Faithbook Factory

Au commencement de ce billet, 2 textes et une image.

Et l'image.

Faithbook

Si la métaphore religieuse s'applique à Facebook c'est, par exemple, dans la manière dont il crée du lien (re-ligere) en détruisant le lien, c'est aussi par la confiance aveugle que lui font ses "fidèles", c'est encore par je jeu de confesse auquel chacun se prête, c'est également parce qu'il est un monothéisme du Livre (faceBOOK). Si Facebook est une religion, les CGU sont sa Bible et les lolcats ses évangiles. Mais nous y reviendrons.

Si Facebook est un usine c'est parce qu'il "exploite" notre "travail" attentionnel à sa seule fin et sans nous en reverser les dividendes mais en postulant que le fait de nous offrir (gratuitement) un service suffit à notre rétribution (cf le premier texte signalé en lien en haut de ce billet).

Et puis il y a la place des images.

Centrales dans Facebook comme dans la religion. La place des icônes. Et le rachat d'Instagram. Facebook nous dit stocker "more than 100 petabytes (100 quadrillion bytes) of photos and videos" (source). A l'occasion d'événement clés comme le passage en 2011 (nouvelle année) c'est plus de 750 millions de photos qui sont déversées sur le réseau social (source). En mai 2009, 850 millions de photos sont ajoutées chaque mois (source). En février 2010, ce sont – toujours d'après les chiffres "corporate" – 2,5 milliards (sic) de photos qui seraient chargées chaque mois (source). Dans le maigre historique proposé sur le site sur le sujet "Photos", on peut aisément observer le travail effectué pour rendre le chargement et le partage plus intuitif, la consultation plus agréable, l'indexation (tagging) plus facile. Le résultat est là avec les dangers que l'on lui connaît : problème de confidentialité lié à l'indexation non-sollicitée (je te taggue), problème de sur/sous-veillance lié aux technologies de reconnaissance faciale.

T'es vraiment trop icône.

Facebook illustre donc un point qui me tient à coeur depuis longtemps, la mutation du web depuis un média essentiellement textuel vers un média de l'image (et de l'image qui bouge = vidéo). L'idôlatrie de Facebook comme parangon de nos sociabilités connectées se conjugue au présent de notre icônolatrie individuelle et collective (iconodulie en fait), elle est mue par l'irréductibilité de notre pulsion scopique, elle est, enfin, ontologiquement et programmatiquement liée au Nom : Facebook est, faut-il le rappeler, au départ un "trombinoscope", un livre des visages (et un livre qui vous dé-visage).

Quoi ma glose. Qu'est-ce qu'elle a ma glose ?

Devant cette écrasante majorité de matériau iconographique composant le site, le "texte" (même en prenant en compte une incontestable extension du domaine de la statusphère), le texte, disais-je, est souvent réduit à la dimension triviale du commentaire, au mieux de l'exégèse, au pire de la glose. Le texte est une variation et une instanciation indicielle de ce que disent les images. S'il est vrai que le "like" peut s'appliquer au texte comme à l'image, les statuts appellent essentiellement une performativité ("like") là où les images induisent presque mécaniquement l'insuffisance de cette performativité qui, pour prendre toute sa mesure, se doit d'être commentée. Facebook est donc un média qui se sert de l'image comme premier mécanisme de production du texte. Ce faisant il résoud le principal problème auquel sont depuis des lustres confrontés ses grands frères indexeurs : la difficulté d'indexer les images.

Gendarmerie nationale. Vos photos s'il vous plaît.

Comme je le rappelais ici, si Facebook demeure le rite initiatique d'une entrée en documentation de soi, il y faut :

"apprendre à gérer l'oscillation permanente entre un story-telling facilité par les outils mis à notre disposition (que l'on regarde par exemple le lancement de la Timeline de Facebook), et un fact-checking qui des années plus tard peut nous remettre en face de nos inconséquences, de nos changements, de nos contradictions, de nos évolutions ; apprendre à s'exposer à la lisière de ces deux horizons dans lesquels un modèle de la linéarité de la narration de soi bascule vers une réticularité des narrations alternatives de soi ; inventer peut-être une hybridation supplémentaire, celle d'un "fact-telling" ou d'un "story-checking" permettant de réassurer et de réinvestir le mouvance de nos expressions identitaires numériques."

Dans Facebook, le recours à l'image tel que ce billet tente de le décrire, constitue cette nouvelle hybridation : les images "vécues" sont, pour leurs auteurs, l'occasion de raconter une histoire quand elles sont, pour Facebook, des images "perçues" offrant la possibilité de "marquer" (checking) des points saillants de nos histoires. Les commentaires qui leurs sont associés sont, pour les utilisateurs du site, l'occasion d'une distanciation ou d'une adhésion aux faits (fact-checking), mais ils constituent pour Facebook une clause de "vérifiabilité" des histoires racontées et de leurs points saillants (story-checking).

Aïe On Emotion.

Comme le rappelle Om Malik dans son billet "Here is why Facebook bought Instagram", "Facebook is essentially about photos, and Instagram had found and attacked Facebook’s achilles heel — mobile photo sharing".

Mais le rachat d'Instagram (dont le principe trivial est de permettre d'appliquer un filtre tout pourrave digne des premimers polaroïds ratés sur des appareils photos qui coûtent un bras ou des téléphones-qui-font-des-photos à la résolution que même si t'as l'oeil bionique de Steve Austin tu verras jamais à quel point c'est beau), mais le rachat d'Instagram disais-je, obéit aussi au besoin de l'église Facebookienne de s'appuyer sur le pilier de l'émotion pour éviter toute déperdition d'attention, déperdition non-négociable à ce niveau d'échelle (nombre d'utilisateurs, nombre de photos, nombre d'interactions, etc …). Comme le rappelle encore avec justesse Om Malik :

"Facebook is not a mobile-first company and they don’t think from the mobile-first perspective. Facebook’s internal ideology is that of a desktop-centric Internet company. Instagram is the exact opposite. It has created a platform built on emotion. It created not a social network, but instead built a beautiful social platform of shared experiences. (…) Facebook lacks soul. Instagram is all soul and emotion."

C'est en payant au prix fort le rachat de cette "communauté d'émotion" que Facebook fait le pari d'installer entre sa plateforme et sa communauté d'utilisateurs, le même sentiment religieux qui unit (unissait ?) Apple à ses fans. Pour qu'à chaque moment de l'exploitation de leur travail dans l'usine de l'attention, les utilisateurs puissent également aller à la messe, se rendre à confesse.

Jusqu'au prochain schisme iconoclaste ?

Facebook. Factory. Faithbook. Fact Story.

 

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