[je préfère vous prévenir, va y avoir des gros mots #VousÊtesPrévenus]
Pourquoi à votre avis personne ne parle de la liquidation de l’université publique ?
Pourquoi à chaque fois qu’une sale conne comme Christelle Morançais raconte des tombereaux de merde sur la supposée « détestation » que les universités et universitaires auraient des patrons et de l’entreprise (« En France, une certaine doxa de gauche, dominante dans la presse et à l’Université, adore détester les patrons et les entreprises« ), pourquoi notre seule réponse c’est de l’inviter à venir voir sur place et à se sentir obligé de faire des déclarations d’amour aux patrons et aux entreprises ?
Pourquoi à chaque fois qu’une sale conne comme Laurence Garnier nous chie littéralement sur la gueule en racontant absolument n’importe quoi (« Entre le faible taux de réussite des étudiants, le gouffre financier que représentent les établissements et l’égarement idéologique de certains départements de recherche, la situation de l’université française est dramatique« ) pourquoi cela fait les gros titres des journaux (de droite) et la vérité, juste la vérité, jamais ?
Pourquoi semblons-nous si collectivement et singulièrement incapables, à chaque fois que nos fossoyeurs et fossoyeuses hurlent « oui mais c’est un coût énorme » (bah oui), de répondre autre chose que « oui mais c’est un investissement essentiel » (bah oui) ? Pourquoi ? Les universités sont plein de trucs mais bordel de merde de sa mère en tongs elles sont avant tout et par-dessus tout des lieux, des espaces de formation, de culture, de recherche indépendante, et donc d’émancipation. Et pour le reste, bouffez vos coûts et fumez vos investissements. La seule question qui tienne la route est la suivante : une société peut-elle se passer de tels lieux ? À chaque fois qu’on a répondu « oui » ou « chiche ! » ça s’est mal, très très très mal terminé.
En ce moment et dans l’attente du vote du budget de feu la start-up nation, toutes les universités sont de leur côté en train de présenter et de voter leurs budgets. Et cette année comme les précédentes mais cette année tout particulièrement, ça sent le sapin, et pas celui qu’on enguirlande et qu’on éclaire pour Noël. Alors nous sommes un certain nombre à alerter et à gueuler, depuis des années. Depuis de longues années. Des collectifs (comme Rogue ESR) font également le taff. Les syndicats de leur côté font ce qu’ils peuvent mais vu le nombre de syndiqués dans l’ESR bon bah voilà quoi.
« Cri d’alarme », « malades », situation « d’urgence absolue », phase « critique ».
Les universités sont traitées avec le champ lexical d’un patient en fin de vie et même une demi-molle de Patrick Sébastien suscite davantage de débat public et parlementaire.

Source : France Info.

Source : TF1.

Source : Le Parisien.

Source : Le Monde.
On gueule, on analyse, on explique. L’année dernière à la même époque déjà je vous expliquais (avec d’autres) pourquoi nos universités étaient en grand danger. Et le scénario que j’y décrivais et que tout le monde connaît, se met inexorablement en place. En Mars 2025 et à l’occasion de la journée Stand Up For Science je rappelais (avec d’autres) que « plus de 60 universités sur les 74 que compte l’hexagone sont en situation de faillite ou de quasi-faillite (elles étaient 15 en 2022, 30 en 2023, et donc 60 en 2024 à voter un budget initial en déficit). »
Cette année il est probable que plus aucune université française ne soit en situation de voter autre chose qu’un budget initial en déficit. Je vais le répéter et le réécrire. Cette année il est probable que plus aucune université française ne soit en situation de voter autre chose qu’un budget initial en déficit. Et en déficit massif. Alors que voulez-vous que je vous dise et raconte encore ? Rendez-vous l’année prochaine sur un paysage universitaire devenu pour l’essentiel un grand cimetière ?
S’il demeure assez improbable d’envisager la fermeture totale d’universités, il est désormais absolument certain que tout un tas de formations dans tout un tas de départements universitaires seront fermées (notamment en sciences humaines et sociales). Il est désormais tout aussi certain que d’ici un an ou deux nombre de sites et campus dits « délocalisés » vont être éparpillés façon puzzle. Et il est enfin absolument certain que le tabou des frais d’inscription va sauter (il a déjà sauté dans beaucoup d’universités pour les étudiants étrangers notamment extra-communautaires). C’est une véritable boucherie. Une boucherie à bas bruit mais une boucherie quand même. Qui masque en plus de tout cela d’immenses situations de souffrance au travail (car les personnels s’y épuisent et font tout ce qu’il est possible de faire au-delà du raisonnable). Ajoutez-y l’autre grand sujet de la situations d’extrême précarité de nombre de nos étudiantes et étudiants qui est traitée avec le même soin que la grande cause nationale des violences faites aux femmes. On attend d’ailleurs avec impatience la prochaine prise de parole de Brigitte Macron nous expliquant que ces petits cons d’étudiants et ces petites connes d’étudiantes n’ont qu’à se prendre un peu en main et arrêter de chouiner.
Et si tout cela ne vous donne pas envie de tout foutre en l’air, alors allez vous-même bien vous faire cuire le cul.
Mais entendez-bien ceci. Si vous acceptez (et si nous l’acceptons aussi), que demain vous deviez payer des frais d’inscriptions pour vos gosses qui soient autres que ceux actuels (moins de 200 euros par an en cycle licence), alors après demain vous serez aussi contraints d’accepter de payer plusieurs centaines d’euros pour leur prise en charge médicale. L’université n’est pas un hors-lieu, un hors-sol, une antichambre : elle est simplement une préfiguration. La préfiguration depuis maintenant plus de quinze ans d’un projet de mise à sac programmée, méthodique, chirurgicale, appliquée, la mise à sac d’un projet de société s’articulant autour du libre accès aux savoirs, aux connaissances et à la formation pour toutes et tous.
Tout ou presque y a été mis en charpie et en concurrence. Concurrence entre chercheurs, entre laboratoires, course à la publication, course aux financements (sur projets), multiplication des agences de certification de mon cul et autres hauts conseils à l’évaluation de ce qui en sort. Et tout à été fait en parallèle pour totalement libérer la seule vraie concurrence libre et non-faussée qui vaille pour les gouvernement qui se sont succédés : celle qui permet à n’importe quelle structure privée de délivrer un pseudo-équivalent au diplôme de n’importe quelle université publique en s’exonérant de toutes les responsabilités afférentes et tout en affichant des coûts d’inscription oscillant entre l’extorsion de fonds et l’escroquerie en bande organisée.
Sous couvert d’une loi et d’une stratégie dite « d’autonomie » conçue dès le départ pour avoir statistiquement autant de chance de donner des résultats satisfaisants que la pratique de l’auto-fellation, l’état s’est désengagé de presque tout, laissant aux universités la totalité des charges et leur en ajoutant chaque année de nouvelles (hier c’était le « GVT » et l’immobilier, aujourd’hui c’est la prise en charge de la mutuelle), tout en leur demandant de faire toujours mieux, de déposer toujours davantage de projets, et de faire tout cela (sinon c’est pas drôle) « à moyens constants » et surtout surtout d’être bien concurrentielles et en adéquation avec le marché de l’emploi et avec les idées du Medef et avec l’agenda politique de ma tata Jaquie et en silence siouplé.
Et je préfère vous prévenir tout de suite, ça ne sert absolument à rien d’accepter cela tout en continuant de se pignoler sur notre exception culturelle universitaire au regard de ce qui se passe aux USA et ailleurs, parce qu’à la fin de la pignolade qui sera brève, non seulement on ne pourra plus rien pour aider ou accueillir les collègues de ces pays où toutes les nécropolitiques sont déjà actives, mais surtout nous serons dans à peu près exactement le même état qu’eux, et bien plus vite qu’on ne le croit.
La totalité de la classe politique, à part quelques frémissements du côté très (très) à gauche, a totalement laissé tombé le sujet. Ils ont même arrêté de faire semblant de s’y intéresser. L’essentiel de la gauche semble au mieux s’en agacer légèrement et le plus souvent s’en foutre totalement. Sur la base de ce silence poli ou de ces agacements feutrés, il n’est pas très compliqué pour le centre, la droite et l’extrême-droite de bien se faire entendre en articulant avec leur bouche toutes les débilités et contre-vérités habituelles qui ne devraient avoir vocation qu’à sortir de leurs culs.
Faut dire que de notre côté et du côté des présidences universitaires qui se réveillent aujourd’hui avec les doigts qui puent, elles ont été promptes à oublier toutes les alertes envoyées concernant leur capacité à s’endormir avec le cul gui gratte. Elles ont fait à peu près tout ce qu’il ne fallait pas faire : créer d’immenses bateaux ivres en fusionnant différents et (déjà trop) grands établissements, tenter des PPPP (Putains de Partenariats Publics Privés) qui les ont éloigné d’un socle de valeurs hors lesquelles il est de plus en plus compliqué de s’affirmer comme garant d’une forme aboutie de service public, accepter docilement des réformes (notamment au niveau du cycle licence, notamment au niveau de la formation des professeurs) dont chacun voyait bien qu’elles ne poursuivaient que l’objectif de faire du chaos le mode de management le plus abouti possible. Elles ont été (les présidences d’université) si souvent à genoux quand si souvent nous les attendions debout devant l’ensemble des violences politiques et insitutionnelles qui leur étaient faites, que leurs bourreaux eux-mêmes se sont sentis autorisés à leur administrer double dose de pénitence. Elles ont cru et adhéré au mirage libéral, elles ont alimenté et construit le naufrage managérial, elles paient aujourd’hui la note et autant vous dire que du côté du ministère ils regardent ça et s’en délectent : c’est festival.
Et puis surtout, comme je l’écrivais plus haut, les universités ont été tellement abandonnées du discours, du soutien et du paysage public. Chaque parent est prêt à se mobiliser contre la fermeture d’une classe dans l’école de son enfant, chaque parent a déjà manifesté contre les classes surchargées. Mais quel parent est aujourd’hui prêt à se mobiliser contre la violence faite aux universités et aux étudiant.e.s qui les peuplent et qui sont aussi ses enfants ? Vous me direz que les universités accueillent des jeunes majeurs et que c’est à elles et eux de se mobiliser. Ils et elles l’ont fait. Mais là encore, ils et elles ont tellement pris de coups de taser et de lacrymos, ils et elles ont été tellement isolés quand ils et elles se sont mobilisés, et surtout ils et elles sont dans des situations de précarité et de fragilité (mentale, alimentaire, sociale) telles que malgré les grands discours, plus aucun universitaire sérieux ne peut s’étonner de la radicalité de certains et de la résignation de tous les autres. Car le projet libéral de mise à sac de l’université publique s’accompagne du même projet d’effondrement de toutes les aides et politiques publiques et sociales d’aide à la jeunesse. Sinon comment expliquer que chaque campus se soit aujourd’hui transformé en succursale des restos du coeur ? Sinon comment expliquer qu’il faille plus de 6 mois pour obtenir un rendez-vous psy quelque soit le niveau d’alerte et d’urgence ?
Rien. Rien de décent en démocratie dans la 6ème puissance économique mondiale ne peut justifier tout cela. Absolument rien. Sinon le projet d’une longue liste de sales cons et de sales connes de construire les conditions de cet inexorable effondrement.
