La bataille du ciel.
C'est la bataille du ciel. Ou plus exactement la bataille du cloud. Après d'interminables années de vraies-fausses rumeurs et d'annonces en reports, Google vient donc de lancer Google Drive, sa plateforme de stockage en ligne de nos contenus, documents, vidéos, mails, etc. L'info avait commencé à circuler sur les réseaux depuis une grosse semaine, et puis, 24 avril 2012, "Introducing Google Drive … yes, really."
Google Drive c'est donc 5 gigas de stockage gratuit et jusqu'à 1 TB pour 50$ par mois, des applications (apps) pour Iphone et Androïd, un moteur de recherche pour s'y retrouver dans tout ce bazar.
Et maintenant relisez la 3ème phrase de ce billet : "Google vient donc de lancer Google Drive, sa plateforme de stockage en ligne de nos contenus, documents, vidéos, mails, etc." Et oui, ça ne vous fait ni chaud ni froid vu que vous stockez déjà en ligne vos documents, vidéos, mails, etc. sur Google ou ailleurs (Dropbox par exemple).
Alors que vaut cette annonce ? Que vaut réellement ce service ? Que valent 5 gigas de stockage gratuit à l'heure des téra et autres péta ou exaflops ? Qui, dans ses usages quotidiens du web peut s'enorgueillir d'avoir réussi à saturer les innombrables espaces de stockage gratuits déjà à sa disposition ?
Pour comprendre les enjeux de ce lancement, petit retour vers le futur.
Le 21 Avril 2005 je publie dans le journal Le Monde une tribune intitulée : "Le jour où notre disque dur aura disparu" (vous pouvez la relire ici).
En 2006, Amazon lance le premier ancêtre du Cloud, "Amazon Web Service" qui va démocratiser le Cloud Computing et faire naître un marché.
Février (ou Mars) 2006, lors du Google Analyst Day, Google laisse (délibérément ?) fuiter un powerpoint dans lequel est pour la 1ère fois officiellement évoqué le projet Google Drive. On peut encore retrouver ce powerpoint ici et l'info est à lire dans les commentaires de la diapositive n°19 (on en reparle plus loin dans ce billet). A l'époque, le web s'enflamme comme à son habitude, et pendant les 2 années qui vont suivre, on verra réapparaître le mystérieux projet Google Drive sous divers noms, le plus fun étant incontestablement "platypus" (autre nom de l'ornithorynque), avec un dernier sursaut de rumeurs en 2009.
De 2006 à nos jours, d'innombrables services de stockage et de synchronisation dans les nuages se lancent (Dropbox, Soundcloud pour n'en citer que deux que j'utilise)
Le 6 Juin 2011, Steve Jobs sort Apple du virage engagé depuis longtemps avec le lancement d'Icloud qui est, à l'instar de l'actuel Google Drive, autant un service de stockage "dans les nuages" qu'un service de synchronisation applicative multi-terminaux.
2011-2012, l'état français comprend la nécessité stratégique de se doter d'une architecture de Cloud "nationale" (à l'image de ce que peut représenter RENATER pour la connexion à internet) mais s'empêtre dans différents conflits financiers entre les différents opérateurs privés censés la supporter et la déployer (voir notamment l'article de Numerama et celui de Challenges).
On l'aura compris, le Cloud Computing est un marché d'avenir, ce qui, au yeux des firmes le développant, suffit à gommer ses pourtant nombreux problèmes : la dernière tribune de Richard Stallman sur le sujet est éclairante. Et une fois de plus, la clé résidera dans la lecture attentive des CGU de ces différents services et dans le suivi tout aussi attentif de l'évolution desdites CGU.
Donc, pourquoi lancer aujourd'hui Google Drive ?
Pour plusieurs raisons.
Lisibilité
D'abord, fidèlement à la ligne de Larry Page depuis qu'il a repris les rennes de CEO de la société, pour unifier et rendre plus lisible l'offre de service de Google. On pouvait jusqu'ici déjà stocker en ligne et partager (ou pas) ses mails, documents, vidéos, etc. On continuera désormais de la faire mais via une entité unique : Google Drive.
Concurrence des écosystèmes.
Ensuite naturellement pour s'affirmer sur le marché face à la puissance de feu d'Amazon (rappelons que derrière l'offre gratuite grand public de Google Drive, se décline également une offre commerciale dédiés aux petites et moyennes entreprises), et face à l'écosystème d'Apple (avec ICloud). Ensuite pour, dans la logique d'un internet des silos déjà largement décrite sur ce site (ici ou là par exemple), éliminer la concurrence du top 50 des "petits clou(d)s", dont Dropbox et les autres. Non pas tant parce qu'elles sont en tant que telles des sociétés concurrentes à Google, mais parce qu'elles empêchent Google de réaliser son rêve, c'est à dire de rassembler effectivement sur ses serveurs, à portée de son index numérique (enfin digital) et thaumatuge, l'ensemble des informations disponibles sur la planète. On souscrira donc d'autant plus facilement à la si légitime colère de l'un des fondateurs de l'un de ces services ; "Quand les éléphants attaquent" :
"there would be a dramatic race to the bottom for the price of consumer online storage, and it would be impossible to maintain a competitive offering when elephants like Google, Microsoft and Apple could effectively subsidize their offerings. Because of the potential for user lock-in, each of these players had deep incentive to provide consumers with a drive in the sky, and with storage costs dropping precipitously, we saw a future where storage would be infinite and free. That just doesn’t make for a great startup business."
Le jour où notre disque dur A disparu.
Quel est donc le véritable enjeu qui se joue derrière des services comme Google Drive. La réponse est écrite depuis 2006. Dans la diapositive numéro 19 du diaporama présenté lors du Google Analyst Day.
On peut y lire ceci :
"Theme 2: Store 100% of User Data
With infinite storage, we can house all user files, including: emails, web history, pictures, bookmarks, etc and make it accessible from anywhere (any device, any platform, etc).
We already have efforts in this direction in terms of GDrive, GDS, Lighthouse, but all of them face bandwidth and storage constraints today. For example: Firefox team is working on server side stored state but they want to store only URLs rather than complete web pages for storage reasons. This theme will help us make the client less important (thin client, thick server model) which suits our strength vis-a-vis Microsoft and is also of great value to the user.
As we move toward the "Store 100%" reality, the online copy of your data will become your Golden Copy and your local-machine copy serves more like a cache. An important implication of this theme is that we can make your online copy more secure than it would be on your own machine."
Rien à cacher ? Tout est dans le cache.
Une fois de plus, le numérique opère l'un de ces renversements de la charge de la preuve dont il est si friand et si coutumier. Je traduis le passage en gras ci-dessus :
"En nous rapprochant de la réalité d'un "stockage à 100%", la copie en ligne de vos données deviendra votre copie dorée et les copies sur vos machines locales feront davantage fonction de cache. L'une des implications importantes de ce changement est que nous devons rendre votre copie en ligne encore plus sûre que si elle était sur votre propre machine."
Ce que visent tous les acteurs du cloud, qu'ils soient fournisseurs de service ou opérateurs techniques (ou les 2 à la fois) est de l'ordre de la castration. Nous priver de la possession pleine et entière de nos copies, de nos documents, de nos oeuvres, de nos biens particuliers, comme parfois les mêmes ont déjà réussi à la faire dans le domaine de nos biens communs. Nous priver de la possibilité même de posséder une copie. Être les seuls détenteurs de l'accès à la copie. Plus qu'un oligopole, une nouvelle oligarchie.
Comme je l'avais déjà expliqué en détail dans ce billet :
"les contenus eux-mêmes ne sont plus que "de passage" sur les terminaux ou dans les applications en question. Lorsque l'on conjugue la puissance de feu des DRM (pour les biens culturels), et celle du SAAS (traitement effectué dans les nuages) pour l'essentiel des applications et services, on doit alors faire face à une révolution totalement inédite à l'échelle de l'humanité, ou qui nous renvoie à ses origines : l'impossibilité de copier, de recopier. Et donc de transmettre. De partager. Les contenus nous sont temporairement alloués (voir le modèle de l'allocation), un accès à ces contenus que nous avons pourtant "achetés" nous est temporairement alloué. Or les 1ères bibliothèques de l'humanité, l'ensemble des stratégies de construction et d'avancement des connaissances ont TOUJOURS reposé sur la possibilité de la copie. Une société qui s'acharne (juridiquement et politiquement) à ce point sur la possibilité même de la copie, un écosystème informationnel qui détourne à ce point les questions liées à l'appropriation individuelle, sont les symptômes d'une société qui se condamne à la régression, à l'uniformisation. Une société qui ne s'offre comme seule possibilité que celle d'un irréversible déclin. Il n'y a de culture que copiable, transformable, transportable, adaptable, reproductible. Les industries du copyright (voir ou revoir le second volet de cet excellent documentaire : "Steal this Film") sont déjà dans les nuages."
L'autre grand enjeu de la centralisation et/ou privatisation du Cloud
C'est celui du droit d'auteur (en particulier), du partage de la connaissance (en général), et surtout, surtout, de la neutralité de l'ensemble du réseau. En témoigne (par exemple) le sursaut de l'une des souris (Dropbox) face à la charge des éléphants, qui comme le soulignant un certain Calimaq que Twitter, pourrait faire de chacun d'entre nous des mini-megaupload en puissance.
Il est avéré et sans grand débat possible que d'ici peu, l'essentiel de la diffusion et de la consommation de l'ensemble des industries culturelles sera d'abord dématérialisée. Dès lors, plusieurs scénarions sont possibles.
Première hypothèse : cette dématérialisation (cloud) est aux mains de quelques "grands" acteurs de l'internet (Google, Amazon et Apple semblent bien placés) et, dès lors, eux seuls fixeront et imposeront des règles aux auteurs, éditeurs et autres ayants-droits. Des règles, qui en fonction du tiroir-caisse de chacun, pourront être franchement favorables aux usagers … ou pas.
Deuxième hypothèse : les états disposent d'architectures nationales de Cloud dédiées et y introduisent un peu de régulation … ou beaucoup trop de régulation.
Troisième hypothèse (qui dépend de la seconde ET de la première) : des sociétés tierces peuvent survivre et permettre un éparpillement des données et des points de connexion nécessaire à la survie du réseau dans son essentialité (c'est à dire qu'il continue d'être un rhizome plutôt qu'une autoroute à péage et de respecter, peu ou prou, les 6 principes de l'hypertexte).
Dans ce faisceau d'hypothèses, sera de toute façon décisive la volonté du politique et de la société civile de peser de manière déterminante en faveur du maintien d'un internet libre et ouvert. Tim Berners Lee ne cesse de le répéter (l'une de ses dernières tribunes ici).
Pris dans le ruban.
Le logo officiel du service Google Drive est un ruban de Möbius, une curiosité topologique, un ruban à une seule face et à un seul bord que les mathématiciens appellent une surface "non-orientable". Soit le retour et l'avènement de l'âge de la souscription, toujours en passe de devenir celui de la soumission. Faisons en sorte que nos Golden Copy, nos "copies dorées" soient toujours à portée d'une appropriation choisie. Car la distance d'un contenu "à portée d'un clic" a tendance à paradoxalement se rallonger jusqu'à tendre vers l'infini, rendant illusoire la perspective même d'un itinéraire retour.
<Update du lendemain> A lire sur le même sujet, l'excellent billet de Fred Cavazza : "Comment le Cloud s'installe dans notre quotidien." et tant que vous y êtes, du même, "Du SoLoMo au ToDaClo" (SoLoMo = Social Local Mobile & ToDaClo = Touch Data Cloud). Et dans un tout autre genre, ce billet de Korben qui applique les règles que je donne à mes étudiants, celles du "principe de la vraie vie" : "Oh mon dieu ! Cette société américaine est propriétaire de mes données" </Update du lendemain>
La “dernière tribune” de Stallmann aura bientôt 4 ans. A t-elle pris des rides ?
Google est en passe de devenir notre miroir numérique complet, puisqu’au travers de toutes ses applications gratuites nous communiquons, échangeons photos et vidéos, documents et reflexions, recherchons des informations…
Ce Google Drive est le service de stockage en ligne ultime. Si je reprends ta comparaison avec l’anneau de MOB/Moëbius (RIP), je repense à Tolkien :
“Un Anneau pour les gouverner tous. Un Anneau pour les trouver. Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier.”
Le Cloud de Google pourrait bien réunir tous les fragments de nos personnalités… Sauvegardons-nous !
Achetons des DD et des salles blanches par milliers …. (?)
D’où l’intérêt de la freedombox et de owncloud – http://owncloud.org .
Il y en a d’autres, mais un cloud privé et libre, c’est possible. Tout effort en vue de démocratiser (techniquement) ce type d’outil est bienvenu.
j’ai ouvert un compte google drive pour voir.
C’est nullissime.
Impossible de sauvegarder un dossier et tous ses sous-dossiers par un simple drag and drop.
hubiC de OVH est bcp + cool ( Cocorico ! )
et sans faire de pub OVH Hubic c’est 25 Giga gratuit !!!
D’un côté les révolutionnaires adorent le principe et voient le futur sur un petit « nuage » : un avenir mutualisé et sans cesse connecté à la Toile, échangeant des informations. De l’autre, les réfractaires qui le redoutent et trouvent de nombreux inconvénients pour leur argumentaire d’anti-cloud.
Pour l’avoir essayé je confirme que (pour l’instant ?) Google Drive n’a que peu, voire pas, d’intérêt. Peut-être vont-il améliorer leur service mais je reste sur Hubic moi aussi !