Christelle (Volde)Morançais. Heureuse qui communique.

Ce qui se joue à l’échelle de la région des Pays de la Loire (suppression annoncée de 73% du budget de la culture) fait actuellement l’objet d’un traitement et d’un émoi national. Traitement et émoi justifié tant la mesure est brutale et inattendue, et tant elle ne peut relever que de deux options : la première étant celle d’une authentique saloperie politique, la seconde celle d’une guerre culturelle et civilisationnelle assumée (une seule option au final donc …).

La communication de Christelle Morançais depuis le début de cette histoire et de l’annonce de cette décision « m’intéresse » dans le sens où elle est une formidable démonstration de l’option présentée ci-dessus.

Elle est aussi la continuité des déclarations de Kasbarian, Pécresse et autres queues de comètes politiques s’enthousiasmant de l’arrivée d’Elon Musk au comité de la hache du gouvernement Trump et appelant de leur voeux un partage de bonnes pratiques entre bourreaux. Ces gens ne sont hélas pas totalement réductibles à leur figure de pathétiques pitres, ils sont aussi le poste avancé d’un projet civilisationnel qui s’assume au mépris de toute forme de projet collectif non immédiatement soluble dans la religion ou dans l’entreprenariat au service du capital.

Pour le dire d’une phrase que j’emprunte à une interview de Naomie Klein dans Télérama : « La gauche n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. » J’en suis depuis longtemps convaincu mais chacun peut aujourd’hui l’observer et le documenter. Et observer surtout la vitesse à laquelle tout cela s’accélère.

Naomie Klein parle de ce qui s’est passé aux USA en préambule à l’élection de Trump, mais cette phrase s’applique parfaitement à ce qui se joue aujourd’hui en France et dont la Région Pays de la Loire n’est que la partie émergée.

Christelle Morançais ne souhaite conserver de la culture que la part événementielle dans laquelle pataugent ses Pygmalions et ses alliés ou en tout cas ceux qu’elle fantasme comme tels : un peu de Vendée Globe, beaucoup de Puy du Fou, et quelques vieilles pierres et antiques religiosités ici ou là. Pour le reste, pour le spectacle, vivant, pour les arts, vivants, pour les ouvriers et paysans de ces spectacles et de ces arts, vivants, rien d’autre que la sinistre perspective de la vallée du Mordorançais.

Actuellement invisible au regard d’une mobilisation qu’elle n’imaginait pas si forte (bah oui Cricri les gens vivants tiennent à le rester et leurs arts et leurs spectacles aussi), Christelle Morançais publie sur ses médias sociaux (LinkedIn, Facebook, X, …) des messages pleins d’une rhétorique qui est aussi de l’ordre de la hache. Il n’y aura aucune paix possible, aucun espace de négociation, elle en condamne à l’avance la possibilité même et faisant bien sûr peser la responsabilité de cette absence d’horizon sur ses opposants qu’elle caricature, qu’elle essentialise, qu’elle méprise.

Dès le 12 Novembre, dès que cette annonce commence à fuiter dans la presse, elle la présentait ainsi pour garder l’initiative de l’offensive (règle 1 de la communication de crise) :

 

La culture, dans sa rhétorique, devient instantanément soluble dans un « monopole« , lequel est aux mains « d’associations très politisées« , et lesquelles « vivent d’argent public« . Christelle Morançais sait parfaitement à qui elle s’adresse. Elle ne parle qu’à un seul électorat. Le sien et celui de l »échiquier politique qui s’étend de la droite conservatrice à l’extrême droite la plus radicale. Son chapelet n’est fait que de mensonges mais elle s’en moque, elle n’a jamais chercher à dire vrai, ni même à dire les faits, elle veut simplement dire à côté, dire pour affronter et non pour confronter, dire sans se soucier de se dédire (il faut relire les innombrables éditos, discours d’inauguration et autres temps politiques dans lesquels elle avait des trémolos dans la voix à l’évocation de ce même « monopole d’associations très politisées qui vivent d’argent public » et qu’elle n’avait pourtant de cesse de remercie et d’encenser pour leur capacité à « donner du sens à son projet politique », à être un « incomparable levier d’attractivité pour le territoire », et autres formules de circonstances). Si personne n’était dupe, le cynisme froid et calculé avec lequel elle assume aujourd’hui d’ainsi se dédire abîme profondément bien plus que la langue qui lui sert de véhicule, il abîme le sens du politique, il abîme la confiance dans la parole publique.

Deux jours après « l’intouchable monopole« , voici l’ombre de la crise (argument 1), le classique « c’est la faute de l’étage au-dessus » (argument 2) et le très Thatchérien « TINA » (There Is No Alternative ») également appelé « GOFY » (Go Fuck Yourself).

Notez qu’à l’échelle de X, l’espace discursif du débat se réduit et se limite aux seuls comptes que suit Christelle Morançais (donc à son fan-club de droitards militants).

L’étape suivante est celle, tout aussi classique en communication de crise, de l’inversion de la charge de la preuve et du retrait de l’espace de négociation. Décliné comme suit : « alors j’aurais bien aimé en discuter, mais bon y’a des gauchistes menaçants et hirsutes prêts à parler fort dans des micros en dansant sur des slogans pas contents, ce qui est une grave menace terroriste à l’ordre public donc je vais continuer de ne parler qu’aux gens qui sont d’accord avec moi ce sera plus pratique. Bisous, Cricri. » La preuve ci-dessous.

 

Et puis il y a l’apothéose.

Juste après la manifestation massive et inédite (plus de 3000 personnes, dès 8h30, sous la pluie – bah c’est Nantes quoi – un lundi matin), après l’explosion de la pétition (50 000 signatures en moins de 48 heures, près de 64 000 ce soir), Christelle Morançais nous ressort le coup de la dette (argument qui pourrait être « d’autorité » si seulement il parvenait à s’extraire d’une pure rhétorique autoritaire), et surtout Christelle Morançais nous met une photo, mais une photo, non mais sans déconner une photo … c’est un bijou. Un putain de bijou.

Vous l’avez ? Non ? Bon je vous la remets.

 

Petit cours (rapide et sans prétention) d’analyse d’image.

Première clé de lecture : tourner le dos. Tout le monde est de dos. Les manifestantes et manifestants, et les CRS. De dos et au loin. Politiquement le message est clair. Quand l’énonciateur d’un message (ici photographique) ne voit que le dos des CRS, c’est que c’est lui qu’il s’agit de protéger, c’est donc le placer au moins symboliquement du côté du droit. Il y a quelque chose et quelqu’un à protéger, et c’est l’énonciateur de la photo, c’est donc Christelle Morançais. Christelle Morançais qui tourne le dos à toute forme de dialogue et de négociation mais en restant de face (dans l’énonciation du cliché, puisqu’elle est dans le dos des CRS, elle fait « théoriquement » face aux manifestants). C’est démoniaque 😉

Deuxième clé de lecture : seul le premier plan compte. Et le premier plan ce sont les CRS .Les manifestantes et manifestants sont relégués dans un second plan qui a valeur d’arrière plan. « L’ordre, l’ordre, l’ordre« . Trois fois l’ordre, trois CRS, trois fois siglés « 3A ». Et oui. C’est pas une photo, c’est un hommage à Bruno Retailleau (ou à la Sainte Trinité, avec Cricri on sait jamais …).

Troisième clé de lecture : elle n’a pas de face. Pas un visage sur la photo. Pas une figure à laquelle s’accrocher. En pareil cas et dans pareille situation, c’est alors la figure, en absence, de Christelle Morançais qui s’impose, en creux, au spectateur.

Quatrième clé de lecture : dépolitiser en amalgamant. Aucun slogan n’est apparent (il en était pourtant de magnifiques, de drôles et de touchants). Aucune appartenance militante ou syndicale non plus à part un vague et amputé « FO ». Certes on « voit » des trucs colorés en arrière-plan (cl la 2ème clé de lecture) mais on ne distingue rien. Car c’est précisément tout l’enjeu. Effacer, gommer du débat ces tiers de confiance et de représentativité, ces corps intermédiaires que sont les collectifs militants, les syndicats et les organisations ou représentants politiques (il y en avait aussi dont pas mal de maires, justement, avec leurs écharpes). Une fois effacés il ne reste que des individus isolés, une foule indistincte que l’on peut à loisir qualifier de violents et « empêchant de garantir la sécurité aux abords de l’hôtel de Région« . Lolilol. De toutes les manifs nantaises, s’il y en a bien une dans laquelle le seul risque manifeste, le seul danger palpable, la seule menace ostensible, était de choper une bonne crève, et bah c’était celle-là.

Moralité ?

On aurait tort de sous-estimer la détermination de Christelle Morançais. Elle est celle de ceux qui osent tout en se rendant immédiatement reconnaissables. Mais cette détermination il faut l’interpréter pour ce qu’elle est vraiment. Christelle Morançais s’en contrefout de la culture. Elle a un projet qui est un projet de civilisation. Qui n’est rien d’autre qu’un projet de civilisation.

« La gauche n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. » (Naomie Klein). Grâce à Christelle Morançais, elle a une nouvelle occasion de le faire. Qu’elle le fasse vite. Et si elle devait tarder, n’attendons pas. Soyons radicaux, ou ne soyons plus rien.

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