Elon Trusk et Donald Mump. Des mythos et une mythologie.

C’est un couple à la fois classique et inclassable. Le roi et le bouffon, mais là où le roi est aussi un bouffon et où le bouffon se voit en roi. Le politique et l’entrepreneur mais où le politique est un ancien entrepreneur et où l’entrepreneur a un agenda politique. Le vieux sage et le jeune fou à ceci près le le vieux n’a rien de sage et qu’il n’est pas exclu que le jeune n’ait rien de fou. Bref.

Donald Trump et Elon Musk.
Elon Trusk et Donald Mump.

#CroisonsLes du remarquable GuillaumeTC sur X

Il y a cette échéance de l’élection dans quelques jours et tout le travail de sape, de dégradation et de déprédation qu’ils ont entrepris depuis tant de temps. Et aucun bon scénario à l’horizon puisque même en cas de victoire de Kamala Harris il est hélas peu probable que les lendemains électoraux soient sans heurts, d’autant que dans tous les cas l’après Trump est déjà préparé (avec notamment J.D. Vance son vice-président désigné). Le fascisme n’éclate pas en une journée ou en une élection. Il se prépare, se précise, s’organise, se construit, pas après pas (de l’oie).

Elon Musk, aka « le plus grand capitaliste de l’histoire de l’amérique » comme il est présenté quand il est annoncé aux meetings de Trump, Elon Musk occupe aujourd’hui la place qu’occupaient hier Cambridge Analytica, Peter Thiel et Steve Bannon. C’est à la fois et à lui seul un agent du chaos et un agenda du chaos.

Tout le travail de Musk est de « miner » l’ensemble du débat public à l’échelle mondiale (et non uniquement américaine) et d’agréger (via notamment sa loterie pour remettre un million de dollar chaque jour à un signataire d’une pétition de soutien à Trump et bien sûr via X) une base de donnée de profils qui sont déjà et seront encore davantage demain, en cas de nécessité, une opinion publique mobilisable à merci. « … Et avec un tel peuple vous pouvez faire ce que vous voulez. »

J’ai déjà beaucoup écrit autour de la politique des algorithmes (cf la rubrique idoine sur ce blog), ainsi que sur les raisons qui faisaient que l’écosystème numérique dans sa globalité (le web et l’ensemble des plateformes et de leurs algorithmes) penchait plutôt à droite et même très à droite. Je vous invite à relire aussi cet entretien avec Jen Schradie parue dans Libération dont je vous mets l’extrait qui résume le mieux l’ensemble des enjeux devant nous :

« J’ai étudié l’activisme en ligne d’une trentaine de groupes, de tous bords politiques, qui militaient à propos d’une question locale en Caroline du Nord, et j’ai découvert que les groupes les plus à droite étaient les plus actifs en ligne. Il y a trois raisons à cela : les différences sociales, le niveau d’organisation des groupes et l’idéologie. D’abord, les classes plus aisées sont plus présentes en ligne que les classes populaires. Elles disposent de meilleures organisations, plus accoutumées à la bureaucratie. Enfin, les conservateurs, comme les membres du Tea Party, ont un message plus simple et abordent moins de sujets que les groupes de gauche. Ils ont l’impression que les médias mainstream ne relaient pas assez leur parole, ce qui les incite d’autant plus à se doter de leurs propres instruments de communication. L’idéal de liberté se partage plus facilement sur les réseaux sociaux que celui d’égalité.« 

J’ai aussi, il y a plusieurs années, posé l’hypothèse d’un durcissement de cette bascule très à droite et de la forte probabilité d’un néo-fascisme, trouvant beaucoup d’adhérences, de percolations, de prétextes et d’opportunités dans l’économie documentaire du web, et ce depuis la bascule d’un web des documents vers un web des profils.

A regarder le monde aujourd’hui, et par-delà le tempo de l’élection présidentielle américaine et ce qu’elle entraînera pour nous toutes et tous, on ne peut que constater que les agendas et les puissances médiatiques réactionnaires mais dominantes, convergent au service d’une même diversion ; diversion qui ne vise qu’à produire et à accélérer une situation de rupture et de bascule en faisant l’hypothèse que d’opportunistes figures autoritaires, marionnettes au service du capital, en émergeront comme autant de solutions désignées.

Depuis presque 20 ans que je fréquente la plateforme Twitter devenue X, et que j’analyse sa place et ses évolutions dans nos univers sociaux et politiques, et même si elle a subi un nombre incalculable de transformations et d’évolutions, notamment depuis son rachat par Elon Musk, une chose et une seule n’a jamais varié dans sa nature profonde, dans son ADN numérique, et c’est la dimension de la moquerie, de la raillerie, du sarcasme. De Dorsey à Musk, Twitter puis X fut toujours la plateforme de postures discursives conjuguant moquerie, raillerie et sarcasme, et sa forme courte (initialement 140 caractères) en fut une contrainte longtemps féconde. La cause également de tant d’approximations, de contre-vérités, et de mythos.

Mythos et mensonges dont Musk et Trump font rhétorique et qui résonnent à l’aune d’une figure mythologique que je vous présente … maintenant 🙂

Dans la mythologie grecque, il existe un dieu assez méconnu, répondant au nom de Momos (ou Momus). Le dieu de la raillerie, de la moquerie et de la critique sarcastique. Il est, selon les version, le fils de la nuit (Nyx) qu’elle aurait engendré seule, ou dans d’autres versions avec les ténèbres (Érèbe). Mais l’histoire de Momos fait écho à bien d’autres enjeux que l’on retrouve dans ce avec quoi Elon Musk et Donald Trump jouent actuellement pour orienter la campagne présidentielle américaine.

Momos ou la guerre contre l’étranger. A commencer par la possibilité de créer une guerre « de civilisation ».

« Il déconseille à Zeus (qui s’inquiète du nombre croissant des Hommes) de détruire l’Humanité, l’exhorte au contraire à favoriser les amours de Thétis et de Pélée, desquels naîtra Hélène… Ainsi, les hommes d’Europe feront la guerre aux hommes d’Asie et l’objectif de Zeus sera atteint. » Larousse, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine.

 

Pour autant qu’il soit possible de parler de proximité mythologique avec la politique contemporaine, on notera alors celle en miroir entre l’inquiétude de Zeus d’une humanité proliférante et les thèses « long-termistes » soutenues par Musk, et celle, tout à fait alignée cette fois, de la propre propension de Musk à enfanter autant qu’il lui est possible de le faire tel un Zeus de chez Wish.

Momos et la liberté d’expression. Dans « L’assemblée des Dieux », un texte de Lucien de Samosate, Momos apparaît comme le héraut de ce que l’on qualifierait aujourd’hui comme la défense de la liberté d’expression, puisqu’après s’être outrageusement et outrancièrement moqué des plus puissants des dieux et de leurs créations, Momos s’écrie :

 

Jouanno Corinne. Mômos bifrons. Étude sur la destinée littéraire du dieu du Sarcasme.
In: Revue des Études Grecques, tome 131, fascicule 2, Juillet-décembre 2018. pp. 521-551. DOI : https://doi.org/10.3406/reg.2018.8588« 

 

Musk comme Trump se plaisent à défier en permanence les assemblées qu’ils désignent comme « les médias » ou « l’état profond » et usent souvent de ce renversement de point de vue consistant à faire passer leur naturel insupportable et hargneux comme une simple sincérité incomprise, et leurs mensonges et calomnies comme la défense de la liberté d’expression.

Momos et le sondage d’opinion. Momos est également celui qui va reprocher à Héphaïstos, après qu’il a créé un être humain, « de ne pas avoir façonné, sur sa poitrine, une fenêtre qui permettrait de connaître ses pensées les plus secrètes. » (Larousse, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine) Cette fenêtre, cette base de donnée des opinions et des intentions, c’est littéralement ce que Musk s’est payé avec le rachat de Twitter. 44 milliards de dollars la fenêtre pour sonder les âmes d’un peu plus de 300 millions d’êtres humains.

Momos et le Wokisme Olympien. Tout comme Trump et Musk partis en croisade contre le virus Woke, l’ensemble des minorités de genre, les transexuels, et ainsi de suite, la « raillerie » de Momos le pousse souvent à stigmatiser les divinités thériomorphes (présentant les attributs d’une bête) :

Jouanno Corinne. Mômos bifrons. Étude sur la destinée littéraire du dieu du Sarcasme.
In: Revue des Études Grecques, tome 131, fascicule 2, Juillet-décembre 2018. pp. 521-551. DOI : https://doi.org/10.3406/reg.2018.8588« 

 

Momos, la folie et les femmes. Pour clore ce portrait, Momos est souvent représenté « tenant à la main une marotte, symbole de la folie et il accompagne assez souvent Comus, le dieu de la bonne chère et du libertinage. » (source : Wikipedia) Là encore, difficile de ne pas voir l’analogie avec le personnage d’un Trump / Comus surjouant l’amour de la barbaque et du McDonald, englué dans de sordides affaires de prestations sexuelles plus ou moins contraintes et tarifées dont au moins une avec une ancienne star du porno, et promettant aux femmes de les protéger « y compris si elles ne le veulent pas » après s’être précédemment vanté de les « attraper par la chatte. » (sic)

Momos et la fin de l’histoire. Après avoir raillé l’ensemble des dieux Momos fut chassé et « s’installa chez le seul dieu capable de le comprendre : Dionysos. » (Wikipédia). Une mythologie à rebours. Trump est – d’une certaine manière seulement – le Dionysos de Musk, un Dionysos réduit à sa dimension de dieu de la fureur et de la subversion. Leur histoire commence là où s’achève celle de Momos et de Dionysos. Et nul n’en connaît aujourd’hui la suite.

Mais avant d’être « le plus grand capitaliste de l’histoire de l’amérique », ou peut-être précisément parce qu’il est le plus grand capitaliste de cette histoire de l’amérique, Elon (Mo)Musk est cette incarnation presque parfaite de la puissance délétère de Momos. Et de cette mythologie nous avons aussi certainement beaucoup à apprendre, à deux journées d’une élection qui quel que soit son résultat, fera toujours date pour les uns et toujours doute pour les autres.

 

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