Elon Musk l’a annoncé à sa manière, c’est à dire brutalement, sans concertation autre qu’un sondage auprès de sa communauté, le nom, le logo et la « marque » Twitter deviennent « X ».
Pourquoi X ? Seul Elon Musk le sait. Ce que nous savons c’est que X est le nom de la première « marque » que lança Elon Musk en 1999, le projet « x.com » qui avait vocation à devenir un guichet unique bancaire en ligne, et qui finit par devenir Paypal.
Ce que l’on sait également c’est qu’il y a quelques années Elon Musk racheta le nom de domaine « x.com » à Paypal, « pour des raisons sentimentales », nom de domaine « x.com » qui redirige aujourd’hui vers « Twitter.com ».
Ce que l’on observe c’est que la devise qui fut celle de Zuckerberg aux commencements de Facebook, « Move Fast and Break Things » sied à merveille à Musk et particulièrement à ce qu’il s’astreint à infliger à ce biotope numérique particulier qu’est Twitter.
Ce que l’on peut analyser également c’est que l’ensemble des Big Tech, à chaque fois qu’ils rachetaient un service encore émergent pour l’intégrer plutôt que de prendre le risque qu’il ne devienne concurrent, prenaient grand soin d’en conserver « ‘l’image » et de ne rien changer trop vite en tout cas de visible : racheté par Yahoo!, FlickR restait FlickR ; racheté par Google, YouTube restait YouTube ; racheté par Facebook, Instagram restait Instagram, et ainsi de suite.
Elon Musk fait le choix exactement inverse : en achetant Twitter Elon Musk en modifie structurellement la dimension éditoriale en intégrant ou réintégrant tout un ensemble de comptes bannis au nom de sa conception maximaliste de la liberté d’expression tout autant que par pur goût de la provocation, il vire sans avertissement ni ménagement l’essentiel des équipes, il multiplie les promesses non-tenues sur le plan de l’ouverture de l’algorithme ou du respect des règlements européens, et désormais il s’attaque donc à l’image de la marque pour annoncer la suppression de l’oiseau bleu iconique et le remplacer par un X.
La plupart des noms et logos de marques ont une histoire, parfois réfléchie, parfois hasardeuse, mais cette histoire la plupart du temps raconte quelque chose de leur conception et de leur génèse : le bleu de Facebook pour le daltonisme dont est atteint Zuckerberg, le nombre mathématique 1 suivi de 100 zéros qui est le Googol origine de Google, l’oiseau bleu fait uniquement de cercles raconté ici par son concepteur, la pomme croquée d’Apple dont le récit enjolivé par nos imaginaires projetés coexistera probablement toujours avec une vérité plus prosaïque.
Avec Twitter devenu X, Elon Musk semble ne faire rien d’autre qu’une croix. Un psychanalyste Lacanien y verrait l’avènement de ce qui ressemble à son propre chemin de croix.
Le logo est repris d’une police d’écriture disponible en ligne.
Quant à l’imaginaire ou l’implicite qui dicte ce nom et ce choix, il renvoie probablement à la fois au projet initial de l’entrepreneur (la première marque devenue ensuite Paypal) mais convoque aussi des imaginaires culturels bien plus triviaux et génériques qui vont de l’univers des comics (X-Men notamment) que Musk affectionne jusqu’à toute une frange de la « pop culture » allant de X-Files à Project X en passant par les X-Wing de Star Wars.
Rien n’empêche d’imaginer qu’il s’agisse également d’un effet d’écho à Space X, son autre grand oeuvre. Comme à chacun des choix de Musk dans la gouvernance de Twitter, difficile de dire quel sera l’impact celui-ci, difficile même de dire s’il sera pérenne ou si dans quelques jours ou semaines et à la faveur d’une nouvelle lubie (ou d’un modèle économique qui ne goûte guère ces incessants changements) il choisira de rétablir le nom et le logo initial.
Si ce n’est pas le cas, alors il nous faudra trouver une nouvelle langue à l’image de la nouvelle grammaire que Twitter version Musk nous impose déjà de chercher depuis de longs mois. Et d’essayer de continuer de faire langue et conversation au travers de ce média. Le verbe « Googler » est entré dans le dictionnaire ; le monde dispose de lieux, de plats et de réalités « instagrammables » ; on fait métier de Youtubeur, de Youtubeuse, de Tiktokeur et de Tiktokeuse. Il y a des Wikipédien.ne.s. Et jusqu’ici des Twittos « tweetaient« . L’essentiel d’une marque avant de faire conversation est de permettre de faire langue.
Par-delà les particularités juridiques qui rendent périlleuses et limitées les questions de propriété intellectuelle autour d’une seule lettre, par-delà le fait subséquent qu’il n’existe aucune marque réellement connue ainsi nommée, par-delà l’incapacité à faire vocable et conversation de ce « X », Elon Musk ne tente jamais qu’une seule et même chose qui est de faire parler de lui ou des marques qui sont avant tout sa marque, renvoyant toutes et tous les autres à la seule condition d’anonymes, toutes et tous numériquement nés sous X, c’est à dire au moins putativement … sous lui.
Dans la tirade du baiser de Cyrano, celui-ci déclame :
« Un baiser mais à tout prendre qu’est-ce ? (…)
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille ».
Il n’est pas totalement exclu que ce X soit, pour les gazouillis de l’oiseau bleu, le baiser de la mort.