10 ans. Presque 10 ans après son lancement, Facebook cherche encore ses mots. 10 ans à ne permettre "que" de trouver, via son moteur de recherche, des noms d'utilisateurs, qu'ils soient individus, groupes ou pages.
Et désormais la possibilité offerte de chercher "dans le texte" des posts et autres statuts. Dans l'immense fatrasie des dizaines de milliards de statuts de son milliard et demi de membres.
Le réseau à la recherche d'un moteur.
Le "moteur de recherche" de Facebook est à lui seul une longue histoire. Pendant l'essentiel de ces 10 années d'existence, à côté de sa barre de recherche permettant de trouver donc, amis, groupes et pages, Facebook s'appuya sur la technologie de recherche de Bing (Microsoft) pour suppléer son indigence à fouiller au coeur même de ses mots. Un accord conclu en Février 2010 avec le moteur de Microsoft, alors que Facebook ne comptait "que" 400 millions de membres, faisait de celui-ci son moteur de recherche exclusif. Exclusif ou plutôt "plaliatif" car l'objet était de renvoyer vers les résultats "organiques" dudit Bing lorsqu'aucun profil ou page ne correspondait à la requête. Il ne s'agissait donc pas de "chercher dans Facebook" mais plutôt de "proposer des résultats de recherche de Bing quand Facebook ne remontait aucun résultat."
Puis récemment (Janvier 2013) il déploya les fonctionnalités du GraphSearch : potentialités infinies, infiniment prometteuses, infiniment flippantes, mais, concrètement, des résultats encore relativement indigents.
Aujourd'hui donc nous avons ceci :
Et le résultat suivant, une fois notre recherche tapée.
Le moteur de recherche reste pour l'instant relativement indigent : aucune possibilité de recherche avancée, aucune prise en compte d'opérateurs booléens, aucune reconnaissance de recherche sur expression exacte. On se croirait au début des années 80. Nul doute que des améliorations viendront, mais pour l'instant ça frise le ridicule.
<Mise à jour> Je précise ici qu'il n'est bien sûr possible que de chercher dans le texte des status de "nos amis" et des pages "publiques" </mise à jour>
Chacun cherche son chat.
La clé de Facebook, l'une des clés en tout cas, est sa capacité à s'appuyer sur la préférence des utilisateurs pour les interactions de bas niveau, et à instrumentaliser cette préférence pour en faire un ressort de viralité. En termes savants, on appelle ça la "Kakonomie". Concrètement, ça ressemble à des gens qui vous annoncent avoir mangé une pizza ou être à la mer, qui photographient leur repas (ou leurs pieds face à la mer), ou à des vidéos de chat.
Les 3 exemples donnés par Facebook sur le site dédié au lancement de cette nouvelle fonctionnalité sont à eux seuls suffisamment éloquents. On va enfin pouvoir "chercher" / "retrouver" :
- quand Caroline s'est mariée (et qu'elle – ou ses amis – ont mentionné le mot "mariée" dans son/leurs statut)
- la recette de cookie de Lisa (là faudra taper … "cookie")
- les mentions du "ice buckett challenge" (houlala que c'est à la fois intéressant et pertinent et difficile)
Wow. Ou plutôt WTF.
La nature "kakonomique" de l'essentiel des contenus postés sur Facebook rend, de fait, le moteur de recherche parfaitement … kakonomique.
Notez d'ailleurs, que le visionnage de la vidéo des "trucs les plus commentés" sur Facebook cette année (le "2014 Year In Review") indique, sans surprise, qu'il s'agit :
- du "ice buckett challenge"
- de la coupe du monde de foot (et de la blessure de Neymar)
- de la mort de Robin Williams
Et du côté des contenus les plus "partagés" :
- musique : Happy de Pharell Williams
- vidéos : discours d'Emma Watson en défense de la cause des femmes
- images : jeune noir tombant dans les bras d'un policier noir aux USA (#fergusson)
Bref, que des trucs sur lesquels tout le monde est d'accord. Re-wow. Re-WTF. Bref, kakonomie.
La stratégie du vide.
Facebook est face à différents challenges auxquels permet de répondre ce lancement d'une fonctionnalité de recherche.
Primo : Facebook ne vit – littéralement – que de sa capacité à multiplier les "like" et les interactions – même de bas niveau – pour entretenir la gangue attentionnelle dans laquelle nous pataugeons avec allégresse. Or ces interactions, mesurables au travers de métriques comme le taux d'engagement, sont globalement en stagnation ou en recul. Le "search" est un moyen mis à la disposition de l'utilisateur pour "sur-interagir" faiblement, c'est à dire pour qu'il cesse de se contenter de ne rien faire (et de regarder les infos défilant sur son mur), ou pour qu'il commence à chercher autre chose que des gens qu'il connaît déjà. Toute une partie de l'algorithmie de Facebook et de son Edgerank est d'ailleurs entièrement dédiée au recyclage de "vieux" contenus de "vieux" amis, remis à la une de notre mur pour maintenir un roulement attentionnel suffisant à nous hébéter et à nous maintenir captif d'une impression de "nouveauté".
Deuxio : Facebook doit faire face à une nouvelle concurrence : non pas celle de ceux qui s'annoncent comme ses concurrents (Ello, dernier challenger en date, peine toujours à franchir le seuil fatidique du millier d'utilisateurs actifs …), mais une concurrence générationnelle qui voit son coeur de cible vieillir et déserter le site au profit d'autres environnements plus féconds en interactions. Là encore le "search" doit permettre d'amorcer un désir de requêtage fondé sur la mise en exergue de notre voyeurisme pathologique, vieille antienne de Facebook.
Tertio : A la différence des moteurs de recherche, Facebook est un site qui fonctionne et repose sur un régime d'internalités vérrouillées. Depuis la mise en place du bouton Like sur des sites externes qui constitua son cheval de Troie (circa 2010), Facebook n'a de cesse que de rapatrier et de vérouiller en son sein le maximum des externalités "likées" (articles, news, vidéos, etc.) pour proposer à l'utilisateur une expérience de navigation et une sollicitation attentionnelle toujours plus "captives". Une stratégie qui commence à être payante, notamment pour les vidéos, que les propriétaires de pages ou de comptes sont de plus en plus nombreux à publier "nativement" dans Facebook plutôt que d'effectuer un simple relai depuis YouTube. Il devient dès lors vital que ces contenus "natifs" puissent être rendus accessibles en mode "search", là encore pour préserver les internalités de consultation.
Quarto : bien qu'ayant, depuis 2011, considérablement étendu le domaine de sa "statusphère", la mayonnaise n'a jamais réellement pris et l'essentiel des statuts sont toujours d'une extrême concision. Quand les gens souhaitent profiter d'espaces textuels étendus, ils utilisent les plateformes qui, du point de vue de l'usage, sont pour eux bien plus appropriées qu'un réseau social (en gros les blogs). En lançant sa possibilité de chercher dans le texte même des posts, Facebook espère probablement légitimer a posteriori la possibilité offerte de profiter de l'espace d'un "post" pour rédiger des statuts de l'équivalent de plusieurs pages : en gros "vous ne rédigiez pas de longs status puisqu'il n'était pas possible de les retrouver – ou de "chercher dedans-, s'il est désormais possible de le faire, peut-être serez-vous incité à profiter de l'espace textuel offert."
Un trou dans le mur.
Facebook ne disposait d'ici que d'un mur. Devant lequel nous étions en contemplation passive. Des contenus affichés par l'algorithme. Pas de requête autre que l'appel du profil d'un "ami". Pas de requête, pas de désir, seulement l'entretien onaniste d'une pulsion scopique médiée par la technique de l'Edgerank. A peine une requête par jour et par personne, soit, à la louche, 45 milliards de requêtes par mois (et uniquement donc sur des "profils"), contre 100 milliards de requêtes par mois pour Google (qui compte 1 milliard de visiteurs uniques / mois sur l'ensemble de ses sites, soit à la louche, 100 requêtes par jour et par personne) L'éternel problème du trou contre le mur :
"La zone de saisie des moteurs de recherche (sublimée jusqu'à l'épure chez Google) est un marqueur d'entraînement. Une boîte de Pandore. Une promesse qui repose sur l'absence. Une fente freudienne porteuse de tous les fantasmes. Une fois activée, une fois la requête déposée, la matière noire attentionnelle peut être librement façonnée au bon vouloir du moteur et de ses annonceurs. La zone de saisie de Facebook est superfétatoire. La zone d'activité de Facebook est son mur. Un mur qui fonctionne comme un marqueur de "suivisme", un blocage contemplatif. Le trou éveille une curiosité. Le mur implique un balayage des inscriptions déjà déposées. Dans sa course à la monétisation Facebook a raté une étape : celle du désir, celle de la requête, celle du désir de requête. Sans requêtes, la pompe à phynance publicitaire ressemble à un pétard mouillé."
Moralité.
Ce que signe l'arrivée du "moteur de recherche de posts" dans Facebook, c'est tout simplement la fin de la recherche comme extension, la fin du "search" comme découverte, la fin du reqêtage comme possibilité ouverte de navigations possibles. Tout cela est tristement dans l'air du temps. Des écosystèmes informationnels toujours plus "fermés", le règne des applications dédiées à une tâche, à une routine attentionnelle aliénante à force d'être répétitive, un niveau d'enfermement supplémentaire. Une focale attentionnelle qui norme les usages et les contraints. Des contenus produits nativement qui n'ont plus vocation à s'affranchir de l'espace et à circuler sur "les internets" mais à l'intérieur d'un écosystème dédié. Un vase clos. Un jardin fermé.
Sources additionnelles :
Le site dédié de Facebook. Et le communiqué de presse.
Et cet article du Time Magazine qui présente ce lancement comme une tentative de détrôner Google du marché du "serach" sur mobile.
Sur l’enfermement « petit » détail: sur la dernière MAJ de l’appli androïd Facebook, les pages externes à la plateforme ne s’ouvrent plus dans un navigateur… mais dans Facebook!
Avec certes la possibilité de choisir son navigateur habituel (à quand un navigateur Facebook?), mais il me semble que l’idée générale est là: un filtrage « homophilique » et une belle bulle afin de mieux tracer les usages…
Bonjour Olivier,
A noter, car ce n’est pas tout à fait clair dans l’article, excellent comme à l’accoutumée, que de surcroît ce moteur ne permet de rechercher que dans ses propres statuts ou ceux de ses amis (qui nous sont autorisés de consulter).
Un moteur de recherche même pas « public » qui pousse encore davantage, comme vous le soulignez, au confinement.
Concernant le taux d’engagement des pages, il semble progresser (mais avec plus de posts sponsorisés/payants) tandis que le reach, lui, reste en chute libre.