16ème siècle.
Le 31 Octobre 1517, Martin Luther fait placarder un texte, connu sous le nom des "95 thèses" à l'entrée des églises pour lutter contre le commerce des indulgences. Il s'agit notamment de s'opposer à la vente de ces indulgences par l'église catholique romaine pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome.
20ème siècle.
En 1999, Rick Levine, Christopher Locke, Doc Searls, et David Weinberger publient le Cluetrain Manifesto, une liste de 95 thèses (en référence au document de Luther) interrogeant la manière dont internet et le web impactent le commerce, les entreprises et le marketing, et qui se résume à la thèse numéro 1 des 94 à suivre selon laquelle "les marchés sont des conversations".
21ème siècle.
Nous sommes en 2019. Notre Dame de Paris a brûlé et les indulgences des plus grandes fortunes de France tombent à grands coups de centaines de millions d'euros. Les GAFA ont tous prospéré sur le Cluetrain Manifesto dans la mesure où leur modèle d'affaire repose fondamentalement sur l'exploitation de ces conversations qui fondent en effet tant de marchés, à commencer bien sûr par celui de l'exploitation attentionnelle.
Depuis maintenant deux ans et le scandale "fondateur" de Cambridge Analytica, pas une semaine ne passe sans que Facebook ne soit exposé à un nouveau scandale ou à une nouvelle tribune dénonçant les pratiques de la firme ou réclamant son démantèlement parfois assorti de la démission de Mark Zuckerberg (et de 25 bonnes raisons pour la justifier). Sans aucune indulgence, sauf bien sûr les "indulgences" que la prospérité de son modèle d'affaire lui permettent d'accumuler, provisionnant ainsi des amendes de plus de 3 milliards de dollars comme d'autres mettent 1 euro dans un parcmètre. Dernière tribune en date, celle du co-fondateur de Facebook, Chris Hugues, dont la brouille avec Zuckerberg date de son départ de Facebook en 2007 et qui, après avoir dénoncé à raison mais de manière désormais classique le côté inédit du pouvoir dont dispose Zuckerberg sur la firme et sur 2 milliards et demi d'êtres humains, propose donc de démanteler la firme en la séparant en trois entités distinctes : Facebook, Instagram et WhatsApp.
L'idée de ce démantèlement revient de plus en plus régulièrement dans l'actualité, y compris dans l'agenda politique des primaires (démocrates) par la voix d'Elisabeth Warren, mais l'idée plus générale d'une forme de nationalisation remonte en fait à 2012 comme j'avais tenté d'en faire l'archéologie par ici.
Je crois que si l'on veut régler l'ensemble des problèmes que pose Facebook aujourd'hui il faut en effet plutôt se diriger vers une forme de nationalisation (pour transformer la plateforme en un "commun" et rompre avec le modèle économique toxique et structurellement vicieux) et en même temps déployer un index indépendant du web. L'idée de "séparer" les entités Facebook, Instagram et WhatsApp ne solutionnera rien. Comme le rappelle Ian Bogost dans un éditorial pour The Atlantic :
"The company has never looked like a railroad or a telco, or even a technology company from a former era, like Microsoft, with its Windows, Office, Cloud, and other distinct products and associated divisions. Part of the problem with breaking up Facebook is that the company is amoebic, of little determinate form, like the networks of mucous mesh grazers that trawl the deep seas."
D'autant que le "Next Big Problem" pour Facebook et pour nos sociabilités va principalement s'articuler entre l'entité Facebook et l'entité Messenger autour d'une notion que l'on appelle le "dark social".
Next Big Problem ? Dark Social.
Le "Dark Social" est un terme utilisé notamment (uniquement ?) dans le domaine du marketing pour désigner l'ensemble de ces partages "invisibles" de contenus, partages qui s'effectuent dans les messageries instantanées, par mail, par textos ou bien encore … à l'oral. Partages qui ne peuvent donc être ni observés, ni mesurés, ni comptabilisés (ou en tout cas beaucoup plus difficilement).
Si l'on reprend la métaphore déjà surexploitée des parties immergées et émergées d'un Iceberg (cf l'image ci-après), de la même manière que l'on distinguait, dès les années 1990, le web "de surface" d'un web "profond" ("invisible web" ou "deep web") lui-même distinct d'un "Dark Web", le "Dark Social" serait aujourd'hui la partie immergée de l'iceberg des contenus partagés sur les plateformes sociales.
Ce partage là mobilise, par nature comme par fonction, davantage de liens forts que de liens faibles : ces textos, ces SMS, ces échanges sur Messenger ou WhatsApp sont davantage orientés vers des proximités sociales de notre premier cercle relationnel et elles impliquent plus fortement le destinataire en "l'adressant", en le ciblant personnellement. Leur puissance de recommandation, leur force de prescription n'en est que plus forte et plus déterminante. Et donc d'autant plus intéressante pour le modèle d'affaire des annonceurs et des plateformes. C'est d'ailleurs pour cela que ces formes de partage sont de plus en plus mises en avant et de manière de plus en plus incitative.
Sur Facebook, nombre de contenus voient s'afficher de manière systématique la possibilité "d'envoyer sous forme de message" (dans Messenger donc) à des "amis", possibilité également présente en bonne place lorsque l'on clique sur le bouton "partager" ("envoyer comme message").
Cette fonctionnalité est particulièrement mise en avant sur les vidéos, vidéos qui sont elles-mêmes la plupart du temps des contenus à forte dimension virale (davantage en tout cas que le texte seul ou les images).
Début Avril, Christophe Asselin se faisait l'écho d'une étude de Global Web Index montrant que 63% des partages de contenus se font par messagerie privée.
Et si l'on y partage en majorité des photos et des vidéos marrantes, on y relaie également beaucoup de liens vers différents articles.
Noir c'est noir. Il n'y a plus d'espoir d'espace public.
Web noir. Dark Web. Motifs noirs. Dark Patterns (utilisés entre autres pour détourner les obligations de recueil de consentement ou pour persuader d'accomplir une action ou pour maintenir les utilisateurs captifs quelques minutes supplémentaires). Publications noires. Dark Posts (technique d'influence utilisée notamment pour le Brexit et la campagne de Trump). Et donc désormais partages noirs. Dark Social.
Si la place qu'occupe Facebook (et son écosystème applicatif et de services) aujourd'hui dans les usages peut-être considérée comme a minima préoccupante en lien avec des questions sur la liberté d'expression, l'influence (ou l'ingérence) sur les élections, les discours de haine ou la propagation de mensonges et autres Fake News, c'est aussi car le couplage structurel (et donc la co-détermination) entre le réseau social – Facebook – et la messagerie instantanée – Messenger – fabrique une double opacité problématique à plus d'un titre.
D'autant que ladite double opacité (pour des observateurs extérieurs) est a contrario un double dévoilement pour la firme qui est, elle, en capacité de scruter la totalité des échanges qu'elle organise ou suscite elle-même (et ce au moins tant qu'elle n'aura pas, pour sa messagerie, activé le chiffrement de bout en bout, qui n'est pour l'instant qu'une promesse).
Le premier niveau qui fait problème est, bien sûr, celui de l'opacité structurelle et calculatoire des mécanismes d'éditorialisation algorithmique en général, mais tout particulièrement dans le domaine publicitaire, et encore plus tout particulièrement quand il s'agit de publicités électorales ou d'actions d'influence apparentées.
Et le second niveau est donc celui de ce partage social en mode "Dark". Car non seulement nous sommes dans l'incapacité de prendre la mesure (réellement et en temps réel) du niveau de responsabilité de Facebook dans la propension déterministe calculatoire ou idéologique à mettre en avant certains contenus plutôt que d'autres, dans certains contextes et pour certaines catégories d'utilisateurs, mais nous sommes également dans l'impossibilité totale de mesurer le niveau de progression, d'impact, d'efficacité de toutes ces formes perverses et plus ou moins bien dissimulées d'éditorialisation si elles ont vocation à circuler essentiellement dans le cadre de messageries propriétaires une nouvelle fois inauditables et imperscrutables par quiconque d'autre que la plateforme hôte elle-même.
Un paradoxe dont l'artificialité force à la schizophrénie puisque n'importe quel défenseur des libertés numériques et donc d'une possible et réelle "privacy" (et j'ai la faiblesse de croire que j'en suis un) se trouverait presque en situation de réclamer une transparence sur des échanges privés, transparence qui hier encore était le discours dominant de ceux qui, précisément, voulaient tuer la vie privée (rappelez-vous les "si vous n'avez rien à vous reprocher alors vous n'avez rien à cacher" ou le "seul les criminels se soucient de protéger leurs données personnelles" et autres "la vie privée est une anomalie"). Et aujourd'hui …
Une autre forme de No Future selon Mark Z.
Alors voilà. Rappelons les bases. En trois points.
Premier point : le grand enjeu de la privacy dans une démocratie soucieuse des libertés publiques et individuelles est d'admettre que fort heureusement tout le monde à le droit d'avoir quelque chose à cacher ou tout au moins d'avoir la possibilité de le faire. Deuxième point : mais il est de plus en plus complexe de préserver ce droit (revisionnez l'excellent documentaire Nothing to Hide) et ce droit "de confort" est devenu un droit "d'effort". Et troisième point, le plus important mais aussi le moins consensuel et le plus Faustien : il faut que ce droit à la dissimulation et à la vie privée ne joue pas d'un pervers alibi technique pour constituer partout des espaces imperscrutables, imperquisitionnables, totalement et définitivement soustraits au regard d'un juge (argument que j'avais défendu, un peu tout seul, dans l'affaire Apple VS FBI).
Facebook "Arena" et Messenger "Setting"
Dans les théories dites de "l'apprentissage situé" (Situated Learning) et des communautés de pratiques développées par Jean Lave et Etienne Wenger, la première, concernant ce que l'on appelle en général le "contexte", a proposé de scinder cette notion en deux catégories différentes :
"La distinction entre "Arena" et "Setting" a été proposée par Jean Lave (1988) pour désigner deux acceptions différentes du mot contexte. "Arena" fait référence à la dimension objective du contexte, c’est-à-dire à ses contraintes ; "Setting" fait référence à la dimension subjective du contexte, c’est-à-dire à la situation vécue par l’acteur et construite par son activité. Engagés dans le même "Arena", deux acteurs construisent des "Settings" différents."
L'Arena c'est "l'environnement neutralisé, au repos, tel qu'il serait décrit par un observateur désengagé et omniscient et qui fournit un cadre à de multiples actions possibles". Et le "Setting" c'est "l'environnement animé par l'activité qui sert de contexte ajusté." (C. Datchary et C. Licoppe). "Setting" renvoie au "contexte créé par l'individu pendant l'interaction avec l'Arena, comprenant les interactions avec d'autres individus. Le focus n'est ni l'individu ni l'environnement mais la relation entre les deux." (T. D. Anderson)
Facebook, l'espace Facebook accessible de manière semi-privée et fonctionnant comme une agora semi-publique est cette Arena marquée par des contraintes à la fois techniques (tri algorithmique et calculatoire) et sociales (gestion de la hiérarchisation entre liens forts et liens faibles).
Messenger est davantage l'expression de ce "Setting", cette dimension subjective du contexte qui fait que chacun réagira différemment à certains contenus. Or cet aspect subjectif du contexte s'exprime de plus en plus derrière l'opacité totale – pour d'autres utilisateurs de "l'arena" – de l'outil de messagerie.
Et donc ?
Et donc, avec la bascule vers le "Dark Social" et le "setting" plutôt que "l'arena" comme cadre du partage et de la rediffusion, il devient très compliqué de remettre de la rationalité publique dans des irrationalités privées. Tant que l'essentiel des logiques de partage se jouaient "en surface", sur la partie émergée de l'iceberg, il était encore possible, compliqué mais possible, d'en avoir une vision macroscopique, d'en mesurer l'étendue, et, faute de toujours pouvoir en circonscrire les effets à tout le moins d'en discuter et d'en identifier certaines des causes. Exemple. Si l'on voit un de nos "amis" liens faibles partager un contenu que l'on sait être, par exemple, une Fake News, il demeure possible dans "l'arena" d'engager le débat et d'exposer, au vu de l'ensemble des autres destinataires "publics" de son post, les éléments de contradiction. Dans "l'arena" toujours, il est également possible d'agir structurellement (si l'on est le propriétaire de la plateforme) ou par un rappel à la loi (si l'on est le législateur). Mais si ce même ami lien faible prend connaissance d'une Fake News et la rediffuse uniquement par le canal de Messenger à d'autres de ses amis liens forts (qui eux-mêmes à leur tour …) alors il devient impossible de circonscrire et de mesurer cet effet de propagation virale.
Si, parmi tant d'autres, on s'arrête un instant sur l'exemple des discours anti-vaccinaux, on observe que ceux-ci ont progressivement été relégués (par effort) et relayés (par confort), dans des groupes d'abord publics puis de plus en plus privés sur Facebook. Qu'ils sont donc progressivement sortis de l'agora discursive comme de l'arena contextuelle.
Et il est quasi certain que désormais "parias" dans l'agora de l'arena, les discours anti-vaccinaux ne trouvent un point de fuite idéal dans le "Dark Social" où ils ne pourront à aucun moment être contestés et recontextualisés, et où, surtout, Facebook ne pourra plus voir sa "responsabilité" engagée et son attitude critiquée. Mais ou le même Facebook pourra continuer à tranquillement maximiser les retours publicitaires de ces espaces "settings" de messagerie (Messenger mais aussi WhatsApp).
On pourrait bien sûr conclure de tout cela qu'après tout, rien de nouveau sous le soleil, depuis que les êtres humains vivent en communauté et sont dotés de parole et de structures sociales de rassemblement et d'expression, il y a toujours eu ces effets de dissémination. On pourrait se contenter de considérer que le "Dark Social" d'aujourd'hui n'est rien d'autre que ce que les commérages étaient hier.
Mais ce serait faire une triple erreur. D'abord celle d'oublier la monétisation instrumentale de cet ensemble d'interactions sociales et discursives. Ensuite celle de faire l'impasse sur la possibilité d'un projet politique de la plateforme. Enfin, à l'échelle de la distribution et de la volumétrie des contenus, des individualités mais aussi des collectifs ou proto-collectifs en présence, oublier que le couplage structurel entre une plateforme qui propose et une messagerie qui dispose, produit un effet sur l'opinion d'autant plus problématique qu'il est masqué et inauditable.
Ce couplage structurel entre la plateforme sociale émergée et la messagerie immergée, est l'outil rêvé qui permet à Facebook, face à la montée des critiques, de s'acheter à moindre frais une virginité d'agora et d'arena ("Oh regardez comme on fait bien le ménage dans les discours anti-vaccinaux") et un alibi de contexte subjectif (le "setting" de Jean Lave) consistant à expliquer que la plateforme ne va pas s'immiscer dans les conversations privées de ses utilisateurs qui peuvent bien après tout se dire ce qu'ils veulent sur la base de ce qu'ils auront (ou non) vus sur Facebook.
Moralité ?
Bien avant les marchés, les sociétés sont des conversations. L'étymologie latine confirme d'ailleurs qu'à l'origine la "conversatio" désignait autant le commerce, que l'intimité, ou la fréquentation. L'intime commerce de la fréquentation. La fréquentation intime du commerce. Et le commerce des fréquentations intimes. Dans l'ordre que vous voudrez.
A ce titre l'emprise d'un acteur comme Facebook sur les conversations doit être questionnée sous ces trois angles simultanés : le marché (commerce) bien sûr, mais aussi l'intimité (privacy) et avant toute chose la "fréquentation" c'est à dire la capacité de faire sens et de faire société par proximité conversationnelle.
J'ai longtemps expliqué pourquoi je redoutais que les stratégies de personnalisation des moteurs de recherche ne nous transforment en "autarcithécaires" incapables de partager et de s'identifier à des histoires et à des représentations qui soient communes avant que d'être nôtres. Des représentations et des histoires qui peuvent précisément être communes et nous permettre de faire société parce qu'elle ne sont pas uniquement les nôtres. La personnification est redoutablement pertinente quand il s'agit de commander une pizza ou de trouver une pharmacie ouverte près de chez soi, mais elle est redoutablement dangereuse et dé-socialisante dès lors qu'elle concerne des questions historiques, culturelles ou sociétales. Et ce qui fonde une société démocratique n'est pas sa capacité à commander une pizza près de chez soi.
Avec ce que l'on appelle aujourd'hui le "Dark Social", la relégation et la cristallisation d'une totalité conversationnelle dans les limbes de contextes totalement subjectivés et imperscrutables collectivement, fait planer la menace de n'avoir plus aucune prise sur des communautés de discours dés-agrégées de la conversation sociale courante. Que seuls se parlent ceux qui déjà s'accordent. Soit le commencement de tous les communautarismes.
Paradoxe de légitimité.
Ce qui se partage dans Messenger à l'aune de ce qui se voit dans Facebook est le produit d'une double essentialisation et d'une double obfuscation. Double essentialisation par la polarisation des discours et l'économie de l'attention qui servent de contexte délibérément contraint à l'immense majorité des échanges et des interactions. Et double obfuscation puisque ces conversations sont in fine soustraites au regard des contradicteurs et des législateurs.
Facebook est désormais lui-même pris dans un paradoxe de légitimité : s'il réduit – ce qu'il fait – la visibilité des discours anti-vaccinaux en surface, puis dans les groupes publics, ces mêmes discours finissent par migrer dans des groupes privés, puis au final dans le Dark Social, multipliant à chaque fois leur potentiel de viralité (et en l'occurence de nuisance). Si Facebook sévit sur ce sujet il sera – en partie à juste titre – accusé de censure arbitraire, s'il ne sévit pas, on lui reprochera son laxisme ou son refus de reconnaître sa responsabilité de fait. Et qu'il sévisse ou qu'il ne sévisse pas, qu'il le fasse "éditorialement" (en modifiant ses CGU) ou "algorithmiquement" (en automatisant l'invisibilisation de certains contenus), les discours ciblés ne feront que se renforcer et se densifier, à la fois par le simple fait de leur désignation comme interdits ou suspects, mais aussi et surtout par leur migration vers les espaces imperscrutables des messageries du Dark Social, nouvelle étape des architectures techniques toxiques qui attaquent le contrat social.
Et donc on fait quoi gros malin ?
Il n'y a pour Facebook qu'une seule manière de sortir de ce paradoxe de légitimité, d'en trancher le noeud Gordien. Il faut que Facebook comme plateforme devienne pleinement et entièrement un espace public. Ce qui passe, en effet, par le renoncement à son modèle économique publicitaire toxique. Et comme on peut raisonnablement douter de son envie d'y renoncer, il faut à la fois le contraindre à déployer une archive publique globale et immédiate de toutes les publicités et de leurs critères de ciblage, et pouvoir disposer d'un index indépendant du web. Un index indépendant qui doit aussi intégrer la dimension des "profils" des presque 3 milliards d'utilisateurs de la grande plateforme bleue et qu'il faut, là encore, contraindre à basculer vers une architecture technique réellement ouverte comme rappelé notamment dans cet article sur "The Antitrust Case Against Facebook" :
"To induce viable opportunity for new entrants, consumers must be able to export their social graph,305 and Facebook should migrate from a closed to an open communications protocol. A user on Facebook should be able to send a message to, or receive a message from, a user of a competitive social network—in the same way that users of AT&T can call or text a user of Sprint, Verizon, or T-Mobile. The adoption of an open application programing interface for user messages, chats, posts, and other communications could aid this process."
Les mots des pauvres gens.
La formule a fait son (tout) petit chemin. "L'algorithme des pauvres gens". "Ne rentre pas trop tard, surtout ne prend pas froid". "Ne fais pas ce vaccin, tu as vu tous les risques ?" La question de l'usage des messageries du Dark Social est, peut-être bien plus que toutes les autres, une question fondamentale de contexte social et culturel. Car nos conversations sont autant qu'elles font notre culture. Et que "dans l'internet des pauvres", dans le prochain milliard d'utilisateurs, ces conversations occuperont une place socialement et politiquement déterminante (on l'a hélas déjà en partie observé lors de l'élection de Trump, de Bolsonaro ou encore de Duterte aux Philippines). Ce qui n'exclut pas toute note d'optimisme (je souligne l'optimisme) :
"En interrogeant plus largement les usages quotidiens des réseaux sociaux dans les favelas et autres bidonvilles, Arora montre qu’ici comme là-bas, la vie privée n’est pas sans valeur ni abstraite, mais un concept avant tout lié à des particularités culturelles. Au Brésil par exemple, une jeune femme déclare ne pas en vouloir à sa mère de la « stalker » en ligne (c’est-à-dire à suivre ces déplacements, fouiller ses messages et autres réseaux d’amis). Un phénomène qui tient aussi au jeune âge des mères, qui continuent leur jeunesse alors que leurs enfants sont grands. En Inde, Facebook est pour de nombreux jeunes l’occasion de parler au sexe opposé, chose difficile dans la vie réelle. Le Chat est à ce titre tout à fait adapté à la romance, à travers des poèmes et autres conversations romantiques. Cependant, à l’échelle mondiale, un tiers de ces échanges se font anonymement, avant tout pour protéger les données personnelles et par souci de réputation, notamment en Asie."
Les marchés étaient des conversations. Il est probable que nous avons eu bien trop d'indulgence avec ces marchés là. Car eux n'en ont aucune sur nos conversations qu'ils ne voient que comme un nouveau commerce de indulgences de leur propre culpabilité connue, avouée, documentée.
Les marchés étaient des conversations et aujourd'hui ce sont avant tout nos conversations qui sont des marchés. Peut-être est-il temps d'enfin cesser d'être indulgent.