Voilà.
Frédérique Vidal a parlé. C'était hier soir lors de la conférence de presse désormais presqu'habituelle et qui rythme nos vies consenties comme une respiration dont on craint à chaque fois qu'elle soit plus oppressante que la précédente.
Frédérique Vidal a parlé. Depuis le début de la crise en Janvier dernier, depuis le premier confinement de Mars dernier, c'est la première fois, la première fois qu'elle apparait ainsi et qu'avec elle apparaissent un peu les plus de 2,5 millions d'étudiant.e.s qui sont nos avenirs et nos destins communs.
Pour cette apparition, pour qu'au moins symboliquement la ministre des étudiant.e.s apparaisse enfin et pas uniquement les ministres des transports, de l'économie, de la santé ou des collèges, écoles et lycées, pour que Frédérique Vidal ait l'autorisation d'avancer au pupitre il aura fallu deux tentatives de suicide à Lyon en moins de trois jours et des alertes constantes depuis des semaines sur la détresse étudiante émanant de l'ensemble de la communauté universitaire. Alors voilà.
Frédérique Vidal a parlé. Elle a dit à quel point elle était consciente de la détresse des étudiant.e.s. La preuve ? Elle a doublé le nombre de psychologues universitaires (en tout cas elle dit qu'elle va le faire). Nous étions avant ce doublement à 1 psy pour 30 000 étudiant.e.s. Nous aurons donc désormais 2 psys pour 30 000 étudiants. Sachant que d'après la dernière étude de Santé Publique France datée du 9 Janvier 2021, "un étudiant sur trois a des difficultés à gérer son stress et un sur dix présente des signes de dépression de par son isolement." Je vous laisse faire la règle de trois et vous réjouir que devant tant de munificence les délais d'attente pour des urgences psy sur les campus soient potentiellement ramenés de plus de 6 mois à plus de 3 mois. La dernière fois que Frédérique Vidal a osé prétendre que cette mesure était exemplaire devant un journaliste (Thomas Sotto sur RTL, réécoutable ici à partir de 3'30) et qu'il lui a rappelé ces chiffres qui font des services psychologiques à l'université et plus globalement de la médecine universitaire un service digne d'un pays du tiers-monde, Frédérique Vidal a bafouillé que oui bon ben non mais faut aussi ajouter le "temps de psychologues mis à disposition des étudiants et qui ne sont pas des titulaires". Car oui bien sûr hein, ce doublement sera provisoire, les psys recrutés en contrats précaires le temps que cette épidémie passe car c'est bien connu dès que la crise sera passée les symptômes et syndromes dépressifs et compulsifs accumulés depuis deux années (universitaires) s'effaceront comme par enchantement (et je ne vous parle même pas du salaire des psys titulaires qui est à lui seul un invitation à se pendre).
Frédérique Vidal a parlé. Et après la "bonne" nouvelle du doublement des psychologues sur les campus, elle a annoncé une autre "bonne nouvelle". Les étudiant.e.s, mais seulement de première année, pourront retourner à l'université à partir du 25 Janvier, pour les TD (travaux dirigés, soit des groupes équivalents à une classe de lycée, une trentaine ou une quarantaine d'étudiant.e.s), mais seulement en demi-groupes (donc pas plus de 15 ou 20 étudiants soit toujours 2 fois moins que dans la plupart des classes préparatoires qui ont toujours cours en présentiel total depuis le début de l'année).
Alors bon dans l'état où sont les étudiant.e.s de première année c'est bien sûr déjà un horizon et déjà en effet une presque bonne nouvelle. Nous allons leur annoncer avec les précautions d'usage car personne hélas n'est dupe des réserves et restrictions qui ne manqueront pas d'être émises à l'issue des réunions techniques se tenant aujourd'hui au ministère avec la conférence des présidents d'université. D'autant que bien sûr pour la mise en place, on se démerde "à moyens constants" (on a l'habitude …) vu que rien n'est prévu pour permettre de dédoubler concrètement (bah oui, quand on a la moitié des étudiant.e.s en présentiel, faut aussi proposer un truc à l'autre moitié …)
Frédérique Vidal a parlé. Mais il manque un truc non ? Attendez je cherche. Ah ça y est j'ai trouvé. Il manque les étudiant.e.s de 2ème année, et de 3ème année, et puis aussi les étudiant.e.s en master 1 et en master 2. Ah ben oui c'est ballot. Il manque tou.te.s les étudiant.e.s sauf celles et ceux en première année. Tout.te.s ces étudiant.e.s à qui la ministre des gymnases a dit hier soir qu'ils reprendraient "plus tard" et bien sûr "si les conditions sanitaires le permettent". C'est con quand même.
C'est con parce qu'ils n'ont toujours pas trouvé le totem d'immunité de santé mentale qui les dispense de troubles anxieux, de comportements compulsifs, et d'idées suicidaires.
C'est très con parce que pour beaucoup de ces étudiant.e.s l'année universitaire sera terminée en Mars (ils partent ensuite en stage), c'est à dire pile au moment où la ministre leur indique qu'il pourraient potentiellement revenir un peu en présentiel (puisqu'il y a entre temps les vacances de février).
C'est super con parce que beaucoup des promotions de master 1 et de master 2 sont de toute façon des promotions avec (beaucoup) moins de 20 étudiant.e.s et que donc il n'y aurait même pas eu besoin de les accueillir en demi-groupes …
Il y avait à la rentrée 2020, 284 800 nouveaux bacheliers inscrits en première année de cursus licence à l'université. 284 000 étudiant.e.s en première année. Il y avait à la rentrée 2020, 1 675 100 étudiant.e.s à l'université publique, le reste des 2,5 millions d'étudiant.e.s en France se répartissant entre les écoles privées, les BTS, les classes préparatoires, etc.
Frédérique Vidal propose donc un horizon à 284 000 étudiant.e.s. Il reste donc 1 390 300 étudiant.e.s à l'université sans horizon ni perspective autre que "bon bah continuez d'attendre et puis on verra bien". La réalité la voilà.
Alors bien sûr personne (et surtout pas moi) n'explique qu'il fallait accueillir tout le monde et tout de suite. Personne. Mais il y avait d'autres solutions proportionnées à mettre en place. A l'échelle de la réalité des campus. Je les ai notamment indiquées dans cet article.
Et puis merde.
Tout honte bue, comment une femme qui a tout de même été une (très décriée) présidente d'université (à Nice) peut-elle imaginer un seul instant que proposer un maigre horizon a à peine 15% de la totalité des étudiant.e.s à l'université, comment peut-elle un instant s'imaginer être à la hauteur de la tâche et se regarder dans un miroir ?
Tout honte bue comment cette femme et les services et directions du ministère peuvent-ils s'imaginer que l'on ne va tenter de sauver que les premières années et que cela suffira ?? D'où sortent-ils l'idée parfaitement stupide et hors-sol que seul.e.s les premières années seraient en souffrance à l'université et en attente d'une bouée de sauvetage ? Bien sûr que la violence et l'injustice de la situation est éreintante pour les premières années qui ont déjà vécu une année de terminale chaotique. Mais nos 2èmes années ?? Et les licence pro (3èmes années) dont beaucoup débarquent pour un an dans un nouveau campus, sans repères et sans ami.e.s ? Et les master ? Faut-il leur rappeler que l'étudiant qui s'est défenestré à Lyon samedi dernier était étudiant en Master ?
On utilise souvent l'image du Titanic et de l'orchestre qui continue de jouer pour dépeindre les systèmes régaliens qui s'effondrent. L'université publique est aujourd'hui un Titanic. Depuis le mois de Mars dernier nous avons trouvé notre iceberg comme tant d'autres secteurs et services. En capitaine du Titanic universitaire Frédérique Vidal a choisi, mais elle n'a pas choisi de tenter de sauver "les femmes et les enfants d'abord", seulement "les femmes de moins de 35 ans et les enfants de moins de 5 ans". Les autres, prenez une grande inspiration.
Au 1er plan, la chaloupe des demi-groupes des étudiant.e.s de 1ère année.
Au fond dans le bateau, tous les autres.
(Dessin de Willy Stöwer)
Bonus Tracks.
Je suis un peu monomaniaque en ce moment. C'est certainement ma manière à moi de continuer à pouvoir regarder en face mes étudiant.e.s, en visio ou en présentiel. Mais je ne désespère pas de pouvoir vous reparler d'autres choses, comme l'anniversaire (20 ans) de Wikipédia. En attendant, j'étais l'invité hier de la Midinale de Regards.fr pour évoquer la situation que vivent les étudiant.e.s. A regarder et écouter par ici : "Il faut rouvrir les facs, sinon il faudra désobéir."
Et l'émission n'étant pas disponible en replay, j'ai mis en ligne l'une des toutes premières interventions que j'avais faite sur le sujet, avant mon cours de rue, dans l'émission de Christophe Beaugrand sur LCI, a regarder et écouter par ici.
Est-il possible d’enseigner aujourd’hui dans les bâtiments de l’université ? Et, corollaire, qu’est-ce qui est interdit ? Puisque tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Rappelons au préalable que les universités sont ouvertes et que tous les personnels peuvent s’y rendre. La question ne pose donc que pour les « usagers », selon le terme utilisé dans la réglementation. À ce jour, elle est réglée par le décret n°2020-1310 du 29 octobre. La récente circulaire de la fin du mois de décembre n’est tout au plus qu’un commentaire quand elle n’évoque pas de futures dispositions réglementaires (« La présente circulaire expose les conditions de cette reprise, qui reste conditionnée à l’évolution de la situation sanitaire et à des modifications du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ») et suggère donc des actions non réglementaires à ce jour. Elle n’a de toute façon pas de valeur juridique puisque la hiérarchie des normes se compose respectivement de la loi, du décret et de l’arrêté.
Que dit le décret n°2020-1310 ?
« Dans les établissements d’enseignement relevant des livres IV et VII [dont les universités] du code de l’éducation, à l’exception de ceux mentionnés au deuxième alinéa, l’observation d’une distanciation physique d’au moins un mètre ou d’un siège s’applique, entre deux personnes lorsqu’elles sont côte à côte ou qu’elles se font face, uniquement dans les salles de cours et les espaces clos et dans la mesure où elle n’affecte pas la capacité d’accueil de l’établissement » (extrait de l’article 36)
La dernière précision « n’affecte pas la capacité d’accueil » permet aux classes préparatoires d’avoir un enseignement normal, tout comme dans de nombreux lycées, principalement ceux des centres-villes. Concernant les mesures sanitaires, il est précisé :
« L’accueil est organisé dans des conditions permettant de limiter au maximum le brassage des élèves appartenant à des groupes différents. II. – Portent un masque de protection : 1° Les personnels des établissements et structures mentionnés aux articles 32 à 35 [dont les universités] ; etc. »
Il faut y ajouter les dispositions générales en particulier l’article 1 : « Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d’hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ». L’annexe 1 précise : « – se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon (dont l’accès doit être facilité avec mise à disposition de serviettes à usage unique) ou par une friction hydro-alcoolique ; – se couvrir systématiquement le nez et la bouche en toussant ou éternuant dans son coude ; – se moucher dans un mouchoir à usage unique à éliminer immédiatement dans une poubelle ; – éviter de se toucher le visage, en particulier le nez, la bouche et les yeux.
Les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties [lorsque la décision du masque obligatoire n’a pas été prise par une autorité habilité] »
C’est l’article 34 qui interdit de fait les enseignements stricto sensu en restreignant le droit des usagers à venir à l’université, c’est-à-dire qu’il empêche les étudiant.e.s et les universitaires de revendiquer l’application de l’article 36 :
« L’accueil des usagers dans les établissements d’enseignement supérieur mentionnés au livre VII de la troisième partie du code de l’éducation est autorisé aux seules fins de permettre l’accès : 1° Aux formations lorsqu’elles ne peuvent être effectuées à distance compte tenu de leur caractère pratique dont la liste est arrêtée par le recteur de région académique ; 2° Aux laboratoires et unités de recherche pour les doctorants ; 3° Aux bibliothèques et centres de documentation, sur rendez-vous ; 4° Aux services administratifs et aux activités de soutien pédagogique, uniquement sur rendez-vous ou sur convocation de l’établissement ; 5° Aux services de médecine préventive et de promotion de la santé, aux services sociaux et aux activités sociales organisées par les associations étudiantes ; 6° Aux locaux donnant accès à des équipements informatiques, uniquement sur rendez-vous ou sur convocation de l’établissement ; »
La modification apportée par le décret n°2021-16, « et aux activités de soutien pédagogique » permet donc un retour des étudiant.e.s, de la L1 au M2 (les doctorants ont d’ores et déjà accès aux laboratoires). La « circulaire » de décembre 2020 (non encore publiée à ce jour…) n’est pas conforme à la réglementation, en ce sens qu’elle restreint ce que le décret autorise. Il est donc nul besoin de désobéir. Il suffit de rédiger une convocation du genre :
« Conformément au décret n°2020-1310 article 34, M/Mme XXX convoque l’étudiant.e XXX pour des actions de soutien pédagogique le XXX à XXh en salle . »
Ce que nous entendons par « action de soutien pédagogique » ne regarde que nous. Dans le contexte actuel, est-il même possible de faire un cours ? Comme si de rien n’était ? C’est bien de soutien qu’il s’agit, quelle qu’en soit la forme. Par la modification introduite par le décret n°2021-16, nous pouvons agir, sans même avoir à désobéir. C’est donc désormais surtout notre inaction collective qui menace l’Université et les étudiant.e.s.
Cette liberté n’aura pas duré longtemps:
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042993250
Lire notamment le b) du 5° de l’article 2, qui modifie l’article 34 du décret n°2020-1310 :
« 5° L’article 34 est ainsi modifié :
b) L’article est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° Aux travaux dirigés et travaux pratiques destinés aux étudiants inscrits en première année des formations du premier cycle de l’enseignement supérieur et en première année du premier des cycles de formation dispensés dans les établissements mentionnés aux titres IV, V et VII du livre VI du code de l’éducation. » »
merci pour ces éléments même s’ils sont … navrants concernant le dernier.
Les universités sont autonomes certaines oont toujours reçues des étudiants pour les td la fac Paul sabathier de Toulouse à toujours reçu les étudiants pour les td.Mais ce qu’il manque le plus aux étudiants c’est leur vie sociale,l’heure des rencontres des bars etc… C’est sûrement eux et les parents d’étudiants qu’il aurai fallu vacciner en premier pour leur santé mentale et leur permettre de retrouver la vie tout simplement
90.000 profs.
2,5 millions d’étudiants. Et leur famille.
Une armée.
Le groupe socio-culturel qui détient le plus gros QI, la plus grosse culture, la plus grosse diversité de connaissances et de compétences du pays.
Il doit bien y avoir sur ces 4-5 millions de personnes au moins 10 stratèges géniaux – avec des troupes immenses et compétentes, dans des domaines très utiles, notamment en termes d’organisation et de communication.
Par exemple : à quoi ça ressemble, un campagne sur internet menée par 5 millions de personnes motivées et coordonnées ?
Si l’objectif est la santé mentale, l’avenir et la vie d’une génération entière, je ne vois rien qui s’oppose à mobiliser des jeunes gens majeurs.
La guerre, c’est la guerre. Si vous attendez de l’ennemi l’autorisation de vous mobiliser…
Vous avez la force pour vous. La légitimité. N’accablez pas votre ministre : vous êtes déjà vaincu.
Bonjour,
En tant qu’étudiant, je ne peut qu’acquiescer quant à vos préoccupations, et je trouve très noble de vouloir faire changer les choses pour le bien de vos élèves. Je trouve en revanche moyennement pertinent le fait d’attaquer sur la forme plutôt que sur le fond (« Frédérique Vidal a bafouillé que oui bon ben non » n’est pas un argument recevable).
Justement, le manque de sources ne permet pas de vérification rigoureuse des faits que vous avancez. Les étudiants se sentent-ils vraiment moins bien maintenant ? Ou est-ce une impression laissée par des cas extrêmes mais non représentatifs de la situation globale ?
Le sujet de l’article est pertinent, et mérite qu’on s’y attarde. Quelques sources permettraient de lui donner plus de valeur. (L’étude de Santé Publique France date de 2019, non pas de 2021 et n’apporte donc rien au sujet du confinement)
Bonjour,
On en parle de l’isolement des personnels d’accueil dans une université comme celle de Nantes. Obligés de venir « travailler », disons plutôt garder des murs, jour après jour jusqu’à l’heure du couvre-feu, parfois même le samedi, mais seuls dans un bâtiment. Parce qu’il faut maintenir les bâtiments ouverts, mais vides. L’accès aux locaux n’est pas interdit, quelques enseignants (2 ou 3 tout au plus hantent les locaux) et parfois un étudiant malin déniche même une salle informatique. Pour le coup le retour des étudiants aurait le mérite de donner un peu de sens à leur présence, en attendant la prochain vague…