en compromet la victoire.

Mais ce qui m'intéresse et m'inquiète ici ce ne sont pas ces "pics" de colère, c'est la banalité du mal, c'est la quotidienneté de notre rapport au politique qui est toute entière en train d'être happée par la plateforme. Plateforme qui se nourrit autant du discrédit que la classe politique a elle-même forgé avec rigueur et minutie que d'institutions et de modes de représentation qui apparaissent aujourd'hui soit totalement (abs)cons, soit totalement absents, soit totalement hors d'âge. 

Facebook provoque des troubles de l'érection l'élection.

J'étais en train de commencer à écrire ce billet (mercredi soir dernier …) lorsque je vis apparaître dans mon fil Twitter le "Facebooklash" du Forum de Davos et cette idée que Facebook était aussi nocif pour la démocratie que fumer l'était pour la santé et qu'il fallait donc le démanteler. Tiens tiens … :-) 

Election

Entre les groupes (outils de mobilisation et d'organisation dont on a vu l'efficacité avec le mouvement des Gilets Jaunes), les changements d'algorithme valorisant plus que jamais les interactions "locales", la dimension pétitionnaire de "Community Actions" et tout le reste des informations et données déjà captées par la firme, et à l'approche d'échéances électorales majeures dans un grand nombre de pays et de continents, la position de Facebook est aujourd'hui totalement inédite dans le champ politique. Et aux troubles de l'élection déjà avérés pourraient s'en ajouter d'autres bien plus grands. 

Change.facebook.com ?

La greffe prendra-t-elle ? Et Facebook deviendra-t-il le nouveau Change.org ? Difficile de le savoir aujourd'hui. Ce n'est pas la première fois que Facebook lance en l'internalisant une fonctionnalité ou un service qui, sur le papier en tout cas, à tout pour casser la baraque et atomiser la concurrence. Or qu'il s'agisse de MarketPlace (sorte de BonCoin interne) ou du site de rencontre (souvenez-vous de Facebook Dating pour l'instant uniquement testé en Colombie), l'adhésion des utilisateurs semble assez loin des attentes de la firme. D'abord parce que le service est, dans un cas comme dans l'autre, assez loin de l'usage et de l'affordance naturelle du réseau social. Ensuite parce que le sites proposant déjà ces services ont, eux, une puissance d'affordance déjà ancienne et d'autant plus ancrée qu'elle leur est parfaitement spécifique ( = ils ne font que ça, ils ne servent qu'à ça). On pourrait donc imaginer que la greffe tentée par Facebook avec ce service de pétition ne prenne pas.

Mais il s'agit ici d'un cas différent puisque d'une part beaucoup de gens utilisent déjà leurs identifiants Facebook pour se connecter sur des sites pétitionnaires (et que Facebook pourra donc d'autant plus facilement les cibler et les toucher), et que surtout, la dimension phatique "interpellative" de la pétition est parfaitement en phase avec la nature de l'usage et des interactions spécifiques et plébiscitées du réseau social. A vrai dire le seul frein est aujourd'hui celui de l'image dégradée dans l'opinion du réseau social qui risque d'amener pas mal d'utilisateurs à hésiter un peu devant ces "community actions".

Democracy Market.

L'autre point est celui de la spectacularisation affective et émotionnelle des politiques publiques. Je m'explique. Je vous avais déjà parlé du "Mercy Market", ce marché de la pitié qui, face aux carences des politiques publiques un peu partout dans le monde, oblige des citoyens à recourir à d'inédites formes de mendicité en ligne. 

En plus de dévitaliser et de vampiriser le lien démocratique, les Community Actions que Facebook veut mettre en place vont contribuer à une forme de "Democracy Market" où seules les causes les mieux "vendues" bénéficieront d'une visibilité suffisante. 

Les effets pervers et délétères de ces fonctionnalités qui, à première vue, devraient pourtant plutôt être le gage d'un renouveau démocratique, s'expliquent de plusieurs manières (indépendamment de l'effondrement de la crédibilité de la parole politique et donc du sens de l'engagement politique lui-même). Le modèle économique de ces plateformes et leur architecture technique toxique constituent l'essentiel de cette explication. Je l'ai déjà, dans cet article et dans d'autres, largement expliqué et commenté.

Mais il faut également désormais penser un monde dans lequel nous sommes déjà face au projet de Zuckerberg et des autres patrons des GAFAM, un monde dans lequel leurs plateformes sont déjà constituées comme autant d'infrastructures globales et non-négociables ou non-évitables sur le plan économique, mais également sur celui du lien social et demain peut-être, donc, sur le plan politique. 

C'est en tout cas cette hypothèse que vient étayer le site Gizmodo, qui vient d'inaugurer une série d'articles passionnants sur le thème : et si on bloquait totalement (pendant 6 semaines) les géants de la tech dans notre usage quotidien ? Et les premiers verdicts de la journaliste qui a accepté de jouer le jeu sont sans appel. Il est impossible d'exclure Amazon de nos vies. Et quand on vire totalement Facebook (et Instagram et WhatsApp et Messenger …), ben ça nous manque :-)  

Le problème de nos démocraties sur l'échelle de leur vampirisation par les grandes plateformes est donc double : primo nous n'avons pas prévu de plan B. Et deuxio, nous adorons nous vautrer dans le plan A. Le rôle du politique, si par extraordinaire il envisageait un jour autre chose qu'une start-up nation et un état plateforme, serait de parvenir à jouer sur ces deux tableaux.

Mais avant cela il lui faudra faire le deuil du numérique comme "pansement". Lorsque les Gilets Jaunes lancent quasi-simultanément une "autre" plateforme de recueil de leurs revendications que "la" plateforme lancée par le gouvernement et lorsque que ces deux plateformes sont pourtant techniquement rigoureusement identiques (et toutes deux créées par Cap Collectif) on mesure bien à quel point "le" numérique est totalement incapable de fabriquer du lien. Aucune plateforme, aucune application, rien de numérique, jamais, ne permettra de reconstruire le lien de confiance dans une parole représentative dont le processus électif est le garant et les élus les dépositaires. Cette reconstruction il faut aller la chercher ailleurs.

La légitimité de n'importe quel outil, dispositif ou plateforme numérique sera toujours, pour l'un ou l'autre camp, éminemment suspecte car comme le raconte Stiegler, le numérique est un pharmakon, à la fois remède et poison. Mais aussi car il est dans la nature du numérique de ne rien oublier, car il est dans la nature du numérique de tout "fonctionnaliser" (donnant naissance à un solutionnisme technologique présenté comme immanent), et car il est dans la nature du numérique de systématiquement renverser la charge de la preuve (comme on le voit aujourd'hui dans les dérives des régimes de surveillance). Et tout cela n'est que difficilement compatible avec ce dont on a aujourd'hui besoin pour restaurer une forme de confiance dans la parole et dans l'action politique.  

Si nous disposions aujourd'hui d'un espace d'expression numérique qui soit un espace réellement public et si cet espace pouvait être investi par des citoyens disposant encore d'un minimum de confiance en la démocratie représentative, la diagnostic pourrait être différent. Mais cet espace numérique réellement public (que l'on appelle le web) est aujourd'hui réduit à peau de chagrin.

Et depuis maintenant presque 15 ans que j'observe le pouvoir des algorithmes et l'ambition des plateformes, depuis maintenant presque 15 ans que je m'efforce d'en scruter les affordances, je suis convaincu que les seuls usages numériques qui vaillent et qui durent sont ceux qui n'avaient pas été pensés initialement ou qui s'affranchissent très vite de l'utilitarisme de circonstance qui avait présidé à leur création. Et. Et qui disposent d'une architecture technique qui va être le réceptacle permettant à nouvelles affordances sociales et informationnelles d'y opérer une forme de cristallisation. Youtube devait au départ être un site de rencontre. Facebook (qui s'appelait Facemash) permettait de noter les plus jolies filles d'un campus américain. Avant de créer Wikipédia, Jimmy Wales travaillait sur un projet d'encyclopédie (Nupedia) où les connaissances devaient être validées par des experts sous l'autorité d'un rédacteur en chef. Et ainsi de suite. 

Alors en étant cynique on pourrait écrire en conclusion qu'à force de démontrer avec constance depuis plus de 30 ans que la démocratie politique représentative était avant tout une affaire de relations publiques (RP) cédant aux intérêts des puissants, il est étrange de s'étonner qu'une firme comme Facebook qui excelle en matière de RP en capte aujourd'hui l'essentiel de l'élan vital. 

Et rajouter que ce constat ne doit nous exonérer d'aucune des luttes à venir pour la reconquête d'un espace réellement public de revendications. Car quand solutionnisme technologique et déterminisme algorithmique se conjuguent au sein d'espaces privatifs réunissant presque quotidiennement la moitié de l'humanité, le relativisme systémique qui est produit et entretenu ne permet plus ni d'espérer ni de parier qu'une quelconque forme de démocratie puisse en sortir grandie, ni même qu'elle soit souhaitable.

Un commentaire pour “Community Actions : le jour où la pétition tuera le vote (ou pourquoi Facebook provoque des troubles de l’élection)

  1. Je ne crois pas non plus que les plateformes ou autres espaces privatifs numériques « réunissent » qui que ce soit. Au mieux, ils agrègent, le plus souvent ils nous juxtaposent et à grand-peine, comme des grains de sable sec. Ils pallient à, ils occupent le vide. Ils sont symptômes, conséquences, pas causes. Mais du coup, les peindre en coupables, essayer de les rendre vertueux ou travailler à leur substituer des plateformes plus saines, c’est encore leur accorder une importance démesurée, c’est lutter sur la strate spectaculaire de la vie et pas sur la vie elle-même.
    Quant au vote et à sa transposition en pétition, en 1980 Charbonneau écrivait :
    « Plus la société évolue, plus l’individu vote ; et plus l’on vote, plus ce geste se dévalue. Alors pourquoi le vote ? — Pour le vote. C’est un rite d’exorcisme qui refait d’un monde — d’une société, d’un Etat — l’œuvre de la liberté des individus. Mais du coup celle-ci devient la chose de la société, de l’Etat. Je m’y intègre ; je ne me suis pas contenté de le subir, je l’ai choisi. La fête électorale est un rite de participation comme la messe : c’est pourquoi qui refuse cette société cuirassée en Etat a pour devoir civique de s’abstenir. Sinon de son esclave, je deviens son complice…
    Le vote est un rite fondateur. Le jour ou la société n’y croira plus, elle aura changé. Déjà la nôtre, avec ses sondages d’opinion, comptabilise moins des libertés que des courants collectifs. Demain l’on ne votera plus. Mais ce ne sera plus à la suite d’un vote. »
    On y est et la fièvre pétitionnaire qui s’empare de nous est un spasme post-mortem. Peu importe d’ailleurs que la pétition soit suivie d’effet ou non, ce n’est pas ce pourquoi on la signe, on la signe pour se compter (il en va de même pour les cagnottes en ligne). Pour avoir la sensation de faire corps avec d’autres individus isolés qui ont encore en commun telle ou telle préoccupation.
    La communauté Globale de son côté ne sera rendue possible que par la disparition de toute communauté. Elle s’incarnera sans doute dans un totalitarisme volatile et éphémère (mais qui, conscient de sa propre fragilité inhérente à sa démesure, recourra sans doute à une brutalité tout aussi démesurée). Ce totalitarisme sera toujours préférable aux légistes de la démocratie qu’une multitude de communautés autonomes. Democracy market ? Quoi qu’ils en disent en effet, les pontes de Facebook et autres savent bien que ne peut être mis en marché que ce qui a préalablement été entièrement dévitalisé (peu importe que ce soit par eux-mêmes ou par d’autres), leur sincérité cynique les honore. Ils ne captent dont aucun « élan vital » mais au mieux entretiennent le mythe d’un « membre fantôme ».
    Quant au concept du Pharmakon il est trompeur puisqu’il entretien l’idée qu’à force de contorsions, il pourrait ne subsister que le remède, débarrassé du poison (ce que semblent croire les accélérationnistes). Mais il n’y a jamais eu de remède de la technique à elle même, tout au plus un palliatif, une réponse rassurante à la question « est-ce que ça va faire mal », une légère ivresse que ressentent ceux à qui l’on demande de compter jusqu’à 10 le temps que l’anesthésie fasse effet.

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