Un million.
Il y a presque exactement 10 ans, en Septembre 2013 à Nice, un bijoutier tire dans le dos d’un homme qui avait tenté de le cambrioler alors que celui-ci est en train de s’enfuir. Le cambrioleur décède. La question de la « légitime défense » éclate comme question sociale. l’extrême-droite et tout ce que la France compte de relents poujadistes d’engouffre dans cette histoire dont les médias raffolent. Une page Facebook est créée « en soutien au bijoutier de Nice ». En quelques jours elle franchira, et c’est à l’époque inédit pour un tel fait divers, plus d’un million de likes. Ce type de soutien relève, je l’avais à l’époque décrit dans différentes analyses, à la fois d’une forme de slacktivisme (activisme de canapé) et de la capacité des plateformes à capitaliser sur des émotions, émotions parmi lesquelles l’injustice et la colère figurent parmi les plus virales.
Aujourd’hui et après la mort de Nahel, c’est donc une cagnotte en ligne sur la plateforme américaine GoFundMe, cagnotte lancée par le polémiste d’extrême-droite Jean Messiha « en soutien à la famille du policier de Nanterre » qui dépasse aujourd’hui le million d’euros. Un million d’euros en à peine 4 jours. Ce qui là aussi, dans l’histoire de ce type de faits divers, est totalement inédit. La cagnotte créée en soutien à la famille de Nahel, hébergée sur le service Leetchi, n’atteint de son côté « que » 230 000 euros.
Ce sont près de 44 000 donateurs qui ont abondé la cagnotte du policier, et 11 000 personnes celle de sa victime.
Cagnotte Leetchi en soutien de la maman de Nahel.
(capture d’écran 3 Juillet 2023 21h15)
Cagnotte GoFundMe en faveur de la famille du policier qui a tué Nahel.
(capture d’écran 3 Juillet 2023 à 21h15)
Je veux faire ici plusieurs remarques, mais aussi vous inviter à relire les billets que j’ai déjà consacré aux problèmes que posent ces différentes cagnottes dans des histoires et des faits sociaux que les plateformes sont trop heureuses de pouvoir réduire à un simple « Mercy Market » (marché de la pitié), forme singulière, instrumentale et le plus souvent dévoyée de ce que l’on appelait au milieu des années 1980 le « Charity Business ». Voici mes 3 articles déjà publiés à ce sujet :
- « Toucher le(s) fond(s)« . 12 Avril 2017.
- « Le financement participatif de la haine, et la place de Paypal » 8 Juin 2017.
- « La cagnotte Leetchi, le philosophe abruti, et la faillite de la démocratie« . 8 Janvier 2019
- « La cagnotte, les menottes et les bots« . 10 Janvier 2019
L’arrivée de ces cagnottes, la possibilité de les faire héberger sur des sites américains moins sourcilleux que ceux répondant au droit français et n’engageant pas, quelle que soit la cause, la réputation de banques françaises, pose une foule de « nouveaux » problèmes qui ne sauraient être réduits à la question de savoir s’il faut ou non les interdire.
Posons d’abord le fait que ces cagnottes ne sont plus du « slacktivisme » mais qu’elles actent une forme réelle (et numéraire) d’engagement. Si un million de personnes avaient « liké » la page de soutien au bijoutier de Nice, moins d’une centaine s’étaient retrouvé dans la rue pour la manifestation de soutien à celui-ci.
Les plus de 44 000 personnes qui ont donné à la cagnotte de soutien au policier qui a tiré sur Nahel relèvent d’une sociologie politique et idéologique dont tout porte à croire que l’essentiel des contributeurs partagent une même vision politique. Et quand je dis « tout », je signifie que l’émetteur de la cagnotte et les réseaux qu’il est capable de mobiliser permettent de ne pas hésiter trop longtemps sur la sociologie des donneurs et donneuses (pour rappel, Jean Messiha est un polémiste d’extrême-droite, soutien d’Eric Zemmour, « vedette » d’une émission populiste dont l’objet est de légitimer des discours allant de l’extrême-droite au néo-fascisme).
Il faut aussi noter que le succès de cette cagnotte tient, en plus des paramètres précédents, essentiellement à la capacité de mobilisation de l’extrême-droite en ligne, souvent bien mieux organisée que les autres camps politiques, et surtout avec une base électorale bien plus docile et encline à suivre les ordres. Sans oublier que pour plein de raisons là encore détaillées dans plusieurs de mes articles, les plateformes et leurs algorithmes penchent très très très nettement très très très à droite.
Le succès de la cagnotte populiste de Jean Messiha ne doit donc pas être mesuré en comparaison de celle venant au soutien de la famille de Nahel. Ce succès n’est « que » le fruit de l’alignement entre :
- un régime médiatique qui en a fait (de Jean Messiha, de sa cagnotte et de la polémique associée) une source d’audience facile,
- une sociologie politique de la docilité qui penche encore très à droite,
- et le régime propre de la circulation virale des contenus sur les plateformes de médias sociaux qui ajoute encore une prime au parti-pris idéologique de cette cagnotte.
Il faut bien se garder de tenter d’extrapoler d’autres conclusions politiques ou sociologiques sur le fait qu’une cagnotte de soutien à un policier prix en flagrant délit de meurtre récolte quatre fois plus de fonds et de soutiens que celle en soutien de la famille de sa victime.
« La justice ne se rend pas sur les réseaux sociaux. »
Ni sur les plateaux-télé. Ni dans les journaux. Etc. Telles sont les phrases, légitimes, que l’on entend souvent dans la bouche de différentes personnalités politiques de tous bords, à commencer par les différents garde des sceaux à chaque fois que l’une de ces sordides affaires éclate.
Mais la question fondamentale que posent ces cagnottes c’est celle, complexe mais essentielle en droit, de l’indemnisation des victimes. Celle des dommages et intérêts. Dans le cas de la cagnotte mise en place pour « la famille » du « policier de Nanterre » mais aussi et surtout essentiellement donc pour le policier lui-même tant qu’il n’est pas condamné en droit, l’indemnisation (mais de quoi d’ailleurs ? de quel type de préjudice ?) est déjà posée, arbitrée, obtenue. Elle n’obéit plus à aucune proportionnalité du « préjudice » (ce qui aurait éventuellement pu être le cas s’il avait déjà été jugé et condamné et donc privé de ses revenus, ou si elle n’avait eu pour vocation que de couvrir ses frais de justice par exemple). Elle n’est plus une affaire de dommages mais n’est qu’une affaire d’intérêts. Cette indemnisation ne sert que l’intérêt d’une mouvance politique d’extrême-droite et elle n’a plus rien à voir avec une quelconque rationalité de l’analyse d’un dommage.
La cagnotte en soutien de « la famille » de Nahel, et celle fois le terme est approprié car Nahel a été tué, s’inscrit dans un horizon différent ; d’abord elle relève principalement de ce « marché de la pitié » (mercy market) qui fait le succès de nombre d’actions de crowdfunding, et l’on peut s’en désoler en constatant qu’en effet la justice peine tant à indemniser les victimes à hauteur des préjudices subis. Et qu’une nouvelle fois les indemnités des populations pauvres et/ou racisées s’ajoutent à un contexte intersectionnel déjà bien lourd. Enfin elle est, par comparaison avec la machine médiatique et politique qui sous-tend la cagnotte de Messiha et de l’extrême-droite, une autre forme de double peine. Au sens plein et littéral de la peine.
L’arrivée de ces cagnottes comme un halo désormais indissociable de tout action judiciaire médiatisée, rend l’exercice plein de la justice d’une complexité encore plus délicate qu’il ne l’était déjà sans elles. Elle achève d’ôter le sens qui restait encore à la question de l’indemnisation des victimes au titre de leurs dommages et intérêts. Elles n’entendent comme dommage que ce qui est en capacité de susciter l’intérêt.
S’il y a plusieurs drames dans cette affaire, il n’y a qu’un seul mort, et qu’une seule victime. Il est dommage que dans ce champ si trouble de la condamnation et – plus rarement – de la réparation médiatique, jamais ne prime entièrement l’intérêt seul de la victime.
Voyez d’ailleurs pour vous en convaincre que la plupart des articles (presse, radio, télé) revenant sur l’opposition entre ces deux cagnottes mentionnent toujours très explicitement soit le lien vers celle de Jean Messiha soit les éléments permettant d’y accéder aisément en termes de référencement (la plateforme GoFUndMe, le titre de la cagnotte, le nom de Jean Messiha) alors que les mêmes articles font souvent silence de ces mêmes éléments ou du lien direct permettant d’accéder à celle de soutien à la famille de Nahel.
Le problème de ces cagnottes en ligne dans le cadre d’affaire judiciaires n’est pas tant leur cadre légal (qui peut et doit toujours être interrogé). Le problème de ces cagnottes c’est ce qu’elles disent de la rupture notre contrat social qui fait de l’indemnisation d’un crime, une variable économique comme une autre ; une variable sensible à tout ce que l’activité des travailleurs judiciaires et le corpus de notre droit s’efforcent de mettre de côté tant ils savent que la prise en compte de tels critères ont peu à voir avec le fait de rendre la justice mais tout à voir avec la possibilité offerte à chacun de se faire justice.
Ce qui crève l’écran et ce dont on crève en le voyant, ce n’est pas le million d’euros promis à un policier qui a tué un jeune homme de 17 ans à bout portant en dehors de toute forme de légitime défense (pour autant qu’on puisse à ce jour l’apprécier) ; ce qui crève l’écran et ce dont on crève, c’est la boursouflure millionaire d’une extrême droite qui administre sa justice médiatique indemnitaire au mépris de toute forme de droit et au service d’un unique agenda de la violence et de l’embrasement.
Ce qui crève l’écran monsieur, c’est que votre haine de la droite vous pousse à mentir pour coller le plus possible à vos thèse d’extrême gauche qui donnent la nausée : vous mentez : la cagnotte n’est pas pour le policier, mais pour sa femme et son enfant, parce qu’ils n’ont plus de quoi se nourrir…
Vous n’êtes pas enseignant chercheur, vous êtes enseignant menteur… honte à votre parti pris dans tous vos articles, la réalité vous sautera aux yeux très rapidement et vous en souffrirez beaucoup de ce décalage de votre discours de gauchiste et la réalité parfois bien cruelle et dure…