Le 7 Mars (demain) sera une journée de mobilisation « Stand-Up for Science » afin de condamner le naufrage organisé par Trump et ses équipes à l’échelle de la définition même de la science aux Etats-Unis. Ce mouvement s’inscrit aussi en soutien de l’ensemble des pays dans lesquels la science et les scientifiques sont entravés, menacés, opprimés, dénoncés, espionnés, exilés, brimés.
Cette journée, ces paroles et ces banderoles, sont importantes. Essentielles même. Il faut documenter ce qu’il se passe dans des pays pour lesquels la science, ses financements, son éthique, tout cela est entièrement conditionnée à l’alignement idéologique avec le régime politique en place. A fortiori lorsque ce phénomène touche des pays qui n’étaient pas jusqu’ici réputés pour être des dictatures ou des régimes autoritaires et illibéraux.
Comme la plupart des collègues de la plupart des universités françaises, j’ai été destinataire d’un mail de la présidence (de l’université) dans lequel on nous appelle à rejoindre le mouvement avec nos étudiant.e.s pour un petit quart d’heure de mobilisation entre deux cours. Ok. A regarder le programme annoncé du côté des universités en France, c’est pour l’essentiel un service vraiment minimum : un rassemblement par ci, une vague photo par là, très peu d’appel à manifester, très peu de débats annoncés. La bascule fasciste que l’on observe et que l’on documente actuellement aux USA ne va pas vasciller sous les coups de boutoir d’une photo organisée entre collègues sur les marches d’une université. Signalons au titre de l’exception, l’université marseillaise qui lance un programme (et débloque un budget) pour accueillir des collègues états-uniens. Bon bref. J’ai moi-même alerté (depuis mon champ scientifique) sur l’importance de ce qui se joue actuellement aux USA dans le rapport fasciste que Trump instaure avec la langue et avec la science, pour ne pas me joindre au mouvement de demain.
Donc vendredi, je me lève, on se lève, toutes et tous pour Danette la science. Ok. On se lève. Et on se casse.
Et là … là comme beaucoup de collègues je ne peux m’empêcher de réfléchir au quotidien des universités (et universitaires) français. A nos quotidiens. A ce pays, la France, dans lequel désormais plus de 60 universités sur les 74 que compte l’hexagone sont en situation de faillite ou de quasi-faillite (elles étaient 15 en 2022, 30 en 2023, et donc 60 en 2024 à voter un budget initial en déficit).
Ce pays, la France, dans lequel on ampute encore le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Ce pays, la France, où à chaque étage de l’université publique, de l’enseignement à la recherche en passant par les services administratifs et techniques le précariat explose littéralement.
Ce pays, la France, où la paupérisation des étudiantes et étudiants est alarmante, tout autant que les problématique de santé, physique et mentale qu’ils et elles traversent et affrontent avec comme seule aide la bonne volonté des oreilles tendues à leur écoute.
Ce pays, la France où pendant que prospère un enseignement supérieur privé sous (et hors) contrat qui est une pure usine à merde remplissant des formations (en alternance notamment) sans aucun sens ni aucun contrôle, les universités publiques sont saignées et en permanence auditées et sur-auditées, y compris par des organismes et cabinets (privés).
Ce pays, la France, où des collègues qui sont de purs renégats pantouflent grassement dans des organismes publics de contrôle qui sont le bras armé du néo-management, organismes qu’ils légitiment par leur seule présence (je parle ici notamment de l’HCERES, dont la violence des dernières évaluations est unanimement dénoncée et tant il est désormais absolument évident que certaines de ces évaluations ne sont qu’un prétexte à l’hypocrisie ministérielle qui donne ses instructions pour fermer ou menacer de fermeture des formations par ailleurs souvent simultanément exsangues et pourtant toujours exemplaires).
Pas besoin d’aller regarder outre-atlantique, outre-manche ou outre-tombe pour voir les universités et les universitaires s’effondrer. En France, à Paris, du jour au lendemain suite à sa mise sous tutelle rectorale, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne voit l’ensemble de son budget amputé non pas de 10, 20, 30 ou de 40% mais de moitié. 13 millions de coupes budgétaires sur ordre du rectorat. Lisez attentivement ce qui suit :
« Ces coupes brutales amputent de plus de 50% les budgets de fonctionnement et d’investissement de nos structures – unités de recherche, écoles doctorales, bibliothèques, départements. Elles n’imposent pas de petites économies : elles mettent à l’arrêt nos activités de recherche ; elles obèrent gravement notre capacité à animer la vie scientifique de nos disciplines, à former et à professionnaliser nos doctorant-es, à faire rayonner notre université à l’international ; elles cassent nos infrastructures de recherche et de formation (alimentation des bibliothèques, renouvellement des abonnements aux plateformes numériques). La brutalité et l’ampleur de ces coupes portent des conséquences graves sur nos métiers, sur la vocation même de notre université, et sur sa capacité à assurer le service public d’enseignement et de recherche. Les discussions en cours à l’échelle nationale sur le budget 2026 laissent à penser que cette situation n’est qu’un avant-goût de l’austérité à venir. »
Voilà ce qu’écrivent les collègues du Centre Européen de Sociologie et de Science Politique de Paris 1.
Tout comme Paris 1, c’est donc plus de 60 universités sur 74 que compte la France qui du jour au lendemain peuvent aussi, et ainsi, basculer dans un effondrement total.
Dans les soubresauts de l’époque qui s’ouvre, dans les nouvelles alliances géopolitiques que la refaçonnent entièrement sur des lignes de démarcation que personne n’imaginait possibles, dans ce monde là qui vivra certainement nombre d’effondrements écologiques et politiques il n’y a que deux lignes budgétaires à préserver et à augmenter « quoi qu’il en coûte« . La première nous en avons eu un avant-goût dans l’allocution d’Emmanuel Macron hier soir : c’est hélas celle de la défense et des armées. L’autre, c’est celle de la science et des universités (et plus globalement de l’enseignement et de la culture). Mais de l’argent magique, il semble n’y en avoir pour l’instant que pour la défense et les armées. Pourtant l’état du monde est directement lié au financement de la science. Nous ne comprenons rien à l’accession de Trump au pouvoir et à la géopolitique en cours si nous n’avons pas une recherche forte en sciences politiques, en histoire, en économie et plus globalement en sciences sociales. Nous aurions peut-être pu en partie éviter l’accession de Trump au pouvoir ou en tout cas limiter son champ d’action et de nuisance si le monde n’était pas devenu un gigantesque et permanent plateau de Fox News dans lequel plus aucune parole scientifique ne peut exister autrement que sous le mépris, les quolibets ou l’absence.
Si l’on ne veut pas que le monde et le débat public ne se transforment entièrement en plateau de Cnews 24/24h, et si l’on ne veut pas en mesurer les effets dans la prise de pouvoir d’autres Trump, Milei, Meloni, Orban, Le Pen, et consorts, alors il faut mettre en avant les universitaires qui n’ont pas une « expertise » mais une connaissance des sujets. Et il faut à notre époque et aux temps qui s’annoncent des universitaires et des scientifiques qui soient correctement formés et puissent à leur tour en former d’autres. Nombre de nos meilleurs et meilleures docteurs (= titulaires d’un doctorat) ne se barrent pas aux USA parce qu’on y gagne mieux sa vie : la réalité c’est qu’il et elles crèvent de faim et de misère et se rabattent à force sur des postes où leur connaissance cesse de bénéficier au bien commun. Imaginez ces dernières semaines, ces derniers mois, imaginez le traitement du dérèglement climatique sans les scientifiques et universitaires du GIEC, imaginez la couverture du conflit en Ukraine sans Anna Colin-Lebedev ou d’autres de ses collègues universitaires, imaginez …
C’est pour cela que la communication des présidents et présidentes de France Universités m’agace et me met prodigieusement en colère. Parce que je ne parviens pas à lire leur parole autrement qu’au travers d’un pathétique double standard appelant à se mobiliser pour ce qui se passe aux USA (et y’a besoin) mais incapable d’appeler à descendre massivement dans la rue et à entrer en guerre contre l’effondrement programmatique de l’université publique française …
On pourra se lever autant qu’on veut pour la science, nous resterons des culs-de-jatte tant que nous n’aurons pas la force de refuser le sort qui nous est fait au quotidien, ici, chez nous, maintenant, dans nos universités, par nos gouvernements.
Alors le 7 Mars, on se lève, pour la science. Et après on reste debout, et on se casse en manif, dans la rue, dans les amphis, dans les journaux, dans les quartiers, on passe en mode guérilla, on se bat. On bouge.