Faut-il enseigner l’intelligence économique à des étudiants en filière "métiers du livre et du patrimoine" d’IUT ?
Si je vous pose la question, c’est parce que j’enseigne précisément à des étudiants d’IUT (Bac +2), qui ont choisi une filière "métiers du livre et du patrimoine".
Et aussi parce que j’apprends dans l’un des derniers compte-rendus du Conseil de direction de mon IUT, que l’ADIUT (Assemblée des Directeurs d’IUT) : "a passé un accord avec le MEDEF, l’ADIUT et d’autres instances au sujet de l’introduction de sensibilisation de l’intelligence économique dans le cursus des IUT.
Elle prévoit 10 heures pour les IUT et 25 heures pour les licences professionnelles."
Et enfin parce que lorsque j’étais encore aspirant Maître de conférences à Toulouse, je suis longtemps intervenu dans un master 2 en Intelligence économique pour lequel j’ai même un temps (assez court) fait fonction de "directeur des études".
De ce préalable, vous déduirez que je connais un peu l’enseignement en IUT et également celui de l’intelligence économique. Et que, m’exprimant de ce double horizon, je croie que la réponse à la question posée dans le titre de ce billet est … Non. Doublement non. D’abord parce que cela ne rendra pas service à l’intelligence économique, et ensuite et surtout parce que cela ne rendra pas service non plus aux étudiants.
Les IUT, indépendamment de l’orientation de leurs filières et de leurs "départements" (génie biologique, Communication, Journalisme, Gestion des entreprises, etc, etc …) sont des filières technologiques professionnalisantes. A ce titre :
- préparer les étudiants à leur entrée dans le monde de l’entreprise. OUI.
- décrire aux étudiants le fonctionnement de l’entreprise. OUI.
- aider les étudiants à affiner un projet professionnel via les techniques de rédaction de CV, les techniques d’entretien, OUI.
- les aider à décrypter le bassin d’emploi dans lequel ils se trouvent et dégager les horizons professionnels des métiers auxquels ils aspirent, OUI.
La condition sine qua non de l’ensemble de ces "oui" étant, comme c’est actuellement le cas (dans mon IUT tout au moins) que les étudiants puissent, sur ces questions, bénéficier des regards croisés de "professionnels" ET "d’enseignants-chercheurs". Mais.
Mais sur recommandation du MEDEF, et avec l’aval des directeurs d’IUT (qui à force d’être obligés de "ménager" ces partenaires financiers, vont finir, au train ou vont les choses, par "faire des ménages" pour leur compte) leur imposer, à tous, indépendamment de leur filière thématique, une formation à l’intelligence économique pour en faire de bons petits soldats prêts à vaillamment défendre les intérêts nationaux d’un patriotisme économique à la française, et ben NON. Il y a une différence entre travailler "en partenariat", "en synergie" avec les entreprises, et travailler "aux ordres" du Medef, qui, sauf erreur de ma part, n’a pas (encore …) compétence à gérer les programmes d’enseignement universitaires.
S’il en fallait d’autres donc, voilà une autre raison pour laquelle la journée de demain est importante.
L’important, en dehors de toute polémique, est de savoir si les étudiant des métiers du livre vont avoir ou non dans leur métier à êxcercer des tâches liées à l’intelligence économique…pour ma part, je me suis aperçu que j’en faisais dans mon métier de documentaliste sans le savoir et qu’il est donc utile d’y être formé…de plus, j’espère qu’il n’y a pas que le MEDEF qui participe à l’élaboration des programmes mais également des représentants des salariés du métier du livre, qui sont les premiers à bien connaître leur travail…
Bonjour Olivier,
Pouvez-vous nous préciser le périmètre des métiers du livre et du patrimoine ?
Mon avis dépendra de votre réponse ! Cependant, tout dépend aussi de ce en quoi consistera l’enseignement à l’IE.
Ainsi, lorsque j’étais étudiant en métiers des bibliothèques et de la documentation à Rennes 2, communément et à tort appelé Métiers du Livre (d’ailleurs grand salut à Alexandre Serres s’il lit ce commentaire), nous avions un petit module IE. Une intervenante de la CRCI Bretagne l’a assuré. Et je ne le regrette pas : ça n’a pas été un cours magistral ennuyeux, mais après une présentation de la notion, on a eu une séance de travail comme elle en faisait en entreprise.
Par groupes, nous avons identifié des risques, des menaces, des atouts, des opportunités, des solutions pour les différents services de notre entreprise fictive. En sortant de là, je me suis dit :
– que l’IE était un sacré stimulateur intellectuel (
peut-êtrecertainement pas totalement novateur, mais efficace)– que l’information, c’est super important
– qu’en mobilisant les salariés (ressource ENORME), l’entreprise a tout à y gagner
– …
En terme de contenu, la petite formation (quelques heures) reçue était vraiment intéressante, et mériterait d’être reproduite presque partout ailleurs. Mais pour cela, il ne serait pas forcément utile que cela porte nécessairement le nom d’IE.
Bien cordialement,
Rémy & Mael> Je précise le fonds de ma pensée : ce qui m’inquiète dans ce genre de “signal faible” c’est le risque de voir débarquer dans toute filière d’IUT des gens qui, sous couvert d’enseigner l’intelligence économique, vont se servir de ce créneau pour au mieux, faire passer une vision totalement partiale de l’IE, et au pire, préparer les bons petits soldats dont le parle dans mon billet. La réalité (la mienne en tout cas) est que les programmes nationaux des IUT comportent un nombre déjà impressionnant de modules consacrés à préparer l’instertion professionnelle des futurs diplômés, ce qui est une bonne chose. En plus de cela, les mêmes programmes nationaux comportent également des enseignements de veille documentaire, technique et stratégique. Etant moi-même en charge de ces enseignements, je peux vous assurer que les étudiants sortent de ces cours avec des outils et des méthodes qui (s’ils le souhaitent, quand le temps sera venu, et quand cela aura une raison d’être dans le cadre de la filière qu’ils auront choisi) leur auront donné des bases d’une culture de la recherche, de l’accès et de l’analyse de l’information. Apprendre l’intelligence économique “stricto sensu” ne sera donc pas pour eux une grande découverte et ils pourront aborder cette “technique” avec le recul nécessaire. Ce qui me semble assez dommagrable dans cet accord avec le Medef, c’est que l’on ne sait pas grand chose de celles et ceux qui seront chargés de venir dispenser la bonne parole de l’IE dans nos IUT auprès de nos étudiants. Et que connaissant un peu le système, il y a fort à parier qu’au milieu de quelques intervenants de qualité, l’immense majorité de celles et ceux qui le feront n’aient de l’IE qu’une vision dogmatique, guerrière ou barbouzarde qu’ils auront été puiser dans le reflet qu’en renvoie nos grands journaux ainsi que dans l’affichage de certaines écoles d’IE (dont la fameuse école de “guerre économique”, par ailleurs excellente mais qui ne concerne qu’une petite centaine de postes stratégiques sur le marché de l’emploi).
Et puis il y a aussi le fait que ces 10 heures là pourraient être consacrées à tout autre chose de bien plus nécessaire pour nos étudiants qui en certains domaines, affichent quelques cruels manques.
Dit autrement encore, faudrait peut-être songer à former les collègues à l’IE avant de songer à sensibiliser les étudiants. A moins que l’on ne souhaite pas que ce soit des collègues qui forment les étudiants …
J’ai fait un IUT documentation ou j’ai eu également des cours d’IE vers la fin de la deuxième année de cursus puis en licence professionnelle. La moitié des élèves de ma promotion voulaient après ce module travailler dans le domaine de l’Intelligence Economique et certains recherchent encore après 5 ans…;et ce ne sont pas les seuls.. mais que peuvent-ils faire contre des élèves sortant de l’EGE ou de masters en IE ?
Je trouve qu’il est utile de donner une vision de l’ensemble général de ce qu’est l’IE mais il est plus important pour un enseignement professionnel d’avoir des cours pratiques de veille stratégique et d’initiation aux outils de recherche et de traitement. La grande force des IUT est de permettre aux etudiants d’être rapidement opérationnels et si trop de modules théoriques viennent s’y ajouter, on ne s’en sort plus….et vous avez raison il y a également d’autres modules qui devraient être enseignés de prime abord.
Cependant, Mael a raison dans le sens ou le fait d’entendre de nombreux intervenants en IE permettent aux élèves de comprendre que l’information est importante et stratégique. Je sais dans mon cas que c’est avec ces nombreuses interventions que j’ai pu clairement comprendre l’enjeu.
Stéphanie> “comprendre que l’information estimportante et stratégique”. Vous avez parfaitement raison. C’est ce qui est au coeur de tous mes cours à partir du moment ou ceux-ci (qu’ils soient des CM, des TP ou des TD) s’intéressent de près ou de loin à l’information. Pour le reste, comme vous, et pour reprendre un vocabulaire cher aux gens du marketing, je pense que l’IE pour des étudiants d’IUT, ce n’est tout simplement pas la bonne “cible”.
Bonsoir,
Je serais preneur d’une réponse à ma 1ère question.
Par ailleurs, il faut bien reconnaître que parler de l’opportunité d’enseigner l’IE dépend du contenu de l’ensemble du programme (que je ne connais pas…).
Olivier, je comprends vos remarques et votre inquiétude. Dans un contexte d’IUT, un enseignant “universitaire” me semble plus approprié. Et il me semble bien que vous fassiez/feriez l’affaire 😉
Pour revenir un temps sur mon parcours : je n’ai pas passé un DUT mais un DEUST (il y a des points communs, mais aussi des différences) ; l’enseignement en IE est intervenu en 2ème année, je l’ai très apprécié, notamment pour orienter la suite de mes études (tout en me laissant le temps de la réflexion en Licence de Lettres mention Documentation (bonjour M. Fondin !).
Conclusion provisoire (on peut toujours changer d’avis) à la question de votre billet : oui
– si les intervenants sont “respectables”
– si cela apporte quelquechose aux étudiants par rapport à l’ensemble des enseignements
Bien cordialement,
Mael
Mael> “Périmètre métiers du livre et du patrimoine” : métiers de l’édition (PAO, secrétariat d’édition), de la librairie (ben … libraire), des bibliothèques (agent de catégories diverses) et du patrimoine (organismes culturels, archives départementales et municipales …) 🙂
Merci de la précision. Du coup, et même si l’IE peut s’appliquer à tous les domaines, je suis un peu moins convaincu de l’enjeu stratégique…
Désolé, je suis plutôt de gauche, plutôt pro-gréviste, plutôt anti-sarko et pourtant (si je puis dire), je suis las de ces attaques tellement faciles contre les organisations représentatives, fussent-elles patronales. Au-delà des poncifs, je demande un peu de discernement, y compris à l’égard du Medef. Syndicales OU patronales, toutes ces organisations sont utiles, or elles sont aujourd’hui terriblement en crise et ça n’est pas bon pour notre société. Certes, vous pouvez jouer au sniper sur ce type d’organisation, au nom d’une menace dont je ne vois pas bien la portée (concrètement, quel danger menace les IUT de travailler aux ordres du Medef?? je ne comprends pas…), mais bon… pour moi, un billet pour rien, ou pas grand chose.