A l’occasion des 20 ans du réseau social, j’ai eu l’occasion d’échanger avec pas mal de médias et de journalistes. Vous pourrez notamment m’écouter dans le podcast de l’AFP produit et réalisé par Clara Guillard (merci à elle).
Le meilleur résumé de l’anniversaire de Facebook c’est très clairement la scène culte des tontons flingueurs dans laquelle Ventura (Fernand Naudin) vient chanter « Happy Birthday to You » à Blier (Raoul Volfoni) : « Non mais t’as déjà vu ça ? En pleine paix, y chante et pis crac, un bourre-pif, mais il est complètement fou ce mec ! Mais moi les dingues, j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. »
Avec dans le rôle de Raoul, Mark Zuckerberg, et dans le rôle de Fernand … le Sénat américain (entre autres …)
Another « bourre-pif » in the (social) Wall
En 20 ans sur Facebook (ah bah oui, j’y suis depuis quasiment 20 piges) j’ai assisté (comme celles et ceux qui y sont depuis 20 piges) à plusieurs révolutions de la plateforme bleue comme on s’arrange.
Quand elle était essentiellement peuplée de jeunes et d’étudiant.e.s j’ai défendu l’idée qu’il fallait que les universitaires aillent y faire estrade pour profiter de cette puissance de recommandation, et que oui, il fallait être ami avec ses étudiant.e.s.
Quand après déjà quelques années de lutte et de lobbying, elle autorisa pour la première fois, à enfin pouvoir récupérer nos données personnelles (photos, échanges, etc.) j’ai fait le compte de ce que cela pouvait représenter.
Quand elle a traversé une immensité de scandales et que lanceurs et lanceuses d’alerte nous ont permis de les documenter, j’ai là aussi à chaque fois tenté d’en faire l’analyse.
Pendant 20 ans j’ai inlassablement expliqué, montré et répété que derrière le projet du numérisation et de virtualisation des relations sociales qui est au coeur de la vision de Zuckerberg, se lisait en réalité l’essence d’un projet fondamentalement politique.
J’ai dédié un court (mais passionnant et toujours en vente 😉 livre à la plateforme bleue comme on s’arrange : « Le monde Selon Zuckerberg » ; et je l’ai également largement évoquée dans un autre livre (moins court mais tout aussi passionnant et presque toujours en vente mais en train de virer collector alors dépêchez-vous) : « L’appétit des géants : pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes. » Et j’étais aussi l’un des guests du formidable documentaire de Julien Le Bot sur « L’empereur de Facebook ».
Et puis j’ai aussi beaucoup écrit et analysé, analysé le rôle que cette plateforme en particulier avait joué dans un certain nombre de mouvements sociaux au travers du monde, et particulièrement en France lors de la révolte des Gilets Jaunes avec son « algorithme des pauvres gens ». Pour une large part, Facebook reste aujourd’hui le réseau social des classes populaires.
Je me suis (un peu) planté sur les ambitions présidentielles de Zuckerberg mais je pense avoir plutôt vu juste sur le reste.
Et pis crac un bourre-pif.
Facebook a 20 ans. Pour cette plateforme dont son fondateur nous répète qu’il voudrait qu’on la (et le) traite comme « something between a Telco and a Newspaper« , c’est tout sauf l’âge de la plénitude de la jeunesse. Facebook a 20 ans et cet anniversaire est un crépuscule. Un crépuscule certes toujours financièrement rayonnant (les derniers résultats trimestriels, pour le groupe Meta comme pour les autres Big Tech sont toujours aussi colossaux et après l’explosion de la vague Covid, suivie d’une relative stagnation qui suivit, les voilà revenues à un rythme de rente plus que soutenu par – notamment – les avancées et plus ou moins fausses promesses de l’IA), mais un crépuscule tout de même.
Crépuscule générationnel. Facebook est devenu une plateforme de Boomers. Relativement à la sociologie des usages de ce qui constitue aujourd’hui la flotte impériale des plateformes numériques (Snapchat, Instagram, TikTok, Twitch, et quelques autres), Facebook est clairement Ehpad numérique.
Crépuscule des usages. Ils ont massivement basculé dans d’autres espaces socio-médiatiques (alignés souvent sur la bascule du crépuscule générationnel).
Crépuscule de l’image (de marque). La succession et l’enchaînement des scandales est tellement forte depuis maintenant 6 ans et « le » scandale fondateur qui fut celui de Cambridge Analytica, que l’explication de la passion soudaine de son fondateur pour le Jiu Jitsu ne tient peut-être pas uniquement à son virage masculiniste.
Tant de crépuscules n’augurent pour autant pas nécessairement d’une chute et d’une nuit noire. Car Facebook n’est plus « que » Facebook, mais Facebook est l’un des socles du groupe Méta, lequel se décline et vit essentiellement des ressources de son autre portefeuille de services à commencer par Instagram et WhatsApp.
Mais la question de savoir si Facebook (le média social) fêtera son 30ème ou 40ème anniversaire peut donc être posée. L’avenir du groupe Méta, lui, n’est pour l’instant pas un sujet. L’échec du métavers tel qu’imaginé par Zuckerberg semble aujourd’hui s’équilibrer un peu grâce à la stratégie du groupe sur l’IA dont le portefeuille de services associés (assistants virtuels notamment) est une voie médiane permettant à la fois de continuer d’avancer sur le chemin d’une réalité et de services « augmentés » sans totalement renoncer (au moins en termes de comm) à la prophétie d’une virtualisation totale de nos relations sociales et interpersonnelles.
En 20 ans, Facebook a construit son succès et est parvenu à son apogée sur une base qui était celle d’un « pur » réseau social, c’est à dire dans lequel la fonctionnalité de mise en relation était la clé de l’essentiel des interactions. Son « déclin », déclin plus que relatif bien sûr – beaucoup de plateformes rêveraient et rêveront toujours de « décliner » tout en continuant de rassembler plus de 3 milliards d’utilisateurs …) – son déclin tout de même, s’est engagé à l’unisson de la bascule du « réseau » social au « média » social, dans lequel la clé de l’interaction devînt celle des métriques du « like » et où nos « murs » sociaux s’emplirent de tout autre chose que les simples statuts de nos relations.
Le Zuckerberg pâle et à l’allure quasi-robotique et mutique qui paraissait totalement égaré lors de ses auditions suite au scandale Cambridge Analytica en 2018 a aujourd’hui gagné en chevelure, en colorimétrie faciale et en épaisseur physique (Jiu Jitsu attitude). Mais il semble, en 2024, toujours aussi étrangement perdu lorsqu’il doit faire face en direct à des accusations qui semblent, quatre ans plus tard, le dépasser totalement.
Facebook a 20 ans. Zuckerberg en a 39. Mais la plateforme qu’il a créé apparaît aujourd’hui étrangement plus âgée que lui. Elle est déjà le vestige d’un rêve, le sien, qui du projet de noter les filles les plus hot du campus de Harvard à celui de bâtir un univers entièrement virtuel, se fracasse sur la trivialité et parfois la violence d’usages dont il n’a jamais été capable de penser les enjeux proportionnellement à l’échelle des communautés humaines ayant vocation à s’y retrouver agglomérées.
« Move Fast and Break Things. » C’était le projet et la devise initiale. Le Jiu Jitsu qu’il pratique désormais régulièrement est initialement l’art que l’on enseignait aux samouraïs pour se défendre lorsque ceux-ci étaient désarmés lors d’un duel ou sur le champ de bataille. Zuckerberg apparaît en effet totalement désarmé quand la simple accumulation des plateformes qu’il dirige le dessine pourtant et paradoxalement si puissant.
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