Il est 20 heures. Je suis dans le train qui me ramène de Paris, suite à mon intervention aujourd’hui à la BPI pour une formation sur le web 2.0. Si j’avais accepté, je devrais normalement être, à cette heure, en train de me rendre à l’invitation de Valérie Pécresse pour son dîner de comm., et me régaler des fastes de bouche ministériels au lieu de me safisfaire d’un sandwich SNCF qui est toujours aussi épais que dans la chanson de Renaud, mais qui est surtout beaucoup plus cher qu’à l’époque … J’ai bien fait de refuser cette invitation. Je crois que je n’aurais pas eu le coeur à débattre de manière feutrée des nouvelles technologies. Parce que je pense à eux.
Je pense à eux. Doctorants aujourd’hui et docteurs demain. Après 3 ans de recherche, après avoir pour leur immense majorité passé brillamment tous les barrages de la sélection et de l’excellence dans le cadre de leurs études universitaires, après le rude exercice de la soutenance, après de plus en plus souvent un à trois ans de post-doc, ils attendent impatiemment, comme je l’ai moi-même attendu il y a trois ans de cela, la parution du Journal Officiel contenant la liste des postes à pourvoir dans les universités pour devenir Maître de conférences. Ils se lancent alors dans l’étude des profils de poste, essaient de récupérer des infos, d’obtenir des contacts, ils rassemblent leurs articles, leurs publications, se lancent dans la rédaction de leur dossier de recrutement qu’il enverront sur les postes sélectionnés, en espérant être à leur tour sélectionnés. Mais pas cette année. Pas cette année. Sur l’ensemble des diplômes de doctorat délivrés, sur l’ensemble des post-doc, pas un seul ne remplira cette fois de dossier, pas un ne consultera le Journal Officiel, pas un ne se ruinera en fais de port pour acheminer les volumineux dossiers, pas un ne se ruinera davantage en frais de transport SNCF pour se rendre sur les lieux de sa convocation. Parce que la ministre et le président l’ont dit et redit : il n’y aura pas cette année de création de poste à l’université. Pas une. Zéro absolu. Il faut réduire le nombre de fonctionnaires. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’université. Il y eut des années fastes, d’autres le furent nettement moins. Depuis déjà quelques années, le nombre de postes offerts au recrutement était très maigre. Mais cette année, RIEN. ZERO. NIB. QUE TCHI. NADA. QUE DALLE.
Alors même que l’on nous annonce et que l’on vérifie dans diverses facultés que le mouvement étudiant est en train de vivre ses dernières heures, la majorité des enseignants-chercheurs n’ont pas pu, pas su, prendre à temps le relai de ce mouvement et l’accompagner. Pourtant nombre d’entre eux vont cette année et les suivantes, partir à la retraite. Mais pas un seul diplômé n’entrera cette année (2008-2009, prochaine et première campagne de recrutement après l’adoption de la loi LRU) à l’université pour y transmettre le savoir qu’il a acquis, pour exercer le métier pour lequel il a été formé. PAS UN SEUL.
D’ailleurs c’est ce qui est indiqué sur le tout nouveau tout beau site de l’enseignement supérieur et de la recherche, à la rubrique emploi :
- "Les docteurs ont de plus en plus vocation à s’insérer dans les
entreprises : le secteur public de l’enseignement supérieur et de la
recherche ne doit donc plus être considéré comme le seul débouché des
docteurs."
Ce qui dans la réalité des faits pour cette année et probablement les suivantes pourrait s’écrire ainsi :
- "Les docteurs ont presque exclusivement vocation à s’insérer dans les
entreprises (oui mais, les entreprises n’ont pas presque exclusivement vocation à recruter des docteurs, elles préfèrent – c’est leur droit – des ingénieurs) : le secteur public de l’enseignement supérieur et de la
recherche ne doit donc plus être considéré comme un débouché pour les
docteurs."
L’université, l’enseignement supérieur n’est pas la seule touchée. L’autre grande sacrifiée c’est la justice, comme en témoigne une nouvelle fois le récent billet de Maître Eolas qui se termine ainsi :
- "Il est regrettable qu’en dépit des recommandations formulées dans les précédents avis budgétaires, le ministère de la
justice n’accompagne toujours pas ses projets de réforme d’une étude d’impact précise permettant au législateur de
s’assurer que les moyens humains seront suffisants pour les mettre en oeuvre."
Alors peut-être y aura-t-il tout de même des recrutés, mais ils le seront dans le cadre de la nouvelle loi : c’est à dire essentiellement par le fait du Prince (le président de l’université), à des taux de rémunération fluctuants, et pour l’essentiel sous la forme de contrats de droit privé. Ce qui est d’une part une systématisation de la précarisation totalement inédite, et ce qui, d’autre part, est un déni de l’essence même du fonctionnement universitaire, à savoir la confrontation avec ses pairs, sur la base inamovible de thématiques et de travaux de recherche.
Il n’est pourtant peut-être pas trop tard. Contrairement à ce qu’en disent les mass-médias, universités, étudiants et personnels n’ont pas, partout sur le territoire, baissé les bras. En témoignent de nombreuses initiatives :
- celle de Lille 1 qui continue de débattre
- le collectif sauvons la recherche pétitionne
- le collectif sauvons l’université pétitionne également
- celle de l’ENS lettres et sciences humaines, l’une de nos "grandes écoles" qui plaît tant à la ministre, a voté une déclaration rejetant l’adoption de la LRU dans le cadre de ses statuts, et réussi à repousser le vote desdits statuts.
- la proposition d’entrer en résistance administrative et communicationnelle
- les propositions plus classiques d’un grand nombre de syndicats à des AG réunissant l’ensemble des personnels, à des opérations "fac ouverte", à la grève (un préavis a été déposé par le SNESUP pour les 4, 5 et 6 décembre)
- et probablement tant d’autres encore …
Au delà des grèves, au delà des pétitions, au delà des journées banalisées, au delà appels (nécessaires) à de nouveaux états-généraux de la recherche en concertation avec tous les acteurs, au delà de la non négociable nécessité d’ouvrir des postes dans le cadre d’un plan pluri-annuel, il faut trouver de nouveaux moyens d’action pour forcer la ministre à se remettre autour de la table. Celui auquel je pense est assez simple : il s’agit, sur une période donnée (et éventuellement reconductible), pour tout enseignant-chercheur (professeur ou maître de conférences) de s’engager à ne faire que le travail qui entre dans le cadre de la définition de son poste, à savoir de l’enseignement et de la recherche. Et laisser tomber toutes les autres tâches de nature administrative, quelle que soit la nature et l’importance de ces tâches. Ne plus comptabiliser les absences, ne plus remplir aucun imprimé administratif, ne plus se mettre en quête de contrats de recherche, ne plus assurer la direction des études, la direction de département, d’UFR ou le suivi des dossiers administratifs très lourds de contrats-recherche. Juste son laboratoire et sa salle de classe. Rien de plus.
Je reste curieux d’avoir votre avis là dessus. Plus que jamais, les commentaires sont ouverts.
Bonsoir Olivier
Ton billet me rappelle la colère des élèves que j’ai été amenée à croiser au travers de mon parcours de formation ! Tant d’études et si peu de débouchés au bout du compte ?
Je rebondis sur cette phrase :
oui mais, les entreprises n’ont pas presque exclusivement vocation à recruter des docteurs, elles préfèrent – c’est leur droit – des ingénieurs)
Que faudrait-il pour qu’il en soit autrement ? Comment rétablir l’équilibre et donner aux doctorants toutes leurs chances ?
Comment rendre les univers plus perméables et plus ouverts ?
des plaintes, encore des plaintes, toujours des plaintes!!!!
mais quand cesserez vous de vous plaindre???
avec une telle mentalité de pleureurs, de geignards, comment aller plus loin que vos petites personnes?
si une thèse est trop difficile, trop compliquée, allez à l’usine ou faites vous embaucher comme maçon, mais surtout, arrêtez de « chougner »….
bien à vous
claud
@Florence. La question est intéressante. La réponse concerne @claud aussi et certainement aussi Olivier. Et elle est : penser autrement (cf. le dernier bouquin d’Alain Touraine).
En attendant, le système va à contre-sens. L’ennui et l’horreur, ce sont tous ces responsables politiques qui se font élire pour prétendument ouvrir des perspectives et qui faute de penser juste, sacrifie l’avenir et la jeunesse (doctorants inclus) sur l’autel de leur ambition.
Ça frise le crime contre l’humanité et le nettoyage générationnel ! Que peut l’intelligence contre l’ignorance quand celle-ci est au pouvoir ?
crime contre l’humanité, rien que ça ?
le « crime », s’il y en a un, n’est-il pas d’avoir laissé autant de jeunes s’engager dans des voies sans débouchés ?
ne faudrait-il pas inciter tous les talents présents à l’université à innover, créer des entreprises et de l’emploi, plutôt que de les orienter vers les bibliothèques et les salles de cours ?
Je me dis surtout que la plupart des étudiants ne connaissent rien à leur avenir. Ils sont juste engloutis par l’Université mus en partie par une envie d’apprendre parfaitement légitime, de poursuivre des études et d’avoir une expérience de jeunesse qui les sorte de chez papa maman tout en les protégeant d’un marché du travail qui n’a plus grand chose à leur vendre. Le gros problème de l’Université, c’est qu’elle n’a plus d’identité. Elle est devenue une avaleuse de masses de jeunes, qu’elle recrache au bout dans la nature. Pour beaucoup, ça reste une vraie belle expérience qui ne peut et ne doit être systématiquement retirée. Mais pour pas mal aussi, les orientations disparaissent rapidement et ils se voient abandonnés à leur triste sort : t’as tes diplômes, mais tout le monde s’en fout. L’Université n’organise pas l’avenir de ses étudiants. L’organisation d’un projet d’avenir devrait pouvoir se faire dans les 2 premières années de fac, voire devrait être obligatoire, avec des orientations possibles dans différents secteurs : recherche bien sûr, mais aussi en partie entreprise ; en France bien sûr, mais aussi en partie à l’étranger. Des ponts devraient davantage être construits, relativement à ce projet, avec les centres et instituts de recherche, avec d’autres écoles, avec des administrations, et quelques entreprises qui favorisent la recherche… le financement de ce projet lui aussi doit entrer en ligne de compte et la recherche de financement devrait également entrer dans le cadre de la formation. Car la plupart des étudiants ne connaissent rien de tout ça. Et la poignée de connards qui répondent « ben ils n’ont qu’à se bouger le cul » sont ceux qui ont eu la chance d’apprendre tout ça grâce à une expérience personnelle, familiale. Toutes ces choses, ça s’apprend. Au lieu d’aider l’étudiant à construire un projet de vie et à s’inscrire dans un projet de société, on l’abandonne lamentablement au fond de sa chambre universitaire, à n’exiger de lui qu’une chose : qu’il « révise pour ses exams ». Alors réformer l’Université oui, mais qu’on arrive à faire se rencontrer et leurs aspirations, et leur créativité, et leur énergie d’une part, et d’autre part, un projet de société qui tienne un minimum la route. La recherche, l’excellence, la réflexion, les cultures, les sciences, les arts… Il y a tout de même de quoi faire dans ce monde.
Excuse moi Cybernetic, mais si on va à l’université, c’est justement pour aller dans les bibliothèques et les salles de cours. C’est quand même un minimum. C’est tout de même incroyable ça de penser qu’on fait trop lire les étudiants !
Quelle étrange conception de la société: l’Etat doit donc recruter tout ce qui sort de l’Université.
On se croirait en Afrique!
Il était temps que Sarko arrête ça.
Ou bien la France (ou même l’Europe, la planète) a besoin, d’une façon ou d’une autre, de ces magnifiques, géniaux, bosseurs, etc., doctorants ou bien elle n’en a pas l’usage.
Le reste c’est du soviétisme. Ca ne m’étonnes pas que vous souteniez cette soi-disant « grève », qui ressemble plutôt à une tentative bolchevique d’imposer à l’ensemble de la nation une formule qu’elle ne veut pas ou plus. Y’en a marre des avant-gardes, surtout quand elles se battent pour que rien ne change.
Tout d’abord, mes sympathies à l’auteur du blog qui doit endurer les mêmes inepsies que ses lecteurs, avec l’attaque personnelle en plus.
J’aurai aimé savoir si vous pouviez m’indiquer une référence à cette non-création de postes, j’ai rapidement cherché sur internet mais je n’ai pas trouvé (il est vrai que je ne suis plus très familier avec le fonctionnement français).
Toujours est-il que je suis atristé d’apprendre de telles mesures, car n’en déplaise à certains, elles ont une conséquence très directe sur la dynamique des équipe de recherche, créant un fossé entre anciens et nouveaux chercheurs. C’est le genre de choses qui arrivent dans ma propre université (l’UQAM, au Québec), touché par le terrible croisement autonomie financière + sous financement de l’état. Résultat des courses (entre autre): un gel probable de l’embauche de professeurs pour 4 à 5 années (!!!), alors qu’il s’agit déjà de l’université avec le plus faible ratio de professeur / élève au Québec (je précise qu’ici, la distinction Maître de conférence – Professeur n’existe pas). Le résultat direct pour la prochaine session: dans la classe dont je m’occuperai de 45 personnes maximum, il y a déjà 60 personnes inscrites.
No comment, bon courage.
Je lis votre blog depuis quelques temps et je vous remercie pour vos prises de positions, il est très salutaire que des personnes en poste expriment des réserves quant aux changements à venir et à leurs dangers, qui affecteront fortememnt, comme vous le dites si bien, les doctorants ou docteurs. Je suis également affligée par certains des commentaires et par l’aplomb avec lequel ces personnes se permettent de soutenir de telles inepties… Suite à votre message, j’ai essayé de trouver des informations sur le fait qu’il n’y aurait aucun poste au concours cette année. Etant docteur depuis deux ans, cette nouvelle me décourage au plus haut point, dans ma discipline (Littérature) la situation est déjà catastrophique au niveau des postes. Et pourtant, je joue le jeu du système, je publie, participe à des colloques, organise même des journées d’étude tout en travaillant et enseignant à l’université en tant que chargée de cours mais aussi ailleurs(j’ai trois employeurs!). En parallèle, je passe l’agrégation, que j’ai déjà tentée l’année dernière: dans ma discipline, c’est une condition sine qua non pour le recrutement. Pas simple de gérer tout ça… Et l’impression persistante qu’il me faut toujours attendre pour commencer mon entrée dans la vie professionnelle, malgré mes efforts (je vous passe le nombre d’heures que je consacre chaque semaine à mon travail de recherche, à la préparation du concours, aux préparations de cours, tout cela pour un salaire…pas vraiment élevé, c’est peu dire) J’accepte tout cela en me disant qu’il faut patienter. Mais jusqu’à quand? Ma question est donc la suivante: où avez-vous eu l’information concernant l’absence totale de recrutement cette année? Même si je sais que j’ai peu de chance d’être recrutée (bien que qualifiée depuis deux ans) cette information a de quoi en démoraliser plus d’un. Je ne sais plus comment envisager mon avenir. Et je précise que, si je parle en mon nom, mon cas est malheureusement loin d’être isolé.
Cordialement, et merci pour votre site.
Il est important de ne pas tomber dans la simplification : OUI, il n’y a pas de création de postes, MAIS SI il y aura des postes au concours cette année, les départs à la retraite étant encore remplacée (pour la plupart). Dans ma discipline (allemand), cela fait des années que c’est comme ça, et beaucoup de jeunes docteurs sont devenus Maîtres de conférences quand même! De plus, la campagne de recrutement de cette année se déroulera encore selon les modalités d’avant la LRU.
Je comprends l’indignation d’Olivier, mais axer la protestation ainsi cache un peu le VERITABLE problème des années à venir : la contractualisation. Ce qui attend les doctorants actuels, c’est un avenir de mercenaires de la recherche et de l’enseignement, ce qui n’est certainement pas un garant de qualité de l’université.
Donc : d’accord sur la mobilisation contre la LRU, mais attention aux résumés qui pourraient discréditer cette mobilisation.
Guillaume et Sabeth> « Où ai-je eu l’info ? » Je la tiens de personnes bien informées 🙂 Les directives reçues du ministère par les présidents d’université fin Juillet, ont cette année tardé à leur arriver. Quand elles furent là, il s’aperçurent que, via la procédure ministérielle habituelle, ils pouvaient déclarer des vacances de postes (départs en retraite), mais ne pouvaient demander aucune création de poste. Quand ils ont demandé pourquoi, on leur a répondu qu’il n’y aurait aucune création de poste à la rentrée et qu’ils devaient s’estimer heureux que l’on ne leur en supprime pas (comme dans le secondaire).
Valérie> Vous avez raison : il y aura de spostes au concours. Ce qui est en revanche totalement inédit c’est de voir la situation que vous décrivez pour l’allemand se généraliser à l’ensemble des disciplines universitaires. Cela ne s’était encore jamais vu.
Vous avez en revanche partiellement tort en indiquant que le recrutement se fera selon les modalités d’avant la LRU : les universités ayant choisi de devancer l’appel et d’entrer immédiatement dans le cadre de la loi LRU (il y en a quelques-unes, dont celle de Nantes), pourront, dès le mouvement de septembre, recruter des candidats selon les modalités fixées par la LRU.
Sur la mise en place de contrats de droit privé aux taux de rémunération fluctuants, vous avez parfaitement raison. C’est effectivement LE danger majeur qui guette l’enseignement supérieur.
Merci de ces précisions; en effet, la situation est différente selon les facs – chez nous, les commissions de spécialistes ancienne manière fonctionneront encore en juin, pour la dernière fois.