Les universités françaises peuvent elles se payer leurs mécènes ?

On parle beaucoup actuellement de la réforme de Valérie Pêcheresse, egalement nommée "LRU" (Loi sur la Recherche et l’Université). Cette loi comporte plusieurs volets, tous discutables. L’un d’entre eux, déjà débattu et porté sur la place publique, est celui de la gouvernance des universités et plus précisément du recrutement de ceux qui jusqu’ici en constituaient le coeur : les enseignants chercheurs. L’autre volet, c’est celui qui mobilise aujourd’hui les étudiants et demain (peut-être) les enseignants et personnels de l’université. Je vais essayer d’être court et simple sans être caricatural (sinon, vous me le direz, je vous fais confiance). La clé de l’autonomie souhaitée par le gouvernement pour les universités est double : la gouvernance d’une part (vous vous débrouillez, vous recrutez qui vous voulez au prix que vous voulez), la loi de finance (les sous) d’autre part. La notion même d’autonomie des universités n’est pas nouvelle. Elle est dans les tuyaux depuis depuis quasiment 10 ans. Le temps d’entrer dans les mentalités et dans les pratiques. Mais aujourd’hui les choses s’accélèrent. L’idée avouée du gouvernement est de calquer le mode de fonctionnement anglo-saxon : les universités y sont financées quasi-exclusivement par le biais de fondations et de donateurs privés (anciens élèves, entreprises, etc …). Il est d’ailleurs déjà quelques organismes et grandes écoles qui fonctionnent en France sur ce modèle, de manière hybride, parfois avouée, parfois dissimulée. Des dons, des fondations … pourquoi pas.  Je ne fais pas sur cette question de blocage idéologique (même si je pense qu’il y aura nécessairement des pans entiers de la recherche actuelle qui en pâtiront – notamment dans les si peu rentables SHS, vu que c’est bien connu, l’histoire ça ne sert à rien, la géographie non plus, et je ne vous parle même pas de la littérature ou du latin …) mais passons, l’université et la recherche financée par des dons de mécènes privés, par des fondations, je maintiens, "pourquoi pas". Oui mais.
Mais il est évident que quelques universités, quelques grandes écoles, quelques grands organismes vont tirer aisément ou très aisément leur épingle du jeu. Oh, il y aura bien quelques coupes sombres, mais on s’y retrouvera. Et puis l’un dans l’autre, si la recherche sur ceci n’intéresse pas les donateurs, on fera un peu plus de recherche sur cela, et ça passera.
Oui mais, et les autres ?
Parce que le tissu industriel des toutes les régions françaises dans lesquelles sont implantées des universités n’est pas le même. Et puis parce que les donateurs privés, si on ne doit compter que sur eux pour monter le budget de l’université, on ne va pas pouvoir compter que sur les 1500 euros de la boucherie Sanzos à Poitiers. Le risque, très clairement, c’est que le tissu universitaire français ne se réduise comme une peau de chagrin. Seules resteront les universités suffisamment importantes et attractives et malines pour attirer tous ces mécènes et donateurs. Les autres seront simplement, à moyen terme rayées de la carte ou tellement inexistantes et de seconde zone, que leurs diplômes ne vaudront plus rien. Mais je l’entends déjà l’autre
– "Et alors ? Il y aura moins d’universités. Pourquoi ? Je vais vous le dire. Parce que je préfère 40 universités d’excellence plutôt que 80 universités moyennes."
Ah. Bien sûr. L’excellence. L’excellence est certes un critère. Un but. L’objectif de tout enseignant-chercheur quand il dispense ses cours ou quand il est dans son laboratoire. Oui mais … que devient l’excellence si, dans l’autre plateau de la balance, on met le droit pour tous et sur tout le territoire d’accéder au savoir, à la formation, à la culture. A la connaissance. Quand j’entre dans ma salle de cours, je ne me pose pas la question de l’excellence. J’essaie de faire le meilleur cours possible. Le meilleur cours possible pour le public que j’ai en face de moi. Qu’il s’agisse d’étudiants en première année d’IUT, d’étudiants de Master 2 ou de professionnels en formation continue. J’ai parfois l’impression d’y arriver. Et parfois, la mayonnaise ne prend pas. Quand j’entre dans mon laboratoire, quand je m’attèle à mon établi de recherche, je ne me pose pas la question de l’excellence. J’essaie seulement d’écrire le meilleur article possible. De poser les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses. J’ai parfois l’impression d’y arriver. Et parfois pas.
"Ah oui mais ça c’est parce que justement l’excellence n’est pas valorisée. Il n’est pas normal qu’un excellent enseignant, qu’un excellent chercher soit payé pareil qu’un autre moins excellent que lui. Cela s’appelle le management. Regardez les primes à l’intéressement dans les entreprises. L’émulation que cela provoque. Les meilleurs vendeurs, les meilleurs ouvriers sont r-é-c-o-m-p-e-ns-é-s."
Peut-être. Dans l’entreprise. Mais la communauté éducative n’est pas une entreprise. Pas plus que ne l’est la communauté scientifique. Le lien éducatif, ce qui passe (ou ne passe pas) entre un enseignant et ses étudiants, ce qui passe (ou pas) entre un chercheur et son objet de recherche ne nécessite aucun management entrepreunarial. Si l’on me reconnaît comme "plus méritant", et si sur cette présomption on décide de me verser un meilleur salaire, je ne me poserai pas davantage la question de l’excellence en entrant dans ma salle de classe, dans mon amphi, ou en rédigant mon article.
Je n’ai pas choisi ce métier pour être "le meilleur ouvrier du mois".
Ce soir Rachida Dati a annoncé la suppression de 18 tribunaux dans l’Ouest de la France. Voilà, à mon avis, le seul fondement de la loi LRU. Il était impossible au gouvernement d’envoyer Valérie Pêcheresse en tournée de province pour annoncer la suppression de 5 facs par-ci et de 4 autres par-là. Alors on a bâti une loi. Une loi qui en s’appuyant sur le marché (parce que oui Jean-Michel, tu as raison, c’est aussi un marché), saura trier le bon grain de l’ivraie. L’excellence de la médiocrité. Le diplôme de la monnaie. C’est la politique de l’excellence. Et de la peau de chagrin.
Une carte : celle des tribunaux, celle des universités. Un territoire : celui de la justice, de la connaissance, du droit à la formation et au savoir, pour tous. La carte de demain n’est déjà plus le territoire d’aujourd’hui. 

14 commentaires pour “Les universités françaises peuvent elles se payer leurs mécènes ?

  1. Dans ma propre université, au Québec, j’avais fait un travail dans le cadre d’un cours de maîtrise il y a quelques années auprès de sa fondation. Il était ressorti qu’avec le temps, l’argent était de plus en plus ciblé : alors que dans les années 80, près de 80% de l’argent donné à la fondation était “pour l’université”, vingt ans plus tard, près de 90% de cet argent était donné “pour telle chaire”, “pour tel groupe de recherche”.
    Évidemment, l’argent donné part tout le temps pour les mêmes causes (recherche contre le cancer, recherche contre le SIDA), mais – est-ce étonnant – jamais aux chaires de philosophie ou de sociologie …
    C’est ce qui se passera en France, si les université sont chanceuses, car il est aussi discutable que ces fondations arrivent à récupérer beaucoup d’argent : ce qui est valable dans une culture (les fondations chez les anglo-saxons) l’est beaucoup moins dans une autre … Et il risque d’être difficile pour les universités en France de récupérer de l’argent, d’autant plus qu’elles se retrouveront alors en compétition avec d’autres organismes caritatifs (resto du coeur, la ligue, etc.), qui ont une bonne expérience du “marché du don”, et qui ne vont surement pas apprécier de voir tant de “nouveaux compétiteurs”.

  2. Je partage vos réticences vis-à-vis du financement de l’université par des fonds privés. De fait, une des manières d’éviter l’effet pervers de la discrimination par chair des dons est de regrouper au sein de mêmes pôles universitaires et d’interdire aux fondations de recevoir de l’argent destiné à une seule chaire/discipline/labo. Voeux pieux, je sais, mais bon, on peut tojours rêver.
    Sur les sciences humaines et sociales qui ne “servent à rien”, je sais que cette croyance est répandue dans le monde du privé, seulement, sans sociologues, commen anticiper l’évolution des habitants de tel ou tel quartier, qui a une influence sur le type de bâtiment attendu ? Comment prévoir des usages pour les TIC ?
    Enfin, sur le passage de 80 à 40 pôles universitaires, pourquoi pas, à condition que ce regroupement soit accompagné d’un vrai financement massif pour héberger TOUS les étudiants en faisant la demande, ainsi que d’un financement de la vie des étudiants (pension de vie étudiante d’un montant supérieur au RMI). Ceci afin de compenser le fait que de nombreux étudiants seront forcés de déménager / quitter leur domicile familial pour suivre leurs études. Encore un voeu pieux mais tant qu’à promouvoir à longueur de temps le modèle scandinave, autant en prendre un des meilleurs aspects.

  3. Guillaume> Vous avez raison de pointer le facteur culturel. Toutes proportions gardées, c’est un peu le synfrôme que l’on vu en France se répandre pour l’installation des pôles de compétitivité. Il s’agissait dans le discours des politiques et des décideurs de “doter la France de pôles semblables aux infrastructures de la SIlicon Valley”. C’était oublier que la Silicon valley n’est pas fapîte que d’infrastructures, et que l’innovation ne se “décrète” pas. Les facteurs culturels et sociologiques jouent à plein. Je crains comme vous que l’on ne fasse lla même erreur en voulant à toute force évacuer les facteurs culturels qui font la spécificité des universités françaises.
    Par ailleurs, je suis preneur de votre mémoire si vous en disposez sous une forme numérique.
    Alex> Oui, le lien de mon billet “sur ce modèle” pointe vers le site de SciencePo dédié à la collecte des fonds privés.
    Antoine> Mes voeux pieux accompagnent les votres 🙂

  4. Olivier> Désolé, je me suis mal exprimé: il ne s’agissait que d’un travail dans le cadre d’un séminaire, et non de l’objet de mon mémoire, qui portait quand à lui sur la création de savoirs dans les communautés des logiciels libres.
    Les pôles de compétitivité sont un sujet qui m’intéressent, mais je ne sais pas quel est leur état en France. J’imagine a priori que certains doivent fonctionner (probablement pour des raisons historiques), alors que d’autres non. Avez-vous des références concernant ce sujet ?

  5. Rodriguez> Oui, j’en ai déjà parlé plus bas sur ce blog (http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2007/11/le-modle-amrica.html)
    Je vous invite d’ailleurs à lire en même temps les commentaires de Jean-Michel Salaun sur cette question.
    Guillaume> Pas grave. Pour les pôles de compétitivité il y a un bref article dans le libé d’aujourd’hui (http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/290469.FR.php) qui dit bien le relatif malaise de cette initiative.

  6. Et si au contraire, les petites universités arrivait à se démarquer par un plus grand dynamisme, une plus grande créativité retrouvée par une meilleure autonomie. Il est peut être plus simple d’y mettre en place tout ce qu’offre les NTIC aujourd’hui…La créativité peut ensuite attirer du mécénat…Les pôles universitaires sont déjà concurrents entre eux et comme il est écrit, certains sont déjà “subventionnés” par le privé. De plus, le débat sur l’autonomie remonte non à 10 ans mais à 20 ans (1986 “devaquet, si tu savais…”)je le sais j’y étais ! : la question est :comment faire progresser l’université aujourd’hui alors que les fonds publics ne suffisent peut être plus et que l’on ne veut pas augmenter les droits d’accession ( ce qui serait alors tomber dans le shéma anglo saxon et la pire des sélections) ?

  7. Rémy> La question de votre dernier paragraphe est la bonne. Si j’atais un dangereux gauchiste, je serai tenté de vous répondre … qu’il faut augmenter les fonds publics 🙂 Ceci étant, des réponses existent (qui ne sont pas celles fournies par gouvernement), comme par exemple jouer sur le taux d’encadrement (nbre d’enseignants / étudiants) et sur le taux d’équipement (enseignant aussi bien en “grande” faculté qu’en “petit” IUT, il est très clair que l’on gagnerait à s’inspirer du modèle des IUT : profs plus “présents”, plus “nombreux”, plus “impliqués”, groupes “classe” plus gérables, équipements informatiques à peu près décents, etc, etc.)
    Pour votre premier paragraphe en revanche, et même si l’intention est louable, elle me semble un peu naïve. Avec les nouveaux modes de recrutement des enseignants chercheurs, les petites facs vont se vider, puisque les “grosses” fac pourront significativement mieux payer leurs enseignants-chercheurs. On aura donc bien un système universitaire à deux vitesses. Et l’avantage ne sera – hélas – pas du côté des petites facs 🙁

  8. Bien que je n’y soit pas non plus idéologiquement fermé, je retombe sur les même réticences que vous. Ne pourrait-on pas contourner le problème en mettant en place un système de péréquation nationale?
    70% des dons restent acquis à la fac bénéificaire du don et 30% récoltés dans un fond national, et attribués selon des méthodes assurant un rééquilibrage au profit de celles qui sont basées sur un territoire moins propice…

  9. c’est intéressant.
    Devaquet au piquet, j’y étais aussi.
    1995 j’y étais aussi.
    j’ai été confrontée a l’excellence et au devoir d’excellence, cette sacrée comptétivité qui installe la loi du talion et la précarisation de la personne, sa déchéance suivant la logique marchande et la roulette russe.
    oK.
    au lieu de se lamenter: considérons l’Histoire avec un grand H. aucun sens? ca ne sert a rien?
    ok.
    1936. Je n’y étais pas. Cela dit ca a donné “le feu” d’henri Barbusse (j’ai pas pas eu le temps, j’ai préféré belle du seigneur de Cohen), ca donné GUernica ca donné pas mal mais bon pour qu’il ait eu 1936 puis le FMI etc puis Maastricht puis …il a fallu qu’il y ait
    1917. La poudriere des Balkans l’assassinat du Tsar Nicholas l’humiliation de la Nation allemande qui avait été formée suivant de le traité de l’éducation d’un FICHTE, que Schopenhauer dénonce….dans le MONDE, répresentation volonté,
    il y a Henri Gouhier avec le théatre et l’existence.
    il y a la dialectique d’Un sartre et son engagement politique.
    il y a l’étranger d’un Camus et le Mythe de sysiphe….
    avant avant….il y a un enfant qui essaie de comprendre de voir de concevoir de recevoir de presenter de representer de croire de se battre de vivre et puis il ya un adulte qui dit certains ne mesurent absolument pas ce qu’il disent.
    vous commencez en anglais je vous renvoie au traitement en sciences humaines et en sociologie d’un Hamlet.
    Je vous renvoie aussi a understanding medias
    a l’étude d’un Mc Luhan : Hot and cool. the Pop oracle himself….
    quant on émet une critique quelle qu’elle soit il voit avoir un angle de vue qui donne une correcte representation du projet politique du projet social et du dialogue de sourds dans laquelle l’enfant, je dis bien l’enfant évolue. que cela s’appuie sur des comédies de situations ou de langage des malentendus l’horreur “NAcht und Nebel ” De resnais etc etc….et sur le théatre de l’absurde ou l’érotisme politique sordide d’un sade…il s’agit juste de prendre l’angle de vue approprié.

  10. Oui, c’est le modèle universitaire scandinave qu’il faut copier : sélection, gratuité ; des moyens sans luxe.
    Désolé de mettre un CV détaillé, c’est juste pour argumenter que c’est du vécu.
    PS : les pôles de compétitivité sont intéressants mais parfois noyautés par des grosses boites qui de facto font subventionner leur R&D par l’Etat. Les PC essayent de promouvoir les PME dans les pôles mais les grosses boites jouent des coudes…
    Marc
    MC HDR
    responsable d’équipe de recherche en informatique
    Membre de CS
    Qui a enseigné en université scandinave
    Qui a travaillé en R&D d’entreprise
    Qui fait des projets ANR

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