Dans le jargon cycliste, "le local de l’étape" c’est en général, au mieux, celui qui se surpasse devant ses collègues et, au pire, celui que ces mêmes collègues laissent gagner devant son public sa famille et/ou ses amis. Et parfois une subtile alchimie entre ces deux scénarios.
Dans le processus universitaire de recrutement de maîtres de conférences, le local de l’étape, c’est le candidat en poste dans l’université qui recrute et qui entre "naturellement" dans un profil de poste dont il assure en général déjà une bonne part des enseignements et de la partie recherche. Avec tout un éventail de nuances plus subtiles les unes que les autres dans la définition dudit profil de poste, également appelé "profil de poste détaillé". Pour en brosser rapidement le spectre (des nuances subtiles) : nous classerons les "profils à candidat local" selon trois archétypes :
- le "chausse-pied", également appelé "poste à moustache", qui désinge un profl tellement "profilé" qu’il ne peut en tout état de cause y entrer qu’un et un seul candidat. Ou deux si ledit candidat est schizophrène.
- "l’entonnoir", également baptisé par ses détracteurs "le goulet d’étranglement" désigne les profils suffisamment spécifiques pour qu’un candidat local puisse apparaître facilement comme le plus apte à y entrer, ou pour que ce même candidat local puisse aisément faire valoir des éléments implicites inconnus des autres candidats, mais sans pour autant fermer outrancièrement le poste (pour d’autres candidats)
- "l’anti-profil" : comme son nom l’indique, l’anti-profil se caractérise par son absence de profil détaillé, ne faisant état que de quelques lignes ou d’un ou deux paragraphes hâtivement rédigés pour contribuer à obscurcir encore un peu plus les intitulés officiels paraissant au JO, qui relèvent dans leur immense majorité d’un art consommé de la litote.
Vient alors le temps, après celui de l’examen des dossiers, de l’audition proprement dite. Sauf cas exceptionnel (crevaison au début de l’étape, ou révélation mystique occasionnant un départ pour une retraite méditative sur les hauts-plateaux de l’Altiplano), sauf cas exceptionnel disais-je, le candidat "local de l’étape" n’a aucun mal à franchir l’examen des dossiers. Les scénarios de l’audition vont alors sensiblement varier selon la composition de la commission d’audition et de recrutement. Les variables considérées étant ici le nombre et la situation hiérarchique ("Prof" ou "MdC") des soutiens sur lesquels le candidat peut compter (je fais ici au plus simple mais il faudrait encore parler du cas spécifique des IUT pour lesquels la commission de spécialistes de l’université classe les candidats – les représentants de l’IUT siégeant en commission "d’audition" mais pas en commission plénière, cette dernière permettant d’effectuer le classement final – après quoi la "commission de recrutement" interne à l’IUT à la possibilité d’entériner le choix proposé par la plénière ou de le refuser, le poste repartant alors au concours).
Selon donc que le candidat local est entré "au chausse-pied" ou "à l’entonnoir" dans le profil, et selon que le même dispose ou non d’appuis nombreux et qualifiés en commission "d’audition" et/ou "de recrutement" et/ou "de plénière", plusieurs issues seront possibles :
- Scénario 1 : "Roule ma poule." Le local de l’étape dispose de plein d’appuis en interne, il n’est pas arrivé à l’audition ivre mort et n’a pas vomi sur ses notes durant son exposé ni ne s’est évanoui à l’écoute de la première question lui étant adressée : à valeur scientifique égale, on choisira le local de l’étape
- Scénario 2 : "Pan sur le bec (mais quel bec ?)." Le local de l’étape ne dispose pas de suffisamment d’appuis en interne : à valeur scientifique égale, on ne choisira en général pas le local de l’étape :
- histoire de bien montrer à ceux qui le soutiennent (et qui ont donc montés le profil), que c’est pas eux les plus forts, et nanana et nananère.
- histoire de légitimer d’une auréole de candeur impartiale toutes les décisions bidonnées dans lesquelles les résultats sont joués d’avance
- histoire de jouer sur les 2 tableaux précédents
- Scénario 3 : "l’équilibre de la terreur." Le local de l’étape ne dispose pas de suffisamment d’appuis en
interne : à valeur scientifique égale, on choisira en général le
local de l’étape si on sait que l’on a, que l’on aura, ou que l’on pourrait avoir besoin pour un prochain recrutement de ceux étant actuellement en situation d’infériorité numérique.
- Scénario 4 : "Oui … mais … euh … bon." Le local de l’étape se présente devant une commission "équilibrée". Et là les choses se compliquent forcément, voire prennent rapidement des allures de quadrature du cercle vu que, pour peu que l’on ait effectivement un ou deux candidats de valeur scientifique équivalente à celle du local de l’étape, il devient impossible de faire abstraction des exigences du profil de poste, profil sur lequel le local de l’étape est "naturellement" et le plus souvent "à raison" le plus qualifié, le plus immédiatement opérationnel, mais vu que dans le même temps et à compétence équivalente sinon égale des non-locaux, il apparaît assez déraisonnable de leur objecter qu’ils sont plus éloignés du profil que le local … parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes des locaux :-(( Interviennent alors tout un tas de critères à la scientificité éprouvée tels que : le charisme, le tour de poitrine, la gestuelle, la ligne idéologique, "l’inscription dans le champ", le port altier de la cravatte ou du décolleté, j’en passe et des plus scientifiques. Alors on débat, on s’arrange (ou non), on essaie de faire abstraction de tout critère autre que scientifique mais on n’y arrive pas forcément, on pèse le pour et le contre … et advienne que pourra. Autant de commissions, autant de candidats, autant de scénarios et d’imprévisibles variables d’ajustement.
Mais quel est donc alors le principal problème du local de l’étape ?
Et bien précisément, le problème du local de l’étape, c’est qu’un recrutement n’est pas "qu’une" étape. C’est un blanc-seing accordé à l’impétrant(e) pour quelques quarante années de carrière (oui je sais il y a un an de stage mais là encore, à moins d’animer des séances de TP mettant en scène l’oeuvre d’Emile Louis ou celle de l’adjudant Chanal, il y a somme toute fort peu de chances d’être "recalé" à l’issue de cette année de stage).
Mais alors on fait quoi ?
J’avoue n’en rien savoir. Ou plutôt si. On peut regarder ailleurs, ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent. On peut aussi rappeler qu’il existe des universités ou des départements, voire des composantes d’universités qui font le choix délibéré de ne jamais recruter de candidat local, et de le dire (à leurs doctorants). C’est le cas à Toulouse en économie (enfin c’était le cas à l’époque). Et probablement ailleurs (les commentaires sont ouverts). L’avantage c’est que les règles sont claires. La possibilité même d’un candidat local de dissoud d’elle-même. En l’état actuel des choses (et de mes maigres connaissances sur la question), tant que cette mesure n’est pas généralisée à l’ensemble du processus de recrutement au niveau national c’est davantage une source d’inégalité supplémentaire qu’autre chose. J’ignore d’ailleurs s’il serait bon (sans même parler de la faisabilité de cette proposition) de généraliser ce mode de fonctionnement au niveau national. Les raisons ? En voici quelques-unes en vrac. Dans le champ des sciences humaines et sociales, l’âge moyen d’entrée sur un poste de Maître de conférences est de 33 ans et demi. A 33 ans et demi, il n’est pas aberrant de considérer que les candidats ont eu, en sus de leur thèse, l’idée – certes saugrenue – de fonder une famille, de vivre en couple, voire même de contribuer au dynamisme des statistiques de natalité en France. Auquel cas, il leur est parfois délicat, à 33 ans et demi, de gentiment s’adresser à leur épouse/mari/concubin/autre en arguant : "Dis donc, maintenant que ça fait 4 ou 6 ans (ou plus …) que je te fatigue avec ma thèse, ma qualification, mes auditions, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, tu vas enfin pouvoir lâcher ton boulot à Montpellier, on part s’installer à Dunkerque. Pour les enfants, ils verront bien, de toute façon à cet âge là, on s’adapte".
Chaque recrutement, chaque choix englobe naturellement des considérations humaines qui ne trouvent aucune part dans le processus de recrutement (mis à part la question convenue sur la mobilité du candidat, question à laquelle on n’a jamais vu aucun candidat répondre "bé non, si vous me recrutez, je vais pas venir" ou "bé oui, ma femme travaille à 400 km d’ici mais pad’problème, je la quitte demain pour me consacrer à mon université et à mes étudiants"). Délicat dans le même temps de prendre en compte de telles considérations humaines, sauf à dépouiller un peu plus de toute objectivité scientifique un processus de recrutement, qui sans en être totalement dépourvu, pourrait en être mieux doté.
Doooonc ?
Donc je n’en sais rien, mais je considère qu’en l’état actuel des faits, le système universitaire dans son ensemble se grandirait en adoptant une position claire sur cette question du "local de l’étape" en particulier et du recrutement en général, plutôt que de laisser régner en ce domaine un total arbitraire (arbitraire soit dit en passant relativement variable selon les champs disciplinaires concernés), arbitraire dont ni l’université, ni les candidats, ni les recruteurs ne sortent grandis, même si la plupart d’entre eux sont le plus souvent empreints de bonne volonté et tentent bon gré mal gré de maintenir un semblant de crédibilité et de sérieux à un système qui confine de plus en plus souvent à une gigantesque pantalonnade sur laquelle ils n’ont en général aucune prise.
Et puisque le maronnier en ces temps de post-partum électoral semble faire la part belle aux "Etats généraux de machin chose" et autres "Grenelle de machin truc", il ne semblerait pas aberrant que l’université songe (enfin) à se poser les questions de son mode de reproduction avant que d’autres ne lui imposent un eugénisme libéral bon teint.
Disclaimer : J’ai moi-même en un temps pas si lointain été le "local de l’étape" (profil "entonnoir", scénario 2), et je n’ai finalement pas été recruté par cette belle université du Sud de la France, ce qui me donne le droit de dire du mal des locaux de l’étape sans être taxé d’aigreur ou de rancoeur 😉
"C’était un temps déraisonnable …"
Et bien dis-donc, ça c’est du billet. Ne manque plus que la voiture-balai 🙂
Jean-Marie
Je suis le local de l’etape sur un poste a l’etranger (plutot anti-profil). J’ai 34 ans. Si je rate, les enfants apprendront une 3e langue, c’est pas grave, ils s’adaptent. Ma femme a deja quitte son boulot, c’est pas grave on vit a 4 sur mon salaire (heureusement plus charitable qu’en france).
Une solution ? Et si le credits de recherche de l’universite etaient accordees en fonction de ses resultats (qui peuvent etre mesures de multiples manieres : publis, debouches des filieres, etc.) ? Cela inciterait les commissions a recruter le meilleur candidat, meme si celui-ci est le local de l’etape…
J’ai dit une betise ?
Blop> peut-être mais le problème c’est précisément l’évaluation des résultats. Les laboratoires ont besoin de chercheurs mais les universités ont besoin d’enseignants. Les meilleurs candidats sont -à mon sens- ceux qui présentent un intérêt, une « qualification » et surtout un enthousiasme équivalent pour ces deux aspects du même métier.
Pourquoi une bêtise ?
Je suis entierement d’accord pour dire que toute evaluation est imparfaite. Mais je prefere une evaluation imparfaite au copinage. Rien n’empeche d’evaluer sur plusieurs criteres a la fois, y compris recherche ET enseignement…
La « betise » c’est parce que chaque fois que j’avance cette idee, je passe pour un suppot du grand capital americain (moi !!).
D’ailleurs, merci pour le clin d’oeil a Aragon.