La précarité tue. Témoignages d’étudiant(e)s. 2

Je publie un second témoignage de l'un de mes étudiants suite à l'immolation par le feu d'un étudiant de 22 ans. Le premier témoignage est ici. Et mon article suite à cette immolation est là

Avant cela je suis tombé ce matin sur une tribune du Monde qui appelle rien moins qu'à mettre en place un système de "crédit public" pour lutter contre la misère étudiante. Cette tribune est notamment signée par l'économiste Robert Gary-Bobo, dont les thèses sont très influentes dans la macronie. C'est lui en effet qui, nous l'avions appris lors des #Macronleaks, avait notamment tenté de faire passer l'idée d'une augmentation massive des frais d'inscription (jusqu'à près de 8000 euros par an avec, disait-il, "un taux de subvention publique d'au moins 50%" … ce qui laisse quand même 4000 euros par an à charge des familles en plus de tout le reste …), lui également qui défendait donc la mise en place d'un crédit étudiant. Le même qui avec un cynisme écrivait

"Comment faire passer la pilule de la hausse des droits d’inscription ? Commencer bien sûr par le crédit : ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Dans le monde rêvé de Robert Gary-Bobo, je cite toujours son propre texte

"Au moment de remplir son dossier d’inscription, l’étudiant(e) choisit une banque qui lui prête le montant de ses droits d’inscription au moins (c’est un droit à la première inscription en fac) et dans le même mouvement, il (elle) signe un chèque à l’ordre de son université, du montant des droits, tiré sur la banque choisie pour le prêt."

Robert Gary-Bobo défendait également les "Tenure Track" qu'Emmanuel Macron a remis en avant récemment lors de son pathétique discours des 80 ans du CNRS. Bref, si vous voulez avoir une idée du vrai plan de route de la Macronie pour l'enseignement supérieur, il est ici.

Des frais d'inscription à 8000 euros par an, un package "tu t'inscris à la fac, tu contractes un crédit". Le nouveau monde.

Nouveau monde de connards mais nouveau monde quand même. 

Pendant ce temps. Dans la vraie vie des étudiants. 

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J'espère qu'il n'est pas trop tard pour parler de cet étudiant qui s'est immolé et sinon tant pis j'ai envie de dire ce que je pense parce que vous m'en donnez la possibilité. 

Cet étudiant a lancé un véritable appel au secours auquel sont restés sourds les politiciens de ce pays. C'est s^pur qu'avec leur 15 000 euros, ou plus, de salaire tous les mois ils ne peuvent pas comprendre ce qu'on appelle la précarité scolaire. "Et puis ces parents à ce jeune, ils ne pouvaient pas l'aider ?" diront les mauvaises langues. Et bien peut-être que non. Parce que peut-être qu'eux mêmes ne vivent pas dans le luxe et doivent se débrouiller pour vivre avec leurs petits SMICs. Enfin aussi, est-ce qu'ils ont bien travaillé à l'école ? Est-ce qu'ils ont fait des études pour ne pas être smicards ? Comme pensent certaines personnes qui ont le pouvoir dans ce pays. Mais mesdames et messieurs les politiques, arrêtez de juger depuis votre monticule d'argent et descendez un peu dans la boue, parmi le peuple qui se bat, chaque jour, pour arriver à vivre, pour que ses enfants puissent aller à l'école et ne reproduisent pas ces conditions misérables dans lesquelles eux-mêmes vivent. 

Parce que OUI l'université publique est quasiment gratuite maius pour y aller à l'université il faut bien souvent un appartement. Et un appartement c'est un loyer et des charges à payer tous les mois, sans compter les frais de transport, qu'ils soient en voiture, train ou bus, restent excessifs pour un étudiant. Parce qu'un étudiant doit faire des choix comme celui de travailler à côté de ses études, et être en difficulté voir les rater ou bien, ne pas travailler pensant ces études mais seulement pendant les vacances estivales et devoir se débrouiller pour survivre le reste de l'année. Parce que seulement deux salaires d'été pour vivre pendant douze mois c'est la galère. Entre tous les frais personnels, ceux imposés par la fac comme les sorties culturelles, les déplacements dans le centre-ville pour faire des ateliers, les déplacements à Nantes pour telle ou telle raison, qui certes, ne sont pas énormes mais restent l'équivalent d'un plein de gasoil ou d'un mois de courses pour nous. 

Moi je ne peux pas dire que je suis dans la précarité scolaire mais ça c'est seulement parce que je vis chez mon copain, à ses frais. Parce que sans cela je ferai partie de ces jeunes qui ne peuvent pas boucler leurs fins de mois sans être dans le rouge ou dans le stress de ne pas avoir assez d'argent pour aller jusqu'à Juillet prochain. J'ai la chance d'avoir des bourses et je ne veux pas être sévère mais celles-ci ne sont pas tellement bien calculées : si j'avais un appart elles ne paieraient même pas le loyer (en encore nous sommes à La Roche sur Yon, pas à Lyon ou à Nantes !). Donc comment j'aurais fait pour débourser chaque mois entre 50 et 150 euros de mon propre compte juste pour le loyer ? Et puis si j'ai le droit d'avoir des bourses c'est parce que mes parents n'ont pas de salaires faramineux, ce qui veut aussi dire qu'ils ne peuvent pas m'aider financièrement et que je ne peux compter que sur moi-même. Bien sûr j'ai mon copain mais en plus de m'héberger gratuitement il ne va quand même pas payer mes études ou les frais qui en découlent !

Alors voilà, mesdames et messieurs les dirigeants de ce pays, ouvrez un peu les yeux sur la réalité de vos habitants et agisseaz pour que ce genre de choses n'arrivent plus jamais ! Parce que les étudiants d'aujourd'hui sont les travailleurs de demain !

3 commentaires pour “La précarité tue. Témoignages d’étudiant(e)s. 2

  1. Olivier, du fond du cœur, merci de l’ouvrir comme tu le fais régulièrement.
    Et merci de donner l’occasion à tes étudiants de s’exprimer.

  2. commentaire precarité etudiante
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    https://www.affordance.info/mon_weblog/2019/11/precarite-tue-temoignages-etudiantes-.html
    Bonjour, j’aimerai réagir à cet article qui m’a touché malgré le désaccord profond que j’ai sur certains points et en particulier sur la conclusion et les mesures demandées au gouvernement.
    Pour commencer je vais raconter un peu ma vie, j’ai été étudiant à luniversité de 2012 à 2015, avec une bourse de 460 euros par mois , et un loyer de 300 euros environ, studio d’abord dans le privé, puis au crous car le privé était beaucoup trop cher. Pendant la première année où j’ai logé dans le privé, mes parent m’envoyaient 240 euros pour payer une partie du loyer qui était à l’époque de 570 euros. Je n’avais pas trouvé de place au crous la première année alors j’avais dû prendre un logement privé. Puis la deuxième année ma demande a été fructueuse et j’ai pu avoir un logement au crous mais mes parents me versaient du coup moins d’argent.
    Pour résumer, après avoir payé le loyer et le pass navigo (transports) pendant cette période, il me restait environ 150 euros par mois pour payer ma nourriture et mon abonnement téléphonique.
    Ce qui m’a marqué dans ce témoignage, c’est que contrairement à la personne qui parle du monde étudiant, je n’en garde pas un souvenir trauamtisant du tout. Au contraire, ça a été une annéée durant laquelle j’ai pu me consacrer à m’isoler pour réfléchir et méditer, ce que j’avais du mal à faire au domicil familial. J’avais pour seule occupation quelques livres, ma gameboy advance, mon ordinateur et un téléphone portable qui m’a couté 35 euros sur leboncoin. Mes seules sorties consistaient à aller visiter ma famille, dont je me suis volontairement éloigné au début pour pouvoir m’isoler
    Pas de cinéma, pas de soirées, aucune sortie, pas de restaurant, nourriture ultra basique, aucun achat de vêtements excepté lors de cadeaux de la famille, pas de télévision, et comme je n’aimai pas cuisiner je vous laisse imaginer la qualité culinaire de mes plats), une connexion carastrophique ( le freewifi du voisin qui coupait tout le temps) me permetait de m’évader et de lire des blogs comme celui-ci pour découvrir d’autres manières de penser que la mienne. Je sortais de mon studio pour aller à la fac et je rentrais.. Et je n’en suis absolument pas triste, je n’en veux à personne pour cette situation, et j’ai croisé dans ma vie des gens qui n’en veulent à personne alors que leur situation est pire que la mienne.
    J’en arrive donc à l’objet de mon message, et mon opinion : Je pense qu’en France, on souffre moins du manque de moyens que du manque de sens à la vie. Pourquoi je suis parti faire mes études si loin du domicil familial ? En ce qui me concerne j’aurai pu aller à la fac de ma ville, mais j’ai volontairement voulu quitter le domicile familial, ce n’est pas le cas de tout le monde j’en ai bien conscience. Mais je veux dire par là que si les étudiants se retrouvent isolés, sans espoir d’un avenir radieux, c’est parce que leur définition d’avenir radieux est mauvais, et que que leur solitude est dûe au mode de vie individualiste que nous visons.
    L’étudiante qui a écrit ce post est logée chez son conjoint. C’est une forme de solidarité que j’encourage. Ca devrai même être la norme. Depuis que nous avons éclaté le noyau familial en plus d’avoir boulversé à peu près toutes les limites fixées par les sociétés traditionnelles que nous méprisons, notre seul horizon de vie est devenu une belle carrière dans un beau logement, avec de la nourriture de bonne qualité, et l’exigence de pouvoir compter sur un Etat qui nous doit tout. Nous nous sommes séparés de la dépendance familiale, de la vie en communauté, pour passer de la dépendance à l’Etat, dont nous attendons tout en payant des impôts. Ce fut je pense une grosse erreur dont nous payons les conséquences.
    Car une famille (en général) dans une société qui lui donne de l’importance (contrairement à la nôtre) n’apporte pas seulement un toit et à manger, elle apporte une chaleur humaine et du réconfort, une place dans la société. J’ai connu des gens au Liban qui n’avaient presque rien, même pas de toit fixe (une famille syrienne fuyant la guerre), ils étaient hébergés dans une pièce en béton brut en dessous de la mosquée, mais ils dégagaient une sérénité et une joie de vivre difficile à trouver ici.
    On va probablement m’accuser de faire des liens non pertinents et de parler de choses qui n’ont rien à voir entre elles, mais je persiste et je signe : le problème est multi-dimensionnel. Vous ne pouvez pas espérer résoudre durablement la crise morale de ce pays en continuant de demander de l’argent à un Etat qui n’est plus rien d’autre qu’une énorme machine sourde et déconnectée de la réalité. Notre pays comme d’autres sont enfermés dans un dogme étrange qui a surpassé en absurdité bien des religions dont on se moque à longueur de journée. On vénère tous quelque chose. Et on est frappé du malheur lorsque cette chose nous déçoit. Je suis persuadé que l’on peut souhaiter encore vivre tout en ayant à peine de quoi se nourrir et où loger, le malêtre profond que nous traversons vient souvent de nous même. Lorsque l’on cesse de se poser en victime, que l’on donne un sens plus noble que la poursuite de la réussite individuelle à sa vie, elle devient d’office plus agréable. Ce qui fait la force de cet Etat que vous insultez tant, c’est l’espoir que vous persistez à placer en lui alors que nous sommes tous responsables de la société dans laquelle on veut vivre. Placer vos espoirs en lui, c’est lui donner de la force.
    Je sais que ça peut être difficile à entendre et que ça va vous paraitre hautain mais je ne viens pas d’une autre planète, j’ai connu une situation similaire à celle que beaucoup décrivent comme “sous le seuil de pauvreté”, je suis né et j’ai vécu dans ce pays, j’ai fait à peu près la même scolarité que tout le monde, jai doublé ma première année deux fois avant de devoir quitter la fac, et même si ma situation est financièrement meilleure aujourd’hui je garde de très bon souvenirs de ma période étudiante et j’accepterai tout à fait de me retrouver à nouveau dans cette situation aujourd’hui.
    Le sujet n’est pas clos, il y a encore bien d’autres aspects à aborder que je ne peux pas aborder dans ce post déjà très long, aspects qui vont de l’économie à ce qu’on appelle l’égologie en passant par le rapport à la famille, au sacré, plus rien n’a de sens dans ce foutoir dopé aux illusions et aux plaisirs éphemères.
    L’idée à retenir de ce long message est que le plus gros malheur dans notre vie nest pas les épreuves que nous rencontrons mais la façon dont nous les vivons et les perçevont.
    Et enfin, je fini cet article en précisant que je suis musulman, et que le sens que j’ai trouvé à ma vie j’en remercie Dieu de me l’avoir donné. Je ne l’ai pas mentionné au début car beaucoup de monde se fie aux étiquettes et ne savent pas en réalité ce qu’est la foi, trop occupé à écouter les autres visions du monde uniquement de la bouche de quelques journalistes ou posts facebook, l’esprit absorbé par les séries, le compte en banque, les amourettes d’un soir, les soirées…
    Ce pays n’a pas besoin d’argent, il a besoin de sens.
    Cordialement,

  3. C’est intéressant, ce commentaire d’Adamsson. Je me permets d’intervenir pour des raisons similaires : j’ai également été étudiante précaire, boursière, pendant toutes mes études (soit huit ans pour moi, j’ai redoublé, repris mes études…).
    Je n’ai pas mal vécu la précarité en soi, car, par chance (si on peut dire ça), je viens d’une famille plutôt pauvre et j’avais déjà vécu des situations autrement plus difficiles que celles que j’ai vécue étudiante.
    En revanche, ce que j’ai mal vécu, c’est la différence d’efforts que j’ai dû fournir par rapport à des étudiants qui n’étaient pas dans une situation similaire à la mienne.
    D’une part, j’ai fait le choix de mes études en fonction de la facilité d’accès géographique. À l’époque, les études qui m’intéressaient ne pouvaient se faire qu’à Paris, et mes calculs m’avaient bien montré que cela n’allait pas être possible financièrement, même avec une bourse. Ce qui m’a poussée à faire des études dans un domaine qui ne m’intéressait pas vraiment. L’étudiant précaire n’a donc pas nécessairement l’embarras du choix, et selon moi cela rejoint la question du sens soulevée par Adamsson.
    D’autre part, j’ai travaillé pendant l’été, mais contrairement à beaucoup d’étudiants, j’ai fini par travailler pendant l’année universitaire.
    J’ai fini par faire deux petits boulots à mi-temps pendant ma troisième année de Licence et ma première année de Master, que j’ai dû abandonner parce que je n’en pouvais tout simplement plus. Il faut dire aussi que travailler sur les marchés et faire de l’assemblage de publicité, ce ne sont pas les jobs les plus tranquilles.
    L’étudiant précaire ne peut pas toujours se concentrer uniquement sur ses études.
    Enfin, c’est très bien d’être seul et de ne faire aucune sortie si l’on se sent bien, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. Je ne suis moi-même pas la personne la plus sociable, et je ne l’étais certainement pas plus lorsque j’étais étudiante. Mais je reconnais la nécessité de contact avec les autres étudiants et camarades ou collègues en dehors de l’espace scolaire, universitaire ou de travail.
    Or, c’est cet en-dehors où se découvrent le plus, selon moi en tout cas, les inégalités sociales et où les injonctions se font les plus fortes.
    Difficile de refuser trois, cinq ou dix fois des invitations à sortir voir un film, ou pire, écouter un opéra, quand bien même on adorerait cela. On finit par ne plus être invité du tout.
    Et étrangement, ces injonctions se font rarement dans le sens inverse, à moins d’avoir la chance de connaître des personnes proches de milieux sociaux moins thunés (comme ce fut mon cas) qui vous proposeront de vous rendre à des concerts ou des spectacles gratuits (enfin de l’opéra gratuit dans un bar, il n’y en a pas beaucoup).
    L’étudiant précaire a moins de vie sociale que les autres.
    Force est de constater que les inégalités qui frapperont un certain nombre d’entre nous à l’âge adulte, entrés dans la vie dite “active” (parce que bien sûr, lorsque l’on apprend à l’école ou à l’université, on est totalement inactif, c’est bien connu) commencent à se faire fortement ressentir à l’université, et la strates sociales se font de plus en plus nettes.
    Alors oui, je comprends entièrement la réaction de cet étudiant, tout aussi extrême qu’elle soit. La précarité étudiante n’est pas nouvelle, mais on refuse de faire quoi que ce soit. Et pour moi, il s’agit absolument de dire que l’État se doit de faire quelque chose, parce qu’il me semble que les inégalités sociales ne devraient pas exister dans de telles proportions dans un pays dit “riche”.
    Pour finir, il est clair que la proposition de proposer un crédit aux étudiants est, je vous prie de m’en excuser mais je me permets, une indicible connerie : d’une part cela découragerait une bonne partie des étudiants potentiellement brillants mais issus de milieux défavorisés de s’inscrire à l’université (car il est plus facile d’entrer à l’université que d’en sortir), et d’autre part cela créerait une situation de précarité bien plus importante à la sortie de l’université, et bien plus longue, comme c’est le cas aux États-Unis ou au Canada, ou la dette étudiante particulièrement importante.
    Je trouve horrible l’idée de vivre dès sa première job une situation d’endettement dont on sait qu’elle va durer au moins 10 ans. Si les étudiants n’ont pas eu de burn-out pendant leurs études, ils ont toutes les chances de se tuer au travail pour rembourser de toute façon – une de mes élèves au Canada faisait, en plus de son temps-plein, des extras le week-end pour rembourser son prêt étudiant.
    Nous vivons dans un pays où nous avons la chance incroyable de ne pas nous retrouver dans ce type de situation dès la sortie de l’université.
    Pourvu que ça dure.

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