C'est donc (au moins) la cinquième vague de désinformation autour de la pandémie que nous traversons. Et si les processus de désinformation sont connus, leur récurrence et leur audience ne cesse de nous interroger collectivement à la fois sur nos crédulités, nos croyances, et peurs et nos angoisses, nos responsabilités individuelles et collectives, mais aussi, bien sûr, sur les responsabilités d'un écosystème informationnel (de CNews à Facebook) souvent en totale perdition.
Et puis comme le premier de l'an approche, et avec lui les flots de champagne afférents, j'ai soudainement été saisi. Par une image. Une chose vue. Sur Twitter. L'image d'une bouteille de champagne ouverte, avec une cuillère dans le goulot, et cette légende : "Et ça vous étonne qu'il y ait autant d'Antivax dans ce pays ?"
Une saillie comme on en voit tant sur Twitter, une moquerie, une dérision, et l'efficacité de ce raccourci texte-image : l'anacoluthe qui te percute.
Je me suis alors posé plusieurs questions. La question de savoir si j'avais moi-même déjà mis une cuillère dans une bouteille de champagne au motif d'éviter que les bulles ne s'en aillent. La réponse fut "oui".
La question de savoir si j'avais déjà dit à des gens de mettre une cuillère dans une bouteille de champagne. "Oui" également. Je l'avais déjà conseillé, vaguement, mollement, parfois en boutade, souvent après plusieurs bouteilles de champagne et d'autres breuvages divers, laissant planer bien davantage que l'ombre d'un doute sur la sobriété cartésienne de cette recommandation, mais "oui", je l'avais déjà conseillé.
La question de savoir si aujourd'hui je pourrai encore le conseiller ou y avoir moi-même recours. Là encore la réponse fut un "oui" global (même si l'âge aidant je suis désormais doté de tout un tas de trucs permettant de reboucher n'importe quelle bouteille ouverte mais si j'étais dépourvu desdits trucs, l'honnêteté fait que, oui, je pourrai encore tenter le coup de la cuillère).
La question de savoir si je croyais réellement que cela aurait un effet sur les bulles. Et là la réponse fut plus compliquée. Cette idée du bouchon dans la bouteille de champagne m'ayant été transmise et "habituée" tant par mon cercle familial (grands-parents et parents) que par mon cercle amical (où certains le pratiquaient, probablement par pur mimétisme, probablement d'un héritage là aussi familial), j'avais moi-même reproduit cet habitus sans pour autant le questionner, sans pour autant chercher à en vérifier la véracité. Parce que j'avais autre chose à faire, parce que cela ne me semblait pas engager l'avenir de l'humanité que d'en établir la rationalité ou l'irrationalité scientifique, et parce que c'était … un habitus, c'est à dire une manière aussi de faire groupe, de faire famille, de (re)produire un code qui nous inscrit dans une lignée, l'une de ces "petites cérémonies" comme l'écrivait Goffman, dont la fonction est d’assurer l’ordre social. C’est une transaction. Que l'on maintient souvent pour éviter toute "fausse note", comme une forme de tact ou (Goffman encore) "d'échange réparateur" ou "d'aveuglement par délicatesse". Les mêmes raisons qui font que les gens en face de nous qui savent que c'est complètement con nous épargnent et nous laissent mettre cette cuillère dans la bouteille. "Aveuglement par délicatesse." Ou forme dégradée d'extension de soi temporelle à l'image des "remèdes de grand-mère".
En résumé :
- l'ai-je déjà fait ? Oui.
- l'ai-je déjà prescrit ? Oui.
- le ferai-je encore ? Oui si (si je n'avais pas d'autres trucs pour boucher la bouteille)
- l'ai-je cru ? Je l'ai accepté comme une croyance sociale sans en questionner la véracité. Et lorsque j'ai lu que c'était faux et complètement con (cela a dû m'arriver ou à d'autres), j'ai fait le choix d'oublier cette lecture et d'accepter de nouveau cette petite cérémonie pour qu'elle ne devienne pas une fausse note. C'est étonnant mais c'est comme ça.
M'étant posé toutes ces questions ô combien essentielles, me voilà donc en quête d'une vérité scientifique établie au sujet de la cuillère dans le bouchon de champagne.
Premier élément : cela doit être une cuillère en argent. Lisant cela, me revient en effet le souvenir de vieux repas de famille où "l'argenterie" avait également cette fonction d'hypothétiquement éviter que les bulles ne s'évaporent. Or sans être désargenté mais n'ayant aucune argenterie je m'aperçus rétrospectivement que je n'avais gardé de l'idée de "la cuillère en argent dans le goulot" que le côté "la cuillère dans le goulot", réduisant donc les chances que n'advienne la prophétie du maintien des bulles nonobstant l'absence d'étanchéité. A ce stade de ma réflexion, j'aurais donc pu m'écrier :
"mais quel imbécile je fais, si le coup de la cuillère n'a jamais marché, c'est parce que j'avais oublié qu'il fallait qu'elle soit en argent …"
Et de me trouver donc ainsi conforté dans ma croyance initiale, cet habitus hérité, ce confort dans les cérémonies sociales mettant en scène nos libations champagnisées.
Mais étant décidé à éclaircir une fois pour toutes le mystère, je poursuivis ma quête pour tomber très rapidement sur un résultat, cette fois définitif.
"en 1995, le Centre interprofessionnel des vins de Champagne se dévoua pour ouvrir quelques bouteilles et les laisser reposer avec ou sans cuiller dans le goulot… À l’issue d’un protocole rigoureux, le résultat fut sans appel : la petite cuiller n’avait strictement aucun effet sur la conservation des bulles, qu’elle soit d’argent ou d’inox." Sciences et Avenir, 2017
L'article le plus complet sur le sujet, fut publié dans Libération, en 1995 justement et on peut y lire le détail du protocole et de la méthodologie, ainsi – c'est important – que la source de l'étude princeps :
"C'est une revue professionnelle qui nous l'apprend, le Vigneron champenois. Pour cette mission d'importance, elle a fait appel à pas moins de trois chercheurs des services techniques du Comité interprofessionnel du vin de Champagne. Plusieurs bouteilles d'une même cuvée ont été débouchées, puis vidées partiellement d'un ou deux tiers. Certaines ont été laissées ouvertes, d'autres avec une petite cuillère (en Inox ou en argent) posée dans le goulot, d'autres enfin refermées d'un bouchon ou d'une capsule.
Les bouteilles ont été gardées ainsi de 8 à 72 heures et fait l'objet de trois examens: évaluation de la pression résiduelle et de la perte de poids, ainsi que dégustation. A partir du moment où le goulot reste ouvert, le résultat est tout aussi mauvais que ce soit avec ou sans petite cuillère. «Après 8, 24 ou 48 heures, la perte de pression est de même ordre de grandeur. Elle est supérieure à 50% après 48 heures dans les deux cas.» En revanche, le «dégazage» est moins important quand la bouteille est bouchée. Quant à la perte de poids qui vient confirmer ce premier essai, en 72 heures, elle «est la même avec ou sans la petite cuillère». Désireux de ne rien laisser au hasard, ces esprits scientifiques ont mené les mêmes essais, cette fois avec une pierre ponce dans la bouteille (ce qui a la particularité d'accélérer le dégazage à vitesse grand V). L'effet est similaire. Pour recouper ces mesures physiques, les vins ont été dégustés. Le verdict est une fois encore sans appel: «La dégustation confirme que la petite cuillère n'amène aucune amélioration sur la conservation de l'effervescence. Il faut souligner également que les vins sont rapidement marqués par des notes d'oxydation qui déprécient les qualités du vin.»"
Le débat scientifique étant clôt, se pose alors l'autre question : mais pourquoi cette légende urbaine continue-t-elle de se propager ? Pourquoi les gens continuent-ils de mettre des cuillères dans les bouteilles de champagne ? Et quelle est l'origine de ce … mythe ?
Nouvelle enquête de votre serviteur, et là encore plusieurs hypothèses probables.
D'abord si vous avez déjà essayé de reboucher la bouteille avec son bouchon, vous avez vu que cela était impossible eu égard à la forme particulière (celle d'un champignon) du bouchon de champagne (pour résister à la pression). Il est donc possible que cette impossibilité première, si elle n'est pas à l'origine du mythe, ait en tout cas facilité sa propagation.
On suppute donc que la légende de la cuillère aurait initialement permis de "marquer" la bouteille des habitués dans les bars et restaurants, pour la retrouver le lendemain. Ou bien alors, dans les mêmes bas et restaurants, à simplement distinguer les bouteilles vides des non-vides. Distinction permettant (c'est la dernière hypothèse) aux barmen de repérer facilement les fonds de bouteille qu'ils pourraient alors "passer" durant le service (en les mélangeant éventuellement à du champagne plus "frais" ravivant ainsi celui déjà ouvert).
Bref un truc entre l'arnaque à la consommation et la ruse capitaliste classique des avaricieux.
Mais quel est le rapport avec … les antivax ??
Bah je crois vous l'avoir déjà indiqué non ? 🙂
Je vous réexplique quand même. A force de voir se multiplier (et notamment chez un certain nombre de collègues éminent.e.s, professeur.e.s des universités et maîtres.ses de conférences) les publications et messages totalement ahurissants et autres vidéos complotistes totalement pétées sur leurs profils Facebook, Twitter ou même via des listes de diffusion professionnelles, et à force de m'interroger sur les processus de rationalité qui sont à l'oeuvre chez tous ces gens, qu'ils et elles soient titulaires d'un bac + 12 ou d'un brevet des collèges, il me semble (ce qui n'est pas une consolation pour autant) que certains discours antivax relèvent de la même logique d'habituation que le coup de la cuillère dans la bouteille de champagne.
Par-delà les antivax radicaux et prosélytes, l'immense majorité d'entre elles et eux, me semble plutôt du côté de la cuillère dans le champagne : un mélange d'habitus, de conformité sociale aspirant et se reconnaissant dans la contestation commode du pouvoir en place, un slacktivisme classique renforcé par la puissance de la viralité des Fake News. C'est le principe de la pensée tribale et du fait que nous ignorons (ou feignons d'ignorer) le contexte au sein duquel nous formons nos opinions. Être antivax ou plus exactement se dire antivax c'est à la fois s'afficher dans une posture contestataire socialement gratifiante mais également renforcer son appartenance à un groupe idéalisé.
Autre élément important dans le ventre (plus ou moins) mou des discours antivax, il est facile de se convaincre (ou de se laisser convaincre) que les vaccins ne servent à rien (et une fois que l'on en est convaincu, le passage au "et en plus c'est dangereux" n'est plus très loin …). Cette facilité s'explique par un effet de persistance cognitive difficile à gommer. Et je reviens une fois encore à la cuillère dans la bouteille de champagne.
Au sujet de la cuillère dans la bouteille de champagne, la persistance cognitive nous dit "oui mais quand même ça marche". Parce que oui, en effet … cela marche. Si vous mettez une cuillère, même pas en argent, et que vous vous resservez un verre le lendemain, votre champagne aura toujours des bulles. Donc ça marche. Mais en fait non. Puisque que comme indiqué dans l'étude de 1995, "après 8, 24 ou 48 heures, la perte de pression est de même ordre de grandeur. Elle est supérieure à 50% après 48 heures dans les deux cas." Et qu'à cela il faut ajouter que plus la bouteille est vide et plus les bulles restantes s'évaporeront rapidement. Donc tant que vous ne buvez pas votre champagne plus de 48h après son ouverture, et pour autant que votre bouteille soit entamée mais pas trop, il restera toujours (plus ou moins) gazeux. Il le sera (toujours) moins, mais il le sera … toujours, et l'habitus aidant, votre croyance dans le pouvoir de la cuillère magique se trouvera donc renforcé, vous permettant d'affirmer tout de go, "bah oui mais ça marche hein puisque je l'ai fait et que le lendemain bah y'avait toujours des bulles".
Donc on observe ainsi que l'argument (en fait une argutie) "Oui mais la cuillère c'est efficace, la preuve mon champagne a encore des bulles 24h plus tard" est l'équivalent en miroir du "oui mais la vaccination ne marche pas, la preuve il y a des double vaccinés hospitalisés". C'est la dimension du biais de confirmation et de l'écho de croyance.
De la même manière, "Attention il faut que la cuillère soit en argent" est l'équivalent du "Attention il y a des trucs (bizarres ou dangereux ou inconnus) dans le vaccin". C'est la dimension "magique" de la croyance toujours corrélée à un imaginaire sémantique et moral de richesse de classe (l'argenterie pour le champagne et le complot de Georges Soros et Bill Gates qui contrôlent le vaccin). Manière de prêter à des gens (ou à des métaux) des propriétés (ou des projets) qu'ils n'ont pas.
Pareillement, l'idée que "bah tout le monde le fait ou l'a fait de mettre une cuillère dans la bouteille de champagne" est l'équivalent du "les vaccins ne sont pas efficaces et puis je connais des gens pas vaccinés qui n'ont jamais été malades et d'autres vaccinés qui l'ont été". Ce qui joue ici c'est l'effet de faux consensus, c'est à dire "la tendance de chacun d'entre nous à surestimer le degré d'accord que les autres ont avec nous (dans leurs opinions, leurs croyances, les préférences, les valeurs et les habitudes). C'est aussi la tendance égocentrique à estimer le comportement d'autrui à partir de notre propre comportement". Effet de faux consensus qui se trouve considérablement et artificiellement accru par l'illusion de la majorité, c'est à dire "le phénomène dans lequel un individu peut observer un comportement ou un attribut chez la plupart de ses amis, même s'il est rare dans l'ensemble du réseau."
L'effet de faux consensus, augmenté par l'illusion de la majorité, s'enrichit alors (et développe artificiellement) un autre biais, l'effet râteau qui "consiste à exagérer la régularité du hasard. Il revient à considérer qu'une répartition aléatoire, dans le temps ou dans l'espace, doit s'étaler selon des intervalles plus réguliers qu'ils ne le sont empiriquement. Un petit échantillon amplifie l'irrégularité de la répartition. Le biais repose sur l'absence de prise en considération de l'indépendance des événements." Beaucoup de discours antivax procèdent en effet de cette forme d'illusion des séries qui perçoit à tort "des coïncidences dans des données au hasard. Cela est dû à la sous-estimation systématique par l'esprit humain de la variabilité des données."
La liste des biais cognitifs s'appliquant à la cuillère dans la bouteille de champagne comme aux discours antivax, s'étend bien au-delà des quelques-uns que j'ai choisi de retenir ici. Je vous renvoie à l'article que j'avais publié en 2017, "la vie en biais", où je tentais une revue la plus exhaustive possible de la manière dont ils étaient ensuite activés, propagés et démultipliés par les logiques propres aux réseaux et aux médias sociaux.
On pourrait aussi remarquer que l'idée selon laquelle la cuillère permettrait de marquer les bouteilles de clients pour les reconnaître renvoie également à l'idée (complotiste) d'un "marquage" où l'on nous injecterait des trucs pour au mieux nous tracer et au pire nous faire exploser. Bref, entre la cuillère dans la bouteille de champagne et les discours antivax, il y a beaucoup plus de points communs que nous ne l'imaginions a priori 😉
Filons l'analogie jusqu'au bout : le vaccin protège mais si vous n'êtes pas vacciné vous n'attraperez pas nécessairement le Covid et n'en ferez pas nécessairement une forme grave. Vous serez la cuillère dans le goulot de l'épidémie. Jusqu'à ce que … l'effet (inexistant) de la cuillère ne cède sa place à la circulation normale de l'épidémie, et alors vous serez touché.e, et alors vous risquerez de faire une forme grave que vous auriez évité en étant vacciné.e. C'est juste une question de temps. Or nous n'avons plus le temps.
Comprendre la montée des discours antivax, analyser la monter de l'irrationnel, c'est aussi se confronter à ses propres raccourcis intellectuels, à ses propres paresses cognitives, à ses propres facilités à confondre des corrélations et des causalités. C'est en tout cas au moins essayer aussi de prendre ce temps là.
Une question de popularité et de kakonomie.
Beaucoup de nos croyances et de nos crédulités sont "populaires". Sur le même modèle que la cuillère dans le champagne on pourrait également citer l'interdiction d'aller se baigner après manger sous peine d'hydrocution et/ou de noyade, qui relève de la même forme d'ineptie socialement acceptée, et tant d'autres encore.
Ce n'est pas ailleurs pas un hasard si les discours anti-scientifiques, complotistes et/ou tout simplement très cons infusent et diffusent autant. C'est parce qu'ils ne nécessitent, pour que chacun puisse venir s'y greffer, aucune interaction cognitive ou sociale de haut-niveau. Il suffit d'acquiescer mollement ou de rediffuser poussivement. C'est très exactement ce que la philosophe Gloria Origgi appelle la "kakonomie" et dont je vous parle depuis plus de 10 ans tellement c'est important :
"la kakonomie c'est l'étrange mais très largement partagée préférence pour des échanges médiocres tant que personne ne trouve à s'en plaindre. (…) "Facebook et d'autres sites similaires (Twitter, etc) sont des exemples de l'économie du nouveau millénaire, la face cachée des préférences humaines que nous souhaitons cacher dans l'espace public "high" (de haute qualité), mais que nous adorons partager avec des gens dont nous sommes sûrs qu'ils sont attachés aux mêmes standards "low" (de qualité médiocre)."
Et de préciser encore :
"La kakonomie est régulée par une norme sociale tacite visant à brader la qualité, une acceptation mutuelle pour un résultat médiocre satisfaisant les deux parties, aussi longtemps qu'elles continuent d'affirmer publiquement que leurs échanges revêtent en fait une forte valeur ajoutée."
Nous y sommes. La plupart des discours antivax sont des surfaces dialectiques parfaites pour la kakonomie. Et la loi de Brandolini ("la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire") est leur meilleure alliée pour qu'elles le demeurent.
Cette kakonomie est renforcée par le fait que les gens qui partagent ces idées ne cherchent pas à augmenter leur graphe social mais plutôt à optimiser leur biais de confirmation. A l'image de ce que Dominique Pasquier indiquait au sujet des "panneaux" qui s'échangent beaucoup dans l'internet des familles modestes, il semble que pour beaucoup de discours antivax :
"L’enjeu n’est pas tant de discuter du contenu de ces messages que de demander à ses amis s’ils sont d’accord avec le fait que ce qui est mis en ligne me reflète moi ! Le but est plus une recherche de consensus. On s’empare de ces messages pour dire qu’on s’y reconnaît et on demande aux autres s’ils nous y reconnaissent. Ces partages se font avec des gens qu’on connaît. On ne cherche pas à étendre sa sociabilité."
S'il est extrêmement complexe de dessiner une sociologie déterministe des antivax, on sait par contre que certaines idées sont fausses : ainsi ils ne viennent pas nécessairement des milieux populaires ou modestes puisque, comme à plusieurs reprises dans l'histoire des mouvements antivax, "leur situation de vulnérabilité ne leur permet pas de courir le risque d'être malade."
Mais l'idée d'une "recherche de consensus avec un objectif de réassurance sur la morale commune" (Dominique Pasquier encore) se retrouvant autour d'un triptyque antivaccinal classique (crainte d'une "minotaurisation", éloge irénique d'une immunité naturelle perçue comme nécessairement supérieure, et contestation en miroir du pouvoir en place au travers de sa politique vaccinale quelle qu'elle soit) semble particulièrement présente sur les réseaux sociaux. L'essentiel des vidéos, données, graphiques et textes publiés par ces antivax relèvent de la même logique que ces panneaux de "réassurance sur la morale commune" : s'assurer que la rupture avec "le" politique est actée et assumée, s'assurer également que "on nous ment mais nous ne sommes pas dupes", s'assurer enfin que nous sommes capables de potentialiser une critique socialement partagée sur des sujets pour lesquels nous assumons de ne nous prémunir d'aucune légitimité (ultracrépidarianisme).
A partir de l'ensemble de ces éléments, il faut également ajouter un point essentiel qui est que toute publication sur les réseaux sociaux, n'est vue qu'en anamorphose, et ce du point de vue de l'individu qui en est l'auteur, comme de l'ensemble des observateurs extérieurs, puisque chaque publication est avant tout une quête de publicitarisation. Cette absence d'objectivation possible (du fait des architectures techniques, des déterminismes algorithmiques et de l'ensemble de biais précédemment évoqués) rend caduque la poursuite même d'une forme d'objectivité qui n'a plus aucun sens dans le cadre d'une publication sur les médias sociaux, tout entiers dévolus et dédiés à multiplier et à sanctuariser les interactions kakonomiques.
Moralité : reprenez plutôt du champagne.
On peut aujourd'hui bien sûr s'étonner, s'alarmer et s'inquiéter de la montée des discours antivax et de la proportion qu'ils occupent dans l'espace public, poussés par les médias d'opinion et par l'anamorphose constante qu'en proposent les miroirs sociaux. On peut et on doit combattre ces discours antivax mais cela sera toujours moins efficace que de combattre directement les médias qui les propagent et les légitiment en leur donnant audience. Reste qu'il faut être capable de se souvenir que nous avons aussi mis des cuilleres en inox dans des goulots de bouteille de champagne pour en garder les bulles : c'est à dire que pendant des années nous avons accrédité et propagé … cette thèse :
Et que nous n'avons probablement pas été à l'abri de demander à nos enfants de ne pas aller se baigner directement après avoir mangé.
On m'objectera à raison que l'intromission d'une cuillère dans une bouteille de champagne n'a aucun effet délétère sur l'engorgement des hôpitaux et le moral des soignants, et qu'elle n'a jamais occasionné de décès ou d'invalidité à vie. On aura raison. Ceci étant, la prochaine fois que vous discuterez avec un.e ami.e ou une connaissance antivax, demandez-lui quand même ce qu'il pense du coup de la cuillère dans la bouteille de champagne. Peut-être y trouverez-vous un terrain non pas pour le convaincre d'aller se faire vacciner (ne rêvons pas) mais au moins pour s'interroger sur les raisons de son refus du réel.
Souvenez-vous aussi que la plupart des gens que vous fréquentez uniquement en ligne, via vos interactions sociales, ne se résument – heureusement – pas uniquement à ce qu'ils et elles partagent en ligne. Vous ne voyez d'elles et eux qu'une version amputée de toute profondeur, où l'elliptique tient lieu de dialectique.
Le billet n’est pas inintéressant, comme d’habitude mais d’un autre côté, celui-ci ne l’est pas moins:
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-nous-non-vaccines-et-236882
La vérité serait-elle à mi-chemin ?
Une petite coquille : « nous avons aussi mis des bouteilles en inox dans des goulots de bouteille de champagne pour en garder les bulles »
Merci pour l’article !
Une coquille à corriger dans la dernière partie : nous avons aussi mis des « bouteilles en inox » …
Autant finir la bouteille effectivement 😉
Merci pour tous ces beaux articles !
Article très intéressant parce qu’il balaie au passage une grand partie des outils qu’utilise l’esprit critique (aussi appelé « démarche zététique » et renvoie vers eux par des liens faciles à utiliser. Merci.
J’ai essayé de faire l’effort de lire ce plaidoyer pour les non-vaccinés-et-fiers-de-l’être déroulé dans https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pourquoi-nous-non-vaccines-et-236882.
Article totalement imbitable, la référence à Bourdieu n’est pas un hasard, l’écriture de Bourdieu étant souvent illisible (et ses cours étaient, paraît-il, mortellement ennuyeux). Surtout, le détour par Bourdieu pour reprendre toute la question sous l’angle du don et contre-don (théorie d’une immense richesse due à Mauss et non à Bourdieu) est particulièrement acrobatique. Sauf que les vrais acrobates ne se cassent pas la figure. Moi j’ai calé avant la chute finale. Tout le texte est totalement dépourvu d’intérêt.
Et vous croyez vraiment que beaucoup de monde a terminé ce pamphlet/plagiat affligeant de platitude? Comme souvent chez les anti-tout, la longueur du discours est censée lui donner une légitimité, comme à la grande époque du communisme. Je rejoins Jean-Luc, intérêt proche de 0 tellement l’article fait appel à des recettes et références connues mais heureusement ignorées par le plus grand nombre. C’est aussi ça les sociétés modernes, les gens réfléchissent un peu et ne gobent pas toutes les âneries diffusées sur les réseaux.
Et bien, et ceci n engage que moi, du fin fond du royaume « je préfère avoir la paix que de prouver que j’ai raison », j’ai passé un excellent moment de lecture de fin de vacances. Et j avoue : depuis ma tendre enfance, la petite cuillère dans le goulot m a toujours laissé sceptique. Cette année, j ai laissé mon conjoint ancien barman glisser la cuillère dans ma demi bouteille de champagne à moitié pleine, j’ai rebouché discrètement et diplomatiquement la bouteille le lendemain avec un magnifique bouchon étanche. J ai aussi écouté avec calme le discours antivax antimasque d’une personne que j aime beaucoup le 25. Je lève donc ma coupe à tous les silencieux amoureux du paisible, qui aiment les autres dans leurs différences. Merci pour le bon moment et meilleurs vœux.
Texte roboratif. Merci.
Une petite coquille dans « Ce n’est pas[r] ailleurs pas un hasard ».
Le problème de votre article, c’est qu’il pourrait s’appliquer tout autant pour les provaxx…donc article inutile
parce que si on ne peut pas prouver que les vaccins sont inefficaces, on n’a pas prouvé non plus qu’ils le sont, du moins pour la majorité de la population de moins de 50 ans, étant dit que l’efficacité se défini quand le bénéfice/risque individuel est positif (et s’il vous plaît ne parler pas de vaccination altruiste puisque maintenant c’est démontré scientifiquement que la vaccination n’empêche pas la transmission)
Si la vaccination n’empêche pas la transmission elle la diminue considérablement (charge virale moindre). Ce qui change beaucoup de chose à l’échelle de la population. La vaccination a toujours été une question de bénéfice/risque collectif.
@Jeanne à vélo
il semble pas que le vaccin attenue sensiblement la transmission vu la flambee des cas en France alors qu on a plus de 90 % de vaccines (https://solidarites-sante.gouv.fr/grands-dossiers/vaccin-covid-19/article/le-tableau-de-bord-de-la-vaccination)
Ce qui est d ailleurs logique: on vaccine avec un produit concu pour un autre virus (celui ci a muté plusieurs fois).
Parler d un « bénéfice/risque collectif » est le discours de tous les gouvernements totalitaires pour persecuter ceux qui ne leur plaisaient pas (que ca soit Staline avec les ennemis de classe, Adolf avec les etres inferieurs qui consommaient des ressources au détriment de la race des seigneurs …)
on pourrait d ailleurs appliquer ce raisonnement aujourd hui: pour le benefice collectif lié au changement climatique, interdisons les voitures ou envoyons en camps de reeducation tous les mangeurs de viande et ceux qui prennent l avion
J’ai bcp aimé, à la fois le post original mais également le commentaire de Nan Ouk.
Je suis également partisan de la paix et d’écouter l’autre sans tenter à tout prix de le convaincre quand je vois que ce sera mission impossible. Les amis sont là pour ça : écouter, expliquer et aimer, y compris quand on a des divergences.
Pour autant et à titre personnel je pense que l’individualisme de nos sociétés occidentales nous nuit, que ce soit dans cette bataille contre la pandémie ou sur la sauvegarde de notre belle planète bleue. Il est illusoire mais désespérément indispensable que nous agissions pour notre bien collectif.