Ce que l’on continue d’apprendre des réseaux sociaux

Facebook, OpenSocial et les autres occupent (c’est peu dire) le devant de la scène blogosphérique. L’occasion de faire un nouveau petit tout d’horizon de problématiques et de réflexions. On sait aujourd’hui :

  • ce qu’en pense Matthew Hurst (inventeur de Blogpulse et chercheur chez Microsoft) : "Les réseaux ‘sociaux’ ne le sont que dans leur structure. Les individus qui les peuplent tentent le plus souvent de les utiliser à des fins personnelles (trouver un travail, vendre quelque chose) et les systèmes qui les hébergent (aux réseaux sociaux) les exploitent (les individus) autant qu’ils le peuvent."
  • que "c’est la guerre pour le grand réseau de publicité sociale" (Marc Andreessen, fondateur de Ning, via Francis Pisani), mais ça, on s’en doutait déjà un peu 🙂
  • que conformément à ce que je subbodorai ici ou , l’OpenSocial de Google est d’abord et avant tout un monde fermé, mais que son gros avantage est d’avoir l’air ouvert (explications techniques chez un employé de Microsoft, mais tout le monde à le droit d’être objectif 😉
  • quelle fut en fait la réponse du berger (Facebook) à la bergère (OpenSocial) : et ne comptez pas sur moi pour m’échiner à résumer ce qui l’est déjà fort bien chez Jean-Marie Le Ray . Le résultat, c’est que Facebook franchit un pas de pus dans le sens de la fermeture et de la spécialisation, dans celui du marquage, du ciblage et du suivi publicitaire "de niche". Avec certes de très grosses niches au programme (Coca-Cola est l’une d’elles), mais des niches tout de même. Pour approfondir cette cotre-attaque à la riposte OpenSociale de Google, voir aussi :
    • l’Atelier,
    • Technaute (qui nous apprend que dans la lettre de Mark Zuckerberg envoyée aux annonceurs, celui-ci indique : "Nous allons aider vos marques à faire partie des conversations
      quotidiennes qui se produisent tous les jours entre les membres
      ", ce qui est la définition Monthypythonnienne du SPAM 🙂
    • ReadWriteWeb qui va dans le même sens que moi, en prenant l’exemple emblématique de l’Apple Students group qui compte pas moins de 420 000 membres. De quoi faire de la pub communautaire pour le moins.
    • TechCrunch
  • que la lutte des classes se confirme (cf le point 4 de ce billet). Après Danah Boyd, c’est Eszter Hargittai qui s’y colle. Hargittai, E. (2007). Whose space? Differences among users and non-users of social network sites. Journal of Computer-Mediated Communication, 13(1), article 14. http://jcmc.indiana.edu/vol13/issue1/hargittai.html Sa conclusion est qu’il y a bien une inégalité sociale dans l’usage des réseaux sociaux. Dit autrement : on n’utilise pas les mêmes réseaux et on ne les utilise pas de la même manière selon son milieu social, son âge, son sexe, etc. Et il en va pour les réseaux sociaux comme pour la vie en général : certains naissent moins égaux que d’autres.
  • (via Francis Pisani) que la culture de la participation n’est pas l’apanage exclusif des réseaux sociaux. Pendant que Valérie Pêcheresse s’entête à faire de la mission Internet un simple ministère des tuyaux et des télécoms, la vraie bonne question à poser actuellement n’est plus uniquement celle de la fracture numérique, mais "de déplacer l’axe de la conversation sur la fracture numérique des questions technologiques liées à l’accès vers celles qui se réfèrent
    aux opportunités de participer et de développer les compétences
    culturelles ainsi que les savoir-faire sociaux nécessaires pour
    s’impliquer pleinement.
    " Cette approche est celle défendue par Henry Jenkins dans son dernier rapport intitulé Confronting the Challenges of Participatory Culture: Media Education for the 21st Century (.pdf). A lire absolument. Le rapport contient notamment une très bonne définition de la "culture de la participation" : "une culture
    dans laquelle les critères d’expression artistique et d’engagement
    civique sont relativement bas ce qui encourage à créer et à participer
    […]. C’est également une culture dans laquelle ceux qui s’en réclament
    considèrent que leurs contributions comptent et sentent un certain
    degré de connexions sociales entre eux (au moins dans la mesure où ils
    attachent de l’importance à ce que les autres pensent de ce qu’ils ont
    créé).
    " Définition qui a à mon avis pour principal intérêt de ne pas faire de ladite culture de la participation l’apanage des Geeks et autres technophiles 2.0, mais de la renvoyer vers des modèles sociaux (beaucoup) plus anciens et plus prometteurs.
  • que Yahoo! jusqu’ici étrangement absent se lance dans l’aventure avec un modèle … comment dire … étrange. Il s’agit de lancer (comme facebook) un réseau social à destination des étudiants et des anciens élèves, de l’orienter clairement vers le monde professionnel (comme LinkedIn). Et que comme l’un des nerfs de la guerre est celui du nombre des utilisateurs, "Kickstart (= c’est le nom du réseau social en question) veut d’abord faire signer les anciens élèves, et offrira $25
    000 de récompense au collège ou à l’université qui fera signer le plus
    d’anciens élèves avant le 31 décembre.
    "
  • que la course aux Friendlists (listes d’amis) vient d’effectuer sa mue et son passage à l’échelle (grâce à OpenSocial). Le gros problème des réseaux sociaux naissant ou existants, c’est primo le nombre de leurs utilisateurs (il faut en avoir plein) et deuxio le processus d’amorçage (il faut que tous ces gens puissent au plus vite retrouver leurs amis et les ajouter dans "leur  réseau"). C’était là l’une des forces de Facebook qui ne s’était en la matière pas embarassé de principes en vous proposant, lors de votre inscription, de lui confier le mot de passe de votre boîte aux lettres électronique pour y aller puiser vos contacts et voir s’ils étaient aussi dans Facebook. Or comme le souligne justement Jill/txt,  avec OpenSocial, "tout nouveau site entrant saura déjà qui sont vos amis".
  • qu’il est aussi possible de rire un peu avec les réseaux sociaux : après Hatebook, voici le blog de l’initiative "ClosedPrivate". Comme l’indique la page "A Propos" du blog : "L’initiative ClosedPrivate" est l’effort d’un large consortium de visionnaires et de technophiles pour résoudre un problème clé d’interopérabilité entre les différents réseaux sociaux. Nous ne pouvons pas vous en dire plus tant que vous n’êtes pas membre de notre initiative. Nous ne pourrons d’ailleurs pas vous en dire davantage quand vous serez devenu membre étant donné les caractéristiques de notre initiative (fermée et privée). Vous n’avez qu’à vous faire votre propre idée."

Et puis après ce que l’on sait et ce que l’on continue d’apprendre, il y a ce que je pense :

  • je pense que Francis Pisani se trompe quand il écrit que : "La supériorité de la pub sur les réseaux sociaux (un peu trop
    vite baptisée “publicité sociale”) par opposition à celle que l’on
    trouve sur les moteurs de recherche tient d’abord au fait qu’elle
    repose sur ce que nous sommes – dans nos multiples contextes sociaux –
    plus que sur ce à quoi nous pensons. Nous fournissons les données clés
    nous-mêmes et les maintenons à jour au gré de nos goûts, de nos
    relations ou de nos passions.
    " Je pense en effet qu’intrinsèquement les deux sont de même nature. Et que si la pub "sociale" (appelons-là ainsi faute de mieux) peut effectivement bénéficier d’une mise à jour des usagers eux-mêmes, elle est en revanche handicapée par la défiance de certains usagers à laisser transparaître toute leur sphère privée. Les moteurs en revanche et leur modèle publicitaire (appelons-là pub "motorisée") détournent complètement cet effet de défiance, puisque nous les utilisons dans un état d’esprit cognitif beaucoup moins pregnant que celui dans lequel nous utilisons les réseaux sociaux. Dit autrement : quand on est "dans" un réseau social et que l’on l’utilise, on sait même diffusément, même confusément, que l’on est, quelque part, observé. Quand on utilise un moteur de recherche on a l’impression (fausse …) de travailler "en extériorité", d’être sur un réseau ouvert. Donc je pense que le modèle publicitaire de Google en particulier et des moteurs en général est et restera largement dominant à l’avenir, et plus rentable (parce que paradoxalement plus "segmentable") que celui des réseaux sociaux. Dit autrement encore : les moteurs (et les réseaux sociaux ouverts c’est à dire ayant rejoint l’initiative OpenSOcial de Google) peuvent s’appuyer sur une économie (celle de l’attention) et sur une base de donnée (celle des intentions) dans un contexte ouvert, à large spectre. Les réseaux sociaux "fermés" (dont Facebook) ne peuvent compter sur cette économie et sur cette base de donnée qu’à une échelle infiniment moins grande, moins ouverte, et surtout moins fractale. Dit autrement encore, seuls les moteurs me semblent aujourd’hui disposer du pouvoir alchimique leur permettant de transformer l’attention en intention. Les réseaux sociaux fermés devant se contenter (ce qui n’est déjà pas si mal) de capter des intentions pour les transformer en autant de supports d’attention. En revanche je pense que la prochaine étape, le prochain modèle pouvant substantiellement augmenter une manne publicitaire qui frise déjà l’indécence, sera celui de la géolocalisation, et que cette étape passe par la conquête des terminaux mobiles.

4 commentaires pour “Ce que l’on continue d’apprendre des réseaux sociaux

  1. Ce que l’on tente d’appeler « pub sociale » pour l’habillage web 3.0 n’est autre que le ciblage comportemental qui est dans les cartons de Yahoo depuis pres de deux ans.
    Je ne sais si le système Google peut être qualifié de « fermé » mais une chose est sûre en controlant les règles de la distribution et de la monétisation il contrôle le marché.

  2. Salut Olivier,
    D’accord avec toi sur ta dernière remarque. Mais j’y ajouterais un élément supplémentaire: la publicité est, à mon avis, peu compatible avec une communication adressée à la FB, car nous ne gardons pas longtemps des «amis» intéressés. À l’inverse un moteur contrairement à l’idée reçue ne s’intéresse pas aux données privées, mais aux requêtes. De ce point de vue, c’est un média de masse qui se finance naturellement par la pub. Voir :
    http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php/2007/09/14/327-google-est-un-media-de-masse
    Ceci devrait aussi relativiser tes craintes, non pas sur l’hégémonie de Google (là je les crois justifiées), mais sur son aspect big brother.

  3. Ta pensée est éclairante sur bien des points ! merci pour cette réflexion argumentée qui va nourrir la mienne….! 🙂
    Juste une petite question, ce que tu perçois comme duel dans les réseaux sociaux, cette alchimie entre stratégies individuelles et stratégies collectives, n’est-ce pas le propre des organisations humaines…et d’une certaine manière ce qui fonde leurs régulations autour de systèmes d’actions concrets (bernoux : ensemble composé de membres qui y développent des stratégies particulières, qui les structurent dans un ensemble de relations singulières, soumises aux contraintes changeantes de l’environnement)
    Ta conclusion est puissante : « seuls les moteurs me semblent aujourd’hui disposer du pouvoir alchimique leur permettant de transformer l’attention en intention. Les réseaux sociaux fermés devant se contenter (ce qui n’est déjà pas si mal) de capter des intentions pour les transformer en autant de supports d’attention »…
    Mais au niveau des utilisateur des réseaux, n’est-ce pas une manière implicite de canaliser : ce qui revient à poser la question « supèriorité » pour qui ?

  4. Facebook : revue de blogs

    Voici la revue de presse/blog Facebook – Face book hebdomadaire comme certains ont caractérisé mes billets 🙂
    En préambule, je vous propose cette semaine Ce que l’on continue d’apprendre des réseaux sociaux sur Affordance. Certains de nos liens sont……

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