Pendant toute l'année dernière, chercheurs, enseignants, universitaires, se sont battus bec et ongle sur la question de la masterisation, c'est à dire sur le principe de la révision des concours menant à l'enseignement dans le primaire et le secondaire. "On" (les gens, les politiques, la presse …) nous a souvent reproché le côté "compliqué" de nos explications à propos d'une réforme en tous points scandaleuse et catastrophique. Bref, on a eu du mal sur la question précise de la masterisation à faire comprendre à l'opinion en quoi cette réforme était réellement dangereuse. Ce soir, j'ai trouvé la solution à tous nos problèmes. J'ai trouvé l'explication avec un grand "E" qu'il nous aurait fallu être capables de produire et de relayer auprès des mêmes médias, gens, politiques de tous bords. Tout tient en 3 lignes, dans le chapô d'un article du Figaro :
- "Les postes d'enseignants supprimés seront essentiellement ceux de jeunes fonctionnaires stagiaires grâce à une importante réforme en cours sur la formation des professeurs des écoles, collèges et lycées."
La suite est à l'avenant :
- "En dépit de ses 60,85 milliards, un chiffre qui progresse légèrement
par rapport à l'an dernier (59,91 milliards en 2009), le ministère de
l'Éducation nationale perd 16.000 postes d'enseignants dans le projet
de budget 2010, soit près de la moitié des postes supprimés en 2010
dans la fonction publique. Sur la lancée des années précédentes, les
coupes d'emplois s'accélèrent: 11.200 postes avaient été supprimés au
budget 2008 et 13.500 au budget 2009."
Très franchement, j'ai découvert cet article dans mon agrégateur (lecteur RSS) et en le parcourant simplement "formatté" (c'est à dire sans l'habillage du site d'origine), je me suis dit "tiens, l'Humanité couvre la rentrée des facs, alors même que se tenait aujourd'hui à Paris 8 la 12ème réunion de la Coordination Nationale des Universités"." Sauf que non. J'étais bel et bien entrain de parcourir un article du Figaro.
Et encore, je n'étais pas au bout de mes surprises. Je vous ai gardé le meilleur pour la fin (et pourtant l'article est court) :
- "Dès la première année d'application de la réforme, à la rentrée 2010,
les étudiants qui auront réussi le concours d'enseignant ne seront plus
affectés en IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres),
mais directement en fonction, devant des classes, ce qui permettra
d'économiser des milliers de postes de fonctionnaires stagiaires."
Traduction : "(…) les étudiants qui auront réussi le concours d'enseignant ne seront plus
affectés en IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) là où ils apprenaient – certes imparfaitement – à exercer leur métier devant une classe en bénéficiant du soutien (toujours perfectible) d'un certain nombre d'enseignants référents,
mais directement en fonction, devant des classes, sans aucune autre formation "pratique" que quelques heures de "stage non-rémunéré" en remplacement de l'année auparavant effectuée (et rémunérée) en présence d'une seule classe ce qui permettra
d'économiser des milliers de postes de fonctionnaires stagiaires.
et de faire assurer des centaines d'heures de cours – y compris et surtout dans des zones d'éducations sensibles – par des étudiants qui auront eu un concours théorique de niveau master accompagné de quelques heures de stage."
Nul doute que le fait de balancer ces gens là directement "devant des classes", va instantanément les transformer en pédagogues hors-pair. Et je ne vous parle même pas de la joie des parents qui verront débarquer dans la classe de CP de leur petite dernière, ou comme prof principal de leur aîné en classe de 6ème, ces "profs-étudiants-stagiaires-sans-stage", payés au lance-pierre, les mêmes parents (je parle ici de ceux de la middle-class) trouvant déjà toujours quelque chose à redire si le prof de leur bambin n'a pas derrière lui 15 ans de pédagogie différenciée et 12 ans de stage en zone classée sensible. Quant au mal-être de ces nouveaux enseignants, catapultés directement de la chaire universitaire à la fosse aux -gentils- lions d'une classe de 37 préados bourrés d'hormones, ben …
Allez, précipitez-vous pour lire ce court mais absolument remarquable article de l'Humanité du Figaro. Ah oui, l'allais oublier, l'article se termine ainsi :
- "De son côté, l'enseignement supérieur et la recherche font partie,
cette année encore, des vainqueurs des arbitrages. Comme la ministre
Valérie Pécresse s'y était engagée, aucun poste ne sera supprimé en
2010."
Comment ? Je ne vous l'avais pas précisé ? Pardonnez-moi, je rectifie illico. Les futurs "profs-étudiants-stagiaires-sans-stage", ceux qui demain vont apprendre à lire à votre enfant, ceux qui demain vont enseigner la trigonométrie à 30 préadolescents (dont le vôtre) chauffés à blanc et tous passionnés par les mathématiques, ces futurs "profs-étudiants-stagiaires-sans-stage" seront formés dans des masters, donc dans des universités, donc par des enseignants-chercheurs de l'université, donc par ceux chez qui "Comme la ministre
Valérie Pécresse s'y était engagée, aucun poste ne sera supprimé en
2010." C'est bon là ou je vous fais un dessin ? … Au mieux c'est un admirable parangon de communication politique illustrant le vieil adage du "diviser pour mieux régner", au pire c'est un nouveau coup de jarnac doublé d'un gigantesque foutage de gueule. Dans tous les cas c'est la fin annoncée d'un modèle républicain de l'apprentissage qui avait certes bien des défauts, mais pas celui de prendre avec chacun de nos enfants, le risque d'institutionnaliser, de systématiser et de banaliser l'incompétence et l'impréparation.
Naturellement quand dans 4 ou 5 ans on mesurera concrètement l'étendue des dégâts, il y a longtemps qu'une majorité de potentiels-futurs enseignants se seront définitivement détournés ce que que l'on transforme jour après jour en une énimème voie de garage pour aller faire des piges dans des boîtes privées de bachotage et "d'aide au devoirs", boîtes dans lesquelles ils seront tout aussi mal-payés et considérés, mais n'auront pas au moins a se retrouver, du jour au lendemain, devant ce que les didacticiens appellent un "groupe-classe", devant ce que les pédagogues considèrent comme "un problème potentiel mais recouvrant heureusement une infinité de solutions", devant ce que l'actuelle politique sarkozyste de l'enseignement public semble considérer uniquement comme "un truc qui coûte très cher et qui pourrait coûter beaucoup moins cher".
En vérité je vous le dis, quand sur un sujet donné, plus rien ne permet de distinguer un article du Figaro d'un éditorial de l'Humanité, c'est qu'on va tous se retrouver demain avec un très très très gros problème.
Merci beaucoup pour cet article. J’avoue que jusqu’à ce jour je n’avais pas eu (ni pris) le temps de me pencher sur la question qui me paraissait complexe et peu compréhensible. L’article et vos explications dans le texte ont le mérite d’aller à l’essentiel.
Merci pour ce billet efficace et plein d’humour.
Je me suis permise de reprendre votre article sur notre blog, en espérant que ça ne pose pas de problèmes.
Pour vos lecteurs qui voudraient aller plus loin:
http://iufmparis.canalblog.com./
IUFM Paris> Aucun problème pour la reprise de cet article. Bon courage dans votre lutte.
La masterisation : ce sont les boîtes privées qui en parlent le mieux !
C’est pourtant simple de repérer une réforme de droite calamiteuse. Rappelez-vous. Plutôt que les éditos du journal l’Humanité, il suffit de lire un article factuel du Figaro. L’un des effets collatéraux de la masterisation va être l’éclosion de boîtes…