Faut-il regarder Eric Zemmour ? Ben voyons.

Saturant l'espace médiatique (en tout cas le mien …), je me suis infligé la prestation du Z. hier soir sur le service public et j'en suis ressorti avec cette question : à quoi sert et que nous dit exactement Eric Zemmour, désormais officiellement candidat à l'élection présidentielle ? 

Eric Zemmour sert d'abord à réhabiliter la psychanalyse auprès de toutes celles et ceux qui en contestaient la pertinence. Eric Zemmour est en effet la figure de l'étranger. Il est un juif arabe "assimilé" se fantasmant en Super Dupont désignant l'étranger (arabe, maghrébin, musulman …) comme source de tous les maux car nécessairement moins assimilé que lui. D'après lui.

"Mes femmes et mes enfants d'abord". Eric Zemmour a été "élevé par des femmes", comme il se plaît et se repaît à le rappeler dans ses derniers éléments de langage, se présentant en mâle Alpha viriliste comme pour mieux s'extraire de son matriarcat originel. Et pourquoi Eric Zemmour s'est-il finalement déclaré candidat ? Suite au défi de l'un de ses enfants qui lui aurait dit "ça fait 10 ans que le constat est fait, quand est-ce que tu passes à l'action ?" Que ne ferait-on pas pour ses enfants n'est-ce pas ? Quelle meilleure autre légitimité aller chercher que celle du défi que vos propres enfants vous adressent ? Et surtout comment vous en vouloir de tenter de vous en montrer digne ?

Si nous sommes tous et toutes le produit de notre histoire personnelle, Eric Zemmour, est un authentique cas d'école psychanalytique ; il s'est construit tout en creux, et son image médiatique comme son projet politique consistent à nous faire démonstration de ce creux et à ce que nous l'habitions avec lui : un viriliste autoritaire au physique de belette neurasthénique, un juif arabe pétainiste. Eric Zemmour ne veut pas écrire l'histoire, il veut juste réécrire son histoire. 

Eric Zemmour est un produit marketing comme les autres. Eric Zemmour fustige les politiciens qui "lisent des fiches" et sont à la merci de leurs communiquants, qui ne sont, selon ses termes, que des "produits". Il le dit de derrière ses nouvelles lunettes, jusqu'ici inédites dans ses (pourtant nombreuses …) apparitions publiques et médiatiques. Aucun doute là-dessus, chaque déclaration à la candidature suprême fait baisser la vision. Il ne faut y voir, bien sûr, la patte d'aucun.e communiquant.e.

Eric Zemmour sert à réhabiliter l'acceptation du fascisme. Oui. Eric Zemmour est un fasciste. Il l'est au regard de la définition du terme en tout cas. Il l'est aussi au regard de la liste de 14 signes pour reconnaître le fascisme que dressait Umberto Eco. Il en coche (et son "programme" jusqu'ici connu) absolument toutes les cases. A l'aube du mandat de Macron il y avait eu celui d'Hollande et de son anaphore : "moi président …". En crépuscule du mandat de Macron il y eut l'autre jour à Villepinte, le "moi d'extrême-droite ?" du discours de Zemmour. L'anaphore a singulièrement vrillée. Chez Zemmour à Villepinte elle se diversifie d'ailleurs, en apparence tout au moins : après le "fasciste" vient le "raciste" et le "misogyne". Il ne prend d'ailleurs même pas la peine de mettre ces trois termes à la forme interrogative pour en appeler à la négation. Il affirme. Il dit "Fasciste". Il dit "Raciste". Il dit "Misogyne". Vous pouvez vérifier, le verbatim est en ligne sur la version légale du fascicule d'extrême droite Minute. Mais cette énonciation procède d'une anaphore car ces trois mots ainsi posés désignent un même être, une même idéologie, un même projet. C'est une anaphore car elle ne dit qu'une seule chose qui est l'essence et l'existence de Zemmour, elle remplit la même fonction langagière : elle l'installe dans ce qu'il rêve d'être.

Quand il déclare "on m'accuse d'être d'extrême-droite, d'être un fasciste, un misogyne, un raciste" il ne fait que rappeler à ses auditeurs une lecture affirmative auto-légitimante. Il leur dit : "Regardez comme en étant accusé de toute cela on peut aujourd'hui être là où je suis et vous parler comme je le fais. Alors n'ayez plus aucune honte d'affirmer que vous êtes comme moi." 

D'ailleurs regardez comment Zemmour et l'extrême-droite désignent l'ennemi : l'ennemi ce sont les "antifas", comprenez, les anti-fascistes. On peut bien sûr, comme le rappelle Cécile Alduy à Mediapart, considérer qu'il s'agit d'une 'simple' rhétorique du miroir : 

"La rhétorique du miroir permet de renvoyer à l’adversaire les accusations de fascisme ou de violence pour lui couper l’herbe sous le pied et surtout noyer le sens de ces expressions. L’idée, en traitant n’importe qui – notamment les antifascistes – de fascistes, est de discréditer non seulement les adversaires politiques mais la notion même de fascisme comme système de pensée et d’organisation du politique totalitaire. Cela démonétise l’accusation portée contre Zemmour et les groupuscules néonazis qui le soutiennent et étaient au meeting. Si les antifascistes sont “fascistes”, plus personne ne l’est, le mot n’a plus aucun sens."

On peut aussi considérer que si l'anti-fasciste est l'ennemi, alors c'est le fasciste qui devient l'ami. Et dès lors s'affirmer comme tel tout en prétendant le nier. 

Je suis fasciste. Je suis raciste. Je suis misogyne. Je suis d'extrême-droite. Eric Zemmour se nomme dans chacun de ses dénis. C'est un ressort qui tient autant à la psychanalyse qu'à la rhétorique. Et dont ses communiquants ont fait sa marque, en partant là encore d'un tic de langage fondateur, son désormais célèbre "Ben voyons".

"Ben voyons !" A chaque attaque, à chaque énoncé des faits sociaux, économiques ou historiques qu'il travestit et détourne perpétuellement sans honte ni retenue, Eric Zemmour répond à ses contradicteurs son "Ben voyons". En dévoyant péjorativement et en moquant l'exercice d'un regard porté, il entre – et ses électeurs avec lui – dans un principe de double aveuglement. Dire "ben voyons" c'est dire "vous autres vous ne voyez pas" ; dire "ben voyons" c'est dire "nous vous dénions le droit de voir et de dire ce qui doit être vu" ; enfin, dire "ben voyons" est un jeu de bonneteau phonétique : il ne faut pas tendre beaucoup l'oreille pour y entendre et y comprendre un "bien voyons" qui est un "je vais vous dire comment 'bien' voir". Vous ai-je dit qu'Eric Zemmour s'était récemment et tout opportunément entiché … de lunettes de vue ? Ben voyons ! 

Eric Zemmour est un négationniste. Qui se sert d'un terriblement vieux mais terriblement efficace biais cognitif qui est l'effet de simple exposition, et qui se caractérise par "une augmentation de la probabilité d'avoir un sentiment positif envers quelqu'un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet." C'est un nom de ce principe, et de ce principe uniquement, qu'Eric Zemmour entend faire oeuvre négationniste. Et la responsabilité des médias qui lui prêtent antenne est à ce titre absolument terrible. Affirmer à longueur de journée que Pétain a permis de sauver des juifs ("mais des juifs "français" …) ne fera jamais de Pétain un sauveur de juifs. Jamais Pétain n'a sauvé quelque juif que ce soit. Jamais. Mais pour comprendre ce que Pétain fit aux juifs, à tous les juifs, pour le comprendre sans se contenter de l'affirmer bêtement, il faut l'expliquer un peu. Prendre un petit temps qui est celui du récit historique. Ce temps n'existe plus, ou si peu, dans les espaces médiatiques classiques. Loi de Brandolini oblige, une fois qu'un tel écoeurant mensonge est inscrit par effet de simple exposition dans notre espace mental et médiatique commun, la quantité d'énergie nécessaire pour le réfuter sera toujours supérieure à celle nécessaire pour le produire. Et il restera toujours trace de ce nauséeux mensonge. Ce qui était impensable devient simplement "radical", puis finalement "acceptable", puis pour certains désormais "raisonnable" et enfin pour tout le monde simplement "populaire". C'est le principe même de la fenêtre d'Overton.

Une déjà si vieille histoire que croquait si bien Cabu.

Cabu

Un autre des principaux problèmes qu'Eric Zemmour fait au débat public, un autre des principaux torts qu'il lui cause, c’est qu’il permet ensuite de laisser libre antenne à des collaborateurs – pour une fois le terme est opportun – de Valeurs Actuelles, et à toute une ligne réactionnaire dont Alexandre Devecchio est le premier poste avancé. Sortant des tunnels audimateux de leurs habituels Cnews, Sud Radio, Causeur et de quelques autres encore où ils ont toujours eu table ouverte, Geoffrey Lejeune, Alexandre Devecchio et tant d'autres de leurs autres pauvres clones ont donc désormais table ouverte sur France Inter, sur France 2, sur France 5 … Pas une émission "de société", pas une émission "politique" où ils ne sont conviés à "discuter" d'Eric Zemmour. Ils ont fait Eric Zemmour, et Eric Zemmour le leur rend bien désormais. C’est d'ailleurs probablement sa seule vocation et utilité. Et c'est certainement son seul avenir.

Car Eric Zemmour n'a l'ambition que de sa propre caricature et ne représente et n'incarne à ce titre aucun danger : trop juif arabe pour être raciste, trop malingre pour être viriliste, trop éditorialiste pour être écrivain, il aura au mieux le destin d'un Philippe De Villiers : celui d'un  – hélas colossal – succès de librairie quinquennal reposant tout entier sur l'hystérie d'un "bon client" névrotique qui ne fait, comme le notait déjà Sartre sur un tout autre sujet, que "jouir pleinement de la supériorité reconnue que les chiens vivants ont sur les lions morts."

Le seul vrai danger que représente Eric Zemmour, vient de celui ou celle qui lui succédera nécessairement, et qui n'aura même plus l'effort à faire d'énoncer l'indicible, à l'heure – proche – où comme l'écrivait Hannah Arendt : 

"Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d'agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez."

 

[Ah j'ai oublié de vous parler de mon moment magique préféré] Lorsqu'il est interrogé sur la détresse et les difficultés financières des étudiant.e.s qui s'entassent toujours plus nombreux et nombreuses dans les files d'attente des distributions alimentaires, Eric Zemmour indique – je vous jure que c'est vrai – qu'il va – putain accrochez-vous c'est lunaire sans déconner – qu'il va proposer de les exonérer de frais de notaire quand ils achètent des appartement à partir de 250 00 euros. Authentique. En vrai, la misère étudiante c'est comment on fait pour s'acheter une boite de tampons, et comment on trouve à bouffer au moins une fois par jour

8 commentaires pour “Faut-il regarder Eric Zemmour ? Ben voyons.

  1. Comme toujours, c’est-à-dire quel que soit le sujet traité, un démontage impeccable.
    Respect.
    Ma très légère gêne, cependant : la citation finale d’Hannah Arendt, que l’on a peut-être trop lue.
    “Trop”, car je la crains apocryphe, n’ayant pu en établir la source avec certitude.
    Je propose donc la suivante qui, personnellement, me bouleverse davantage.
    “On a fréquemment remarqué que le résultat à long terme le plus sûr du lavage de cerveau est un genre particulier de cynisme – un refus absolu de croire en la vérité d’aucune chose, si bien établie que puisse être cette vérité.
    En d’autres termes, le résultat d’une substitution cohérente et totale de mensonges à la vérité de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant acceptés comme vérité, ni que la vérité sera diffamée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens de cette fin – se trouve détruit.”
    Vérité et politique, IV, essai VII in La Crise de la culture.
    Traduction Claude Dupont et Alain Huraut
    P. 815, Quarto Gallimard, 2012
    [Texte original
    It has frequently been noticed that the surest long-term result of brainwashing is a peculiar kind of cynicism – an absolute refusal to believe in the truth of anything, no matter how well this truth may be established.
    In other words, the result of a consistent and total substitution of lies for factual truth is not that the lies will now be accepted as truth, and the truth be defamed as lies, but that the sense by which we take our bearings in the real world – and the category of truth vs. falsehood is among the mental means to this end – is being destroyed.
    TRUTH AND POLITICS by Hannah Arendt
    Originally published in The New Yorker, February 25, 1967]
    Cela fera de moi un pédant. J’assume…

  2. Bonjour Gilles, merci pour votre commentaire. Il est vrai que la citation de Arendt est devenue lancinante mais elle est authentique, j’en avais noté les sources dans cet article : https://affordance.typepad.com/mon_weblog/2017/02/vie-en-biais.html
    Il s’agit d’une interview (1978) : https://www.nybooks.com/articles/1978/10/26/hannah-arendt-from-an-interview/
    Et une autre source pointe ici de 1973 cette fois : https://www.youtube.com/watch?v=cK3TMi9GqwE

  3. Hannah Arendt a soutenu jusqu’au bout, même si par intermittence, son amant Heidegger, nazi de la première heure exerçant son racisme jusqu’à l’université où il professait l’idéologie nauséabonde dont il fut l’un des idéologues.
    Citer Hannah Arendt comme un refrain au milieu de vos combats, fait froid dans le dos.
    C’est comme si vous suiviez la voie de tous ceux qui oscillent un jour sur deux entre humanisme et extinction de l’humanité au profit d’une race de « seigneurs ».
    Je préfère suivre la philosophie de Pionville: nous avons tellement crevé de faim et de froid ensemble, que nous ne nous sommes jamais trompés de combat. Et aujourd’hui nous avons lu les archives nazies qui s’ouvrent enfin.

  4. Eric Zemmour c’est le retour du refoulé, selon la très bonne formule de Marcel Gauchet.
    Au milieu de ses approximations en tout genre, il a au moins le mérite de poser des questions que les « démocrates » du 10ème arrondissement ne se posent pas. Car ils ne voient pas que les thèses défendues par cette mouvance ne sont pas forcément verticales et descendantes, elles sont aussi l’expression du sentiment d’une partie de la population qui remonte. Mais quand on est dans le déni (comme la gauche en 1936, pour reprendre la rhétorique pavlovienne des adeptes de « la bête immonde ») on ne voit pas.

  5. Quand à la référence à la psychanalyse, petite secte organisée en France autour d’une famille qui régente tout et a droit de vie et de mort sur n’importe quel praticien, vous en adoptez malheureusement la rhétorique confondante : dès lors qu’on n’est pas d’accord avec eux, c’est qu’on a besoin de consulter. Lamentable. C’est du niveau du « avec nous ou contre nous » de George W. Bush.

  6. Je viens de lire la liste des 14 signes pour reconnaître le fascisme et il est clair que le gouvernement Macron est aussi fasciste (rien que le point 4 sur la science et la gestion des vaccins). J’attends donc de votre part une bonne critique de ce gouvernement. A moins que vous n’osiez pas mordre la main qui vous nourrit?

  7. Puis-je suggérer de remettre au goût du jour le livre de Pierre Tévanian, publié en 2001 : Le racisme républicain » (Editions L’esprit frappeur) ?

  8. j’ai vérifié par rapport aux critères d’umberto Eco sur le fascisme…ben Macron en valide quand même pas mal aussi…

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