L’éditeur, l’encyclopédiste et le moteur.
Bertelsmann vient de sortir une version imprimée de la Wikipédia. Et Techcrunch ReadWriteWeb pose la bonne question : "pourquoi ?" Probablement pour ce que l’on appelle un "coup" d’édition. De quoi faire parler de soi. Pour le reste, il vous en coûtera 19.95 Euros pour 992 pages (en allemand donc). Un euro sur chaque vente sera reversé à la fondation Wikimedia. 19.95 euros pour vous. Un euro pour la fondation. Probablement une douzaine d’euros de marge pour l’éditeur. Le plus intéressant dans cette affaire, le plus vertigineux aussi, c’est que lorsque l’on clique sur l’image de Wikipedia sur le site de Bertelsmann, on se trouve propulsé … dans l’interface de Google Book Search. Etonnante mise en abyme : plusieurs millions de pages numériques librement accessibles et consultables d’un côté dans Wikipédia. 992 pages papier de l’autre pour presque 20 euros. Et un aperçu de quelques centaines de pages de l’ouvrage papier (je n’ai pas compté combien de pages étaient effectivement disponibles dans Google Book Search …) gratuitement consultables dans le moteur.
Je résume : un moteur de recherche me permet de consulter gratuitement une partie d’un livre payant, lequel livre est en fait un extrait payant d’un corpus encyclopédique gratuit beaucoup plus large et par ailleurs consultable gratuitement sans passer par les extraits du moteur de recherche gratuit ou l’extrait papier payant. Une aspirine ?
<Update suite au commentaire de Michel> C’est n’est effectivement pas un "extrait imprimé" mais carrément un lexique – par ailleurs entièrement téléchargeable – reprenant les 20.000 entrées les plus lues dans la Wikipédia allemande. Concernant la question des auteurs, je vous renvoie à l’analyse d’Hervé Le Crosnier déjà signalée ici mais noyée dans mon billet de rentrée. </Update>
<Update toujours> Voir aussi la synthèse proposée par Jean-Michel Salaün. </Update>
Excellent résumé 😉
Bertelsmann, un coup d’édition pour faire parler d’eux ? Je n’y crois pas. Ces gens là savent où ils mettent les pieds et pourquoi, avec ou sans Aspirine. Ils connaissent le marché suffisamment bien pour ne pas perdre de l’argent. Attendons plutôt la suite, le résultat – autrement dit, le succès ou l’échec commercial de cette publication. Pour Bertelsmann, c’est la seule chose qui compte.
Joachim> Le fait de « ne pas perdre de l’argent » entre bien dans ma définition du « coup d’édition » 🙂
Je pense que cette impression de la WIkipédia se vendra bien : à la fois auprès des wikipédiens allemands (pour des raisons principalement « sentimentales ») et auprès des sceptiques ou des « anti-wikipédia » pour pouvoir en souligner les lacunes. Bref, et c’est bien cela qui est probablement visé derrière ce coup éditorial, tout le monde sera intéressé par cette encyclopédie universelle à 20 euros en un volume 😉
Quelle diffusion, quelle part de pilon, quelles motivations d’achat, quelle marge pour l’éditeur ??? … Autant de questions intéressantes qui ne concernent pas … les auteurs. Ceux sans qui cet objet n’existerait pas.
Sait-on comment Bertelsmann rétribue les auteurs ? A priori, les recettes qui ne vont pas dans la poche de l’éditeur allemand vont dans la poche de la fondation Wikimedia.
Et comme Wikimedia n’est pas un employeur d’auteurs, les auteurs ne sont pas rétribués. Quels auteurs ? Le collectif mosaïque qui a produit cet objet figé, délimité dans le temps et l’espace.
Imaginez: vous êtes un contributeur prolixe. 5 articles de Wikipedia-papier sont issus à 90% de vos contributions (celles d’autres auteurs sur les mêmes sujets étant mineures, vu la qualité de vos contributions). Parlons avec le vocabulaire utilisé dans la presse pour évaluer le prix à payer pour des signes imprimés: vos 5 articles « pèsent » environ 8 feuillets (articles encyclopédiques de longueur moyenne). Dans la presse, le prix brut payé à un auteur pour un feuillet varie dans une fourchette allant d’une vingtaine d’euros à plus d’une centaine d’euros. Avec le bas de la fourchette, c’est un peu plus d’une centaine d’euros pour vos 5 articles / 8 feuillets.
Que vous ne verrez jamais. Usuellement, dans Wikipedia-en ligne, le problème ne se pose pas: Wikipedia n’est pas un « centre de profit ». Mais là… C’est un peu différent, non ? Je n’ai pas pris le temps de lire les discussions entre Wikipédiens, mais je ne serais pas étonné que ça en chiffonne quelques-uns, comprenant tout à coup que leur production est valorisée en euros sonnants et trébuchants… par d’autres.
Etre auteur et ne rien toucher, n’est-ce pas le sort de tous les chercheurs qui publient dans les revues, qu’elles soient sur ScienceDirect, SpringerLink, CAIRN ou Revues.org ? Sachons qu’il y en a qui désormais paient pour être publié
🙂
Mais je suis d’accord que l’exploitation commerciale de Wikipedia ne correspond pas trop à l’esprit fondateur des wikis. Et comme François, je me demande « cui bono », à qui profite le crime (si crime il y a) ? Est-ce que la commercialisation par Bertelsmann facilite ou favorise la communication via Wikipedia ? C’est à la fondation de donner une réponse, non ?
Le Wikipedia Lexicon n’est pas une version imprimée de l’encyclopédie en ligne mais un dictionnaire fait à partir de Wikipedia. Et le lien vers Google Book Search est moins pour consulter le contenu que pour avoir une idée de ce à quoi ça peut ressembler, cette extraction (ce que la disproportion des volumes rend assez urgent). Pour la consultation, le contenu est téléchargeable (en principe: les fichiers sont pour le moins bruts!). Ce qui permet de rester dans les clous de la licence GNU-FDL.
Frederic Lardinois dit tout ça très bien dans RWW (vers quoi renvoie ton lien – et non vers Techcrunch), en particulier il fait un point sur l’intéressante question de la rémunération des auteurs posée ici par François Lassagne.
Je n’aimerais pas être un auteur de Wikipedia qui voit sa participation revendue par un éditeur. Direction Knol?
Bruno> c’est effectivement une bonne question. Ceci étant, si l’on se place du point de vue du Wikipédien, cette « revente possible de ma participation » fait partie du jeu et les termes du contrat sont clairs. Par ailleurs, il ne s’agit pas exactement de la situation ou des articles complets seraient imprimés et revendus. Comme le fait justement remarquer Michel Roland, c’est d’un « dictionnaire » issu de l’encyclopédie qu’il s’agit et non pas – comme je l’avais moi-même initialementi ndiqué dans mon billet – de « contenus » proprement dit.