Je me demandais depuis quelques temps quand Google allait enfin utiliser son blog officiel pour répondre aux nombreuses critiques concernant son "entrée" sur le marché chinois. Ce fut ce soir, dans ce billet.
Petit rappel de l’histoire (si vous vivez sur la planète Mars ou au fin fond de la vendée) : Google nous la joue plus que jamais Janus Bifrons. Alors qu’il refuse de livrer des données sensibles suite à une injonction du gouvernement américain (détails ici), au nom d’une tout personnelle conception du respect de la vie privée (et surtout du secret commercial), il cède aux injonctions du gouvernement chinois pour que via la page Google.cn ne soient pas accessibles un certain nombre de sites non politiquement corrects. Je ne reviendrai pas sur cette affaire, d’autres l’ont déjà très bien fait :
- Zorgloob (sur les réactions suscitées)
- entretien de Serguei Brin (de passage à Davos) au magazine Fortune
- article du Guardian
- et tout le reste …
Je voudrais en revanche revenir sur l’abasourdissante dialectique employée dans le billet d’auto justification du blog officiel. De même que dans l’affaire "Google contre les injonctions du gouvernement Bush" c’est au final d’abord le risque de voir dévoiler des secrets algorithmiques et non pas la protection de la vie privée qui avait pesé dans la balance, l’affaire chinoise est d’abord justifiée par le fait que les services actuels de Google en chine (le moteur, les "news", la recherche d’image) sont "inaccessibles la moitié du temps". Donc, pour rendre ces services accessibles, il faut entrer sur le marché chinois. En offrant des services qui seront accessibles tout le temps (et nous permettront donc de rentrer de l’argent via nos annonceurs), mais qui n’en seront pas le moins du monde moins qualitativement "dégradés" (puisque n’y apparaîtront que les informations jugées conformes par le gouvernement chinois). Et d’enfoncer le clou de la tartufferie : "être en accord avec notre mission et nos valeurs".
Rappel : la mission de Google est "d’organiser l’information à l’échelle de la planète et de la rendre universellement accessible". Là, on voit bien. La planète sans la chine n’est pas vraiment la planète. On est d’accord. Là où l’on voit moins en revanche, c’est pour ce qui est des "valeurs".
Donc Google nous explique … qu’ils ont beaucoup discuté et "rencontré des gens" : "depuis ceux qui applaudissent le gouvernement chinois pour être entré dans une économie de marché et avoir sorti de la pauvreté 400 millions de personnes (sic, sic, sic, sic, sic ad lib …) jusqu’à ceux qui critiquent l’attitude du gouvernement chinois ("disagree with many of the Chinese government’s
policies"). Bon … au vu de ce parangon de démocratie consultative, les "rencontres" avec les "gens" ont du avoir lieu dans un bar à sushi à la mode de la 16ème avenue 🙁 Et le meilleur reste à venir, car les 3 paragraphes de sophistique précédents n’ont servi qu’à mieux nous préparer à l’indiscutable, la seule manière possible de poser LA question selon Google : "comment offrir le plus grand accès possible au plus grand nombre possible de personnes ?" Pour le cas où vous disposeriez de l’intelligence d’une amibe sous tranxène, on (Google) vous aide encore un peu à trouver la bonne réponse : en entrant, quel qu’en soit le prix démocratique et citoyen, sur le marché chinois. Et là. L’estocade. Le coup de grâce. La cerise sur le gâteau. Le couple de marié sur la pyramide de choux à la crème. L’apothéose. Le climax. "Filtrer nos résultats de recherche compromet notre mission. Ne pas offrir de possibilité de chercher sur Google la compromet encore davantage." Levez le ban.
Voilà donc le panorama de l’accès à l’information à l’échelle de la planète aujourd’hui :
- plus de 80% des usagers ne vont pas au-delà de la première page de résultats
- laquelle page affiche près de 80% de liens commerciaux (les résultats naturels – également baptisés "organiques" n’occupant que les 20 % restant)
- une très large majortité d’usagers étant par ailleurs incapable de distinguer entre les deux (organiques et commerciaux) parce que ne connaissant pas l’existence ou la nature des seconds
- et pour le reste de la planète le choix entre "pas de connection" ou des résultats "autorisés par gouvernement chinois".
Il me tarde de voir le prochain billet du blog officiel de Google qui nous expliquera la chance pour la Corée du Nord de pouvoir, via Google, accéder à des résultats validés par Kim Jong-il. Après tout, tout serait tellement plus simple pour tout le monde. Arrêtons avec les algorithmes de recherche compliqués et automatiques. Revenons-en à un bon vieux modèle d’annuaire de sites, et demandons aux leaders politiques de s’occuper du rubriquage et de la validation. Que diable !!
"(…) on est aisément dupé par ce qu’on aime.
Et l’amour-propre engage à se tromper soi-même."
A moins que ce ne soit l’amour de ses actionnaires. Cherchez-en paix braves gens. Heureusement qu’il reste Fox news et le treize heures de jean Pierre Pernod pour s’informer librement.
Update de 10 minutes plus tard : Je ne suis PAS DU TOUT D’ACCORD avec Tristan Nitot (mais j’adore sa manière de lancer les débats). Quand Google (avec tout ce que cela comporte de parts de marché, de capitalisation, d’intérêts stratégiques et j’en passe) dit qu’il "informe" alors qu’il "censure", je crois qu’il est indispensable d’expliquer que l’un est le contraire de l’autre. Et comme il est tard et que je vais aller me coucher, je trouve même un peu dangereux voire carrément démagogique d’expliquer qu’ainsi censurer l’accès à l’information de près d’un milliard quatre cent millions d’êtres humains n’est finalement pas tellement différent que de "refuser d’afficher en France des liens vers des pages Web
pédophiles ou nazies ou révisionnistes ou incitant à la haine raciale". Mais j’aime bien cette manière de lancer des débats.
Update du lendemain : (via le cybérien cloutier) : quelques logos pour Google China.
Olivier,
Encore une fois, à mon avis, le pb vient de ce que Google ne s’assume pas comme média, se prétant une bibliothèque, alors quIl est avant tout une agence de pub.
S’il se considérerait comme média, les histoires avec la Chine ne serait qu’une des péripéties classiques de ce monde avec ses compromis, ses batailles et ses coups de gueule. L’histoire de la presse en est pleine. Comme citoyen on peut réagir en criant à la censure, comme analyste, on peut aussi observer que c’est son fonctionnement normal en deçà des grands principes. Mais le pb réside dans le fait que Google prétend ne pas assumer le contenu auquel il donne accès et donc refuse l’étiquette de média.
Il se prétend bibliothèque et là il y a aussi un vrai problème, car une bibiothèque est au service de la communauté qu’elle sert et qui lui donne ses moyens. Mais quelle communauté sert donc Google ? L’humanité ? Il me semble qu’il y a une contradiction entre un modèle de marché et un modèle de bibliothèque, comme tu le soulignes, mais c’est une question ouverte et importante. Reste que si on est au service de l’humanité, il faut avoir des valeurs universelles ce qui n’est pas de la tarte en ces temps troublés
Enfin, bien entendu, Google est une régie publicitaire comme tu le répètes souvent. Mais le principe même de la publicité est celui du passager clandestin. Donc Google serait condamné à l’hypocrisie. Néanmoins, nous avons dans l’histoire des médias, la radio et la télévision commerciales qui sont construites aussi complètement et progressivement à partir d’un modèle de régie publicitaire souvent bien aussi hypocrite, que l’on peut sans doute aussi critiquer comme citoyen, mais qui remplissent un rôle fondamentales dans nos sociétés.
Il faut reconnaitre que Google et consorts jouent un rôle tout aussi fondamental pour l’accès aux connaissances. Donc, encore une fois enfonçons le clou et donnons-nous les moyens démocratiques de réguler ce nouveau média.
Filtrer l’Internet
Gloser sur l’attitude de Google en Chine est une chose. Disposer de données de recherche sur la question en est une autre. L’étude Empirical study of Internet filtering in China du Berkman Center (Harvard) n’a qu’un seul défaut, elle date
Google, Tartuffe et Kim-Jong-il (épisode 2)
Après l’épisode 1, voici la même page de la rubrique aide de Google concernant la censure : Avant l’affaire chinoise : Google does not censor results for any search term. The order and content of our results are completely automated;
Google China et la censure
Les filtrages en oeuvre sur le nouveau site Google China (www.google.cn) ont fait beaucoup parlé d’eux. Après avoir refusé de livrer les requêtes effectuées par les internautes américains au Département de la Justice au nom de la protection de la vie…