Le 11 Janvier, Henri Isaac (maître de conférences en sciences de gestion) à remis son rapport sur "L’université numérique" à Valérie Pécresse (.pdf). J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de ce rapport (ici et là), au travers du vrai-faux blog qui avait été mis en place pour l’occasion.
Toute déférence gardée envers mon collègue, j’avoue que la lecture dudit rapport m’a laissé sur ma faim. Les propositions et préconisations avancées l’ont déjà été (dans d’autres rapports pour le même ministère et par d’autres personnes/personnalités) depuis une bonne dizaine d’année (5 ans pour les plus "récentes" comme celle du C2i) :
- oui il faut former aux NTIC,
- oui il faut valoriser la FOAD (formation à distance),
- oui il faut valoriser les enseignants-chercheurs qui passent du temps là-dessus (parfois au détriment de leur propre "recherche"),
- oui il faut systématiser le C2i (certificat "informatique et internet"),
- oui il faut sensibiliser les étudiants au plagiat,
- oui il faut faire exploser le nombre des cellules TICE (et surtout de leurs personnels) et mettre ces cellules et leurs compétences au service des enseignants et des chercheurs, soit en les multipliant soit en les mutualisant,
- oui il faut démultiplier l’offre de formation pour les enseignants chercheurs
- oui il faut augmenter les ressources numériques disponibles dans les SCD (services communs de documentation) et surtout, surtout, surtout – c’est moi qui ajoute – il faut travailler la visibilité de ces ressources en interne (auprès des personnels et étudiants de l’université) et en externe (via les moteurs de recherche)
- oui il faut baisser la TVA sur les ressources numériques pour les bibliothèques
- en revanche, non, "la constitution d’une archive nationale centralisée (H.A.L.)" ne va pas nécessairement "à l’encontre de la constitution par les universités de leur propre archive", cela témoigne juste que les problématiques de l’archivage ouvert et institutionnel n’ont pas été comprises par les universités (souvenez-vous de cette petite anecdote corustillante). Et que cette incompréhension rend compte du manque d’une politique réellement volontariste de formation des personnels, et en premier lieu des bibliothécaires (mais pas seulement).
- mais pour tout le reste : oui, oui et oui.
Et oui si on ne fait pas tout cela nos universités seront "marginalisées" dans la compétition internationale pour reprendre les termes du rapport. Au final ce qui est navrant dans ce rapport ce n’est pas son contenu ni ses propositions (pour l’essentiel empreintes de bon sens même si certaines problématiques – comme celle de l’archivage "ouvert et institutionnel" auraient gagnées à être présentées plus en détail), mais bien le fait qu’en ce domaine comme en d’autres il devient assez stupéfiant et (décou)rageant de constater l’entêtement ministériel qui consiste :
- d’une part à commanditer des rapports qui pour les mêmes maux préconisent tous peu ou prou les mêmes remèdes,
- et d’autre part à mettre un point d’honneur à laisser ces recommandations sombrer dans l’oubli ou à les déployer de manière anecdotique, sans cohérence d’ensemble, sans vision globale, en raclant des fonds de tiroir, et sans jamais avoir le courage d’afficher une politique de recrutement et de financement (pour la partie bibliothèques – SCD) à la hauteur des ambitions affichées.
Le problème de tous ces rapports sur "le" numérique c’est la prétendue irréductibilité de sa nature : pour Henri Isaac, le numérique "ne se résume pas à la mise en place d’outils informatiques", pour d’autres (dont j’ai oublié le nom) il ne se résumait pas "à une question de moyens". Bref, à force d’irréductibilité (gauloise), "le" retard numérique finira par être également … irréductible.
De mon côté je crois que "le" numérique est d’abord une question d’équipements. On aura beau dire, le numérique sans ordinateurs, c’est plus délicat … Le taux d’équipement par étudiant est à coup sûr l’une des clés de la réussite. Dans mon IUT (La Roche sur Yon), pour une promo de 100 étudiants (sur deux années), nous disposons de deux salles PC et d’une salle MAC, plus une salle de montage vidéo. A raison de 15 postes par salle, on n’est pas loin d’un ordinateur pour deux étudiants (sans parler des ordinateurs portables à un euro par jour qui sont de plus en plus nombreux, mais là ce sont les étudiants qui paient, et mon avis c’est que l’université doit pouvoir suppléer aux besoins de ceux qui n’ont pas un euro par jour pour s’offrir un portable, parce qu’il y en a malheureusement de plus en plus)
Je crois également que "le" numérique est au moins autant une question de taux d’encadrement par des enseignants chercheurs formés. Il faut pour cela démultiplier d’urgence l’offre de formation, et en rendre une partie obligatoire. Naturellement, taux d’équipement + taux d’encadrement = augmentation de la masse salariale et de la dotation budgétaire dédiée.
Pour le reste ("les" outils numériques), la richesse et la qualité des applications Open Source et des logiciels "libres" est largement suffisante pour arrêter de se ruiner en licences Windows et assimilées.
Disclaimer : je m’autorise une vue un peu engagée – et dépitée – sur ces questions car :
- primo j’ai moi-même été longtemps membre d’un corps d’élite des formateurs aux nouvelles technologies – les célèbres commandos Urfist.
- deuxio je reçois toujours depuis bientôt deux ans une bonne dizaine de demandes de formation par mois sur ces questions – demandes heureusement à la baisse devant mes nombreux refus – mais demandes qui attestent si besoin en était de l’urgence à démultiplier l’offre de formation en la matière,
- et tertio j’avais dans le cadre d’un rapport pour la commission européenne réfléchi à un dispositif permettant d’articuler les deux niveaux de l’archivage institutionnel et des archives ouvertes disciplinaires tout en y couplant un dispositif de valorisation des CV des enseignants-chercheurs (de type portfolio) auquel il ne devrait pas être très compliqué d’ajouter des facilités de déploiement d’ENT (environnements numériques de travail). Autant vous dire qu’au moins 7 personnes dans le monde ont lu ce rapport. Mais comme je sais que madame la ministre est une fervente lectrice de mon blog, je tiens ces quelques cogitations à sa disposition si elle le désire (et si je les retrouve :-).
Si vous ne voulez pas lire le rapport en entier, ITRManager fournit un compte-rendu exhaustif et la liste des 12 propositions.
Et puis pour clore ce billet sur la petite touche de mauvaise foi (mais pas tant que ça) qui me caractérise, j’attribue une "mention très honorable avec félicitations du jury" dans la catégorie "j’avale des couleuvres et j’aime ça" à la dernière proposition du camarade Isaac, proposition qui consiste à "améliorer la démocratie étudiante grâce au vote électronique" et proposition qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe après la lecture des onze précédentes … L’idée est de systématiser le recours au vote électronique pour toutes les élections étudiantes … Probablement que si la mesure se met en place (quelque chose me dit que ce sera rapidement fait), il sera plus aisé demain de gérer de futurs mouvements étudiants … et puis qui sait, si on habitue les jeunes électeurs citoyens à la démocratie électronique, ils verront peut-être d’un moins mauvais oeil le recours systématisé aux machines à voter. La démocratie "étudiante" d’aujourd’hui, c’est la démocratie "tout court" de demain …
(Via Technaute)
Je suis témoin pour dire qu’il y a déjà quelques enseignants qui ont commencé la diffusion de podcasts à leurs étudiants, fussent-ils seulement des PDF ou Word, et plus nombreux dans les écoles privées que les universités
Très bonne analyse dece rapport, et surtout de la dernière proposition.
voir la motion votée par l’ASTI (fédération denombreuses associations françaises de chercheurs et enseignants-chercheurs en informatique) : http://www.ordinateurs-de-vote.org/Communique-du-20-decembre-2007-Une.html
Très bonne analyse dece rapport, et surtout de la dernière proposition.
voir la motion votée par l’ASTI (fédération denombreuses associations françaises de chercheurs et enseignants-chercheurs en informatique) : http://www.ordinateurs-de-vote.org/Communique-du-20-decembre-2007-Une.html
Sylvain> sur le « plus nombreux dans les écoles privées que les universités » : cela reste à prouver … mais cela prouve aussi que c’est – entre autres – une question de moyens 🙂
Lionel> Merci pour le lien vers la motion de l’ASTI. Même si je crains que les prochaines échéances électorales ne nous réservent de bien mauvaises surprises 🙁
Juste une précision : si les services communs de la documentation sont peu évoqués dans le rapport sur l’Université numérique, les bibliothécaires sont loin de ne pas participer au mouvement des archives ouvertes.
Il réfléchissent et agissent en réalisant des archives institutionnelles articulées avec HAL http://www.archives-ouvertes.fr/spip.php?article39, ils expliquent le rôle du dépôt en archives ouvertes aux présidents des universités et sensibilisent les chercheurs et les étudiants à leur usage.
Pour preuve, entre autres, un groupe de travail sur les Archives ouvertes http://gtao.wikidot.com/ animé par le consortium des bibliothèques universitaires, Couperin http://www.couperin.org/.