Les recommandations pour la rentrée de Janvier des étudiant.e.s sont arrivées. La rentrée est le 4 Janvier, et une intervention d'Emmanuel Macron (ou de son premier ministre) est prévue pour le 7 Janvier afin de faire le point sur les diverses "clauses de revoyure" concernant la situation sanitaire du pays et la possibilité, notamment pour les lieux culturels et les restaurants, de réouvrir ou non. Rentrée le 4 Janvier, allocution le 7 Janvier et toujours 2,5 millions d'étudiant.e.s en souffrance et dans l'attente, souvent désormais vitale, d'un retour à des formes d'enseignement en présentiel. Les derniers de cordée.
C'est dans ce contexte que Frédérique Vidal à choisi d'ajouter à son mépris habituel pour la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi qu'à la mythomanie constante qui lui sert de cadre budgétaire, une dose tout à fait inédite de foutage de gueule à l'adresse de cette même communauté. Elle a, lors d'un de ses passages médiatiques au Figaro, en date du 17 décembre (soit 24h avant les vacances de Noël …) laissé entendre comme Castex l'avait déjà dit, que "oui", les université ouvriraient bien le 4 Janvier mais seulement pour certain.e.s étudiant.e.s, notamment les plus fragiles, notamment les premières années, notamment les étudiant.e.s étranger.e.s. Mais toujours rien donc, à 24h des vacances de Noël : rien sur les jauges, rien sur les conditions concrètes, et surtout rien sur la manière dont ces "élu.e.s" de la reprise étudiante allaient être contacté.e.s, informé.e.s et accueilli.e.s. Nous partîmes donc en "vacances" avec la boule au ventre et contraints d'annoncer à l'ensemble de nos étudiant.e.s que nous étions … toujours en attente de consignes et ne pouvions hélas absolument rien leur promettre ou rien leur proposer dans ce flou absolu.
Et puis c'est donc le dimanche 20 décembre que la circulaire Vidal est arrivée. Une circulaire ahurissante annonçant que nous pourrions donc accueillir certain.e.s étudiant.e.s mais – accrochez-vous – par groupes de 10 uniquement. Yolo. WTF.
"Dès la semaine du 4 janvier, vous pourrez accueillir sur convocation (sic) les étudiants nouvellement entrés dans l'enseignement supérieur (double sic) en situation de grande vulnérabilité (non mais putain ?!?), cela dans la limite de 10 personnes par groupe (oh et puis merde tiens)."
6 à table et 10 en amphi.
Ce sera donc 6 à table pendant les fêtes et 10 étudiant.e.s en amphi à la rentrée. Six à table et 10 en amphi. Même les messes et lieux de culte ont obtenu du conseil d'état une jauge en termes de superficie. Mais l'université ? Mais les 2,5 millions d'étudiant.e.s qui en sont la chair et le sang ? Rien. Que dalle. Juste cet éternel mépris. 10 en amphi.
Comment choisir ces 10 élu.e.s ? Sur quels critères (étant entendu que s'il s'agit réellement de cibler les plus fragiles ou les moins bien connectés, même en se cantonnant aux premières années, le seuil de 10 explosera illico) ? Et comment surtout s'organiser concrètement pour les accueillir le 4 Janvier en ayant l'info le 20 décembre et tout en sachant que cet accueil se fera pour 3 jours puisque le 7 Janvier d'autres mesures sanitaires nationales seront annoncées ? Et qui pour les accueillir ? Et "combien de groupes de 10" dans des promos de première année qui peuvent atteindre les 300 étudiant.e.s ?Car en face de chaque groupe de 10 il faudra mettre des enseignant.e.s si l'on veut proposer quelque chose de décent et à l'échelle de la détresse traversée. La circulaire indique que les tuteurs étudiant.e.s – les 20 000 postes annoncés fin Novembre par le premier ministre – pourront contribuer et participer à cet accueil sauf que … personne dans aucune université n'est au courant de la procédure concrète permettant de lancer ces recrutements. Sans oublier – je le rappelle simplement pour la forme – que même si l'on savait comment faire, il faudrait encore faire tout cela pendant … les vacances de Noël.
Cette circulaire torchée en urgence et sous une (relative) pression sociale et médiatique réagissant elle-même à de constantes alertes sur la détresse morale, mentale et psychique désormais hélas parfaitement documentée de 2,5 millions d'étudiant.e.s, cette circulaire balancée le 2ème jour des vacances comme un étron politique dans une cuvette de non-sens, cette circulaire qui dit que concernant l'université, d'une politique de tube digestif pilotée par des ministres à l'efficience de sphincters ne peut sortir que de la merde, cette circulaire est le signe de plus, le signe de trop, que l'université et ses 2,5 millions d'étudiant.e.s ne comptent pas. Qu'il est possible de les mépriser au-delà des formes les plus abouties et les plus viles de l'incurie politique.
10 étudiant.e.s. Uniquement issu.e.s des premières années. Ou alors des étudiants étrangers. Mais toujours 10 et pas plus. Ou alors des étudiant.e.s ni étrangers ni en première année mais alors vraiment en très grande détresse ou fragilité on incapacité totale de se connecter. Etant entendu que le fait d'être en 2ème année ou 3ème année ou au-delà semble donc te conférer, selon Frédérique Vidal, une sorte de totem d'immunité contre la précarité, contre la fragilité, contre la détresse psychologique, et bien sûr contre l'absence de connexion internet.
Je suis enseignant-chercheur depuis presque 20 ans. Depuis presque 20 ans j'ai déjà vu se succéder au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche des candidat.e.s qui avaient érigé la volonté de saboter l'université publique en programme politique assumé. Depuis presque 20 ans j'ai vu des ministres de l'enseignement supérieur capables de raconter absolument n'importe quoi en enfilant des contre-vérités comme un candidat de télé-réalité des réflexions philosophiques sur le doute cartésien. Mais franchement depuis presque 20 ans j'avoue n'avoir aucun souvenir d'un tel combo de mépris assumé, d'incompétence crasse et d'ostensible provocation.
L'université ne vaut toujours pas une messe. Mais c'est donc tout à fait officiel (j'ai dû me repasser la vidéo 20 fois pour me convaincre de ne pas rêver), ce soir du 24 décembre il y aura des messes de Noël inédites, qui pourront réunir plus de 700 personnes, et qui se tiendront dans … des patinoires (les mêmes patinoires toujours interdites de recevoir du public pour les compétitions sportives …), dans des théâtres (!!!) et même dans des Zénith.
Je vous rappelle que je suis le gars laïque qui avant d'aller faire cours dans la rue avait sollicité le diocèse de Vendée pour la mise à disposition d'une église afin d'aller y faire cours en appliquant les mêmes règles sanitaires et de distanciation que celles régissant l'exception de l'ouverture des lieux de culte. Le gars à qui on avait dit "non". Et donc en ce soir de Noël, des messes réunissant près de 700 personnes se tiendront dans des patinoires mais à la rentrée nos amphis de 300 places ne pourront accueillir que des groupes de 10 étudiant.e.s. et bien sûr nous, nous avons l'interdiction d'aller faire cours dans des patinoires ou dans des théâtres ou dans des Zénith qui eux-mêmes (patinoires, théâtres et Zenith) ont l'interdiction d'accueillir du public.
On dira ce que l'on voudra mais il y a quand même de bons gros coups de pelle dans la tronche qui se perdent.
Paraît que c'est la période des voeux. Alors allons-y.
L'occasion pour chaque président.e d'université de s'adresser aux personnels et aux étudiants. Voici le mail que nous avons reçu de la présidente de l'université de Nantes.
Alors voilà. L'année 2020 aura été "pour le moins éprouvante".
Alors voilà, nous avons été capables de "nous mobiliser" (ô combien) et de "maintenir des enseignements de qualité à distance" (là par contre … chacun sait que ces enseignements de qualité furent l'exception et non la règle).
Alors voilà "pour tout cela : MERCI" en lettre capitales.
Mais le reste … "il va nous falloir être patients" (sic) et notamment la partie des voeux adressée aux étudiant.e.s : "vous qui préparez et passez vos examens dans des conditions inhabituelles (sic), accrochez-vous. Cela en vaut la peine". Et … basta ?? "Accrochez-vous cela en vaut la peine" ? Sérieusement ? Est-ce là tout ce que l'on peut dire aux 37 000 étudiant.e.s de l'université de Nantes ? L'une des toutes premières communautés de l'enseignement supérieur en France ? "Accrochez-vous" ?
J'aurais aimé en cette période et au regard de la situation de l'université que ces voeux là, cette année là, prennent un tour et un ton particulier au regard de ce que fut ce commencement d'année universitaire et de celle qui l'a précédé. Mais non. L'exercice est peut-être trop convenu, ou la fonction de président.e d'université trop politique. Il ne faut fâcher ni heurter personne. Raté.
J'aurais aimé que ces voeux soient politiques. Qu'on ne s'adresse pas simplement à des étudiants envisagés comme simples "usagers" traversant une situation et des conditions d'examen "inhabituelles" (sic) mais que l'on parle à ce qu'ils et elles sont vraiment, c'est à dire des citoyennes et des citoyens. J'aurais aimé qu'on leur explique que la situation qu'ils vivent n'est pas acceptable et que nous, la communauté universitaire constituée de leurs profs mais aussi de l'ensemble des personnels administratifs et techniques, nous le déplorons, nous le regrettons et surtout, surtout, nous le combattons. J'aurais aimé qu'on leur dise que nous ne nous résignerons pas à les enjoindre à "s'accrocher parce que cela en vaut la peine" alors même que nous constatons chaque jour que le décrochage est massif, que la précarité est massive et que la santé mentale de la plupart d'entre eux s'effondre. J'aurais aimé que l'on puisse leur dire que par toutes actions légitimes au regard de l'impérieuse nécessité qu'ils retrouvent un lien social en présentiel et que faute de consignes claires du ministère répondant à cette nécessité, j'aurais aimé que l'on puisse leur dire que nous prendrons nos responsabilités. Des responsabilités que "l'autonomie" de nos universités nous permet encore de mettre en oeuvre même si les mêmes universités sont de plus en plus exsangues financièrement (l'université de Nantes vient de faire voter un budget en déficit). J'aurais aimé que l'on puisse écrire dans ces voeux que nous ne laisserons pas nos étudiant.e.s passer après les messes et – peut-être en Janvier – après les salles de spectacle et les restaurants.
Je nous souhaite que l'année universitaire prochaine soit pleine de luttes, de cours de rue, de bénédictions de salles de cours pour y tenir des séances laïques d'enseignement, de happenings improbables pour redessiner quelques sourires, quelques larmes aussi, et surtout quelques retrouvailles vaille que vaille. Je nous souhaite de la colère qui réveille et qui meut, je nous souhaite du courage et de la détermination dans l'action. Je nous souhaite, comme enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses de continuer de refuser d'en sauver temporairement 10 quand nous avons la responsabilité de 1000 au motif qu'une ministre imbécile en aurait décidé ainsi.
Et à nos étudiantes et étudiants je le redis, vous n'êtes pas seulement des usagers de l'université, vous êtes l'avenir de nos sociétés et nous nous tiendrons à vos côtés pour le rappeler sans cesse.
Joyeux Noël à tous et toutes.