Georges W. Bush est un misérable crétin. Nicolas Sarkozy veut être calife à la place du calife.
Les deux assertions précédentes ne reflètent en rien une opinion personnelle mais elle sont les deux exemples les plus célèbres du "Google Bombing", sport international de détournement d’indexation utilisant l’importance du nombre de liens pointant vers un site dans l’algorithmie de Google pour associer le nom d’un individu à une page peu flatteuse ou l’inverse ou pour simplement fausser les résultats du moteur (voir l’explication et les exemples plus circonstanciés de Wikipedia).
La réponse de Google à ce genre de détournement fut initialement de ne rien faire, au nom, précisément, de sa sacro-sainte non-intervention humaine sur le classement des résultats.
Deuxième temps, le moteur ne se contente plus de "prendre acte" de cette pratique mais il la légitime en indiquant que cette pratique est admise et même reconnue comme "normale". (voir mon opinion à ce sujet).
Troisième temps, Google se sert de l’affichage des liens sponsorisés pour s’acheter à lui-même le mot-clé "Google Bombing" et pointer vers la page susmentionnée légitimant cette pratique (Eh oui, "on n’est jamais seul quand on est schizophrène" :-).
Et puis, alors même que cette pratique a généré une dense littérature scientifique, alors même qu’elle a permis de lancer d’intéressants débats pour savoir s’il s’agissait là d’une expression
démocratique ("alternation") ou d’un détournement technologique
("altération"), alors même qu’elle me permettait à coup sûr de tirer d’une parfois bien compréhensible torpeur estudiantine la totalité d’un amphithéâtre soudainement introduit à de ludiques et insoupçonnées arcanes technologiques, et bien voilà que le Google bombing, c’est fini.
Matt Cutts, nous annonce donc avec une rhétorique toute Googlienne, que se voyant de plus en plus reprocher le fait que ces GoogleBombes "pourraient refléter les opinions de Google" (au moins ce serait une bonne nouvelle :-), hop hop hop, ils ont mis au point un changement dans l’algorithme qui hop hop hop toujours, nettoie tout simplement les sites victimes (rendant donc leur virginité à celui du misérabl de Georges W. Bush ou d’Iznogou de N. Sarkozy), et rien que ceux-là, tout en permettant aux sites qui parlent ou commentent le Google Bombing de continuer d’apparaître. N’étant ni informaticien, ni programmeur, je ne peux qu’échafauder quelques piètres hypothèses, et adhérer à l’analyse la plus complète de cette question, qui nous est une fois de plus délivrée par Danny Sullivan, pour qui :
- "Google can track when links first appear pointing to particular sites. It may
be that the new system looks to see if there’s a sudden spike of links all using
the same words, which might indicate a Google bomb going off. This would be
especially so in cases where it also determines are no "authority" sites really
ranking well for those words."
La soudaineté de l’apparition des liens, le fait qu’ils proviennent dans leur grande majorité de sites à faible pagerank, et l’uniformité sémantique des ancres hypertextuelles, le tout conjugué à la formidable réactivité de la puissance de calcul de Google doivent effectivement constituer des éléments importants dans la résolution de cette énigme algorithmique (avis aux programmateurs/informaticiens/geeks qui passent ici, les commentaires sont ouverts si vous avez de meilleures explications …).
Cette fin du GoogleBombing marque à mon sens l’entrée dans une ère de la régulation, phase inhérente à tout "système" parvenu à un certain seuil de maturité ainsi qu’à un important taux de pénétration dans l’opinion et/ou sur le marché ((mais n’est-ce pas la même chose 😉 ?)
Une ère de la régulation disais-je, puisque l’on observe la convergence de plusieurs phénomènes :
- le NoFollow de Wikipedia
- le NoFollow sur les commentaires des blogs
- la mort lente mais programmée des trackbacks (pourtant à mon sens l’une des plus grandes inventions depuis celle de l’hypertexte, ou plus exactement, l’aboutissement du vieux rêve Nelsonnien – Ted Nelson – de la transitivité des liens. Pour les courageux, voir le second chapitre de ma thèse)
- l’implosion du GoogleBombing
Quatre épiphénomènes qui n’ont d’"épi" que l’apparence puisqu’ils traduisent chacun à leur manière une seule et même logique de retour en force de la fonction éditoriale, fûsse-t-elle algorithmique.
Une sorte de "ré-éditorialisation" non pas simplement des fonctions mais de l’architecture hypertextuelle elle-même, ré-éditorialisation qui pourrait faire écho à la "re-documentarisation" si chère à Roger Pédauque.
Quand Wikipedia (= Jimmy Wales) décide de ne plus autoriser les moteurs à indexer les liens "sortants" de Wikipedia, il impose à la communauté de "ses" auteurs (les wikipédiens) une contrainte éditoriale consistant à ne pas ajouter de liens externes inutiles ou sans lien direct avec le sujet (contrainte qui bénéficie d’ailleurs, par effet retour, à Google en lui permettant également de nettoyer ses résultats)
Quand les trois principaux moteurs passent un accord avec les principales plateformes de création et d’hébergement de blogs pour imposer aux auteurs (de blogs) une contrainte technologique empêchant aux moteurs de suivre et d’indexer les liens déposer en commentaire, c’est là encore une contrainte éditoriale.
Quand ces mêmes plateformes de création et d’hébergement de blogs, toujours au nom de la lutte contre le spam, ferment ou rendent difficilement accessibles les possibilités de trackback, c’est une nouvelle fois le même processus qui est à l’oeuvre.
Quand, enfin, Google dynamite la pratique du GoogleBombing, c’est là encore d’un processus éditorial qu’il s’agit au sens premier du terme. La différence, c’est que, probablement pour la première fois à cette échelle, c’est un algorithme qui fait office d’éditeur (ce qui corrobore ma réflexion de l’autre jour à propos d’arbitrage algorithmique et d’arbitraire humain).
Autant de phénomènes qui progressivement, dessinent les contours d’une nouvelle écologie cognitive.
Oui mais maintenant, avec quoi je vais épater/réveiller mes étudiants :-(( ?
Ah ben oui, suis-je bête, heureusement qu’il y en a encore sur lesquels on peut compter 😉
(Sources : les billets de Danny Sullivan, le commentaire de Guilhem, et les points de vue d’Evelyne (Broudoux) et Jean-Michel (Salaun) sur la liste RTP-Doc)
Post-scriptum : dans la même veine mais sous un tout autre angle, voir le dernier billet de maître Eolas, en passe de franchir le court fossé qui mène d’auteur à éditeur, sur une plateforme technologique (le blog) dont la nature est précisément de "mixer" ces deux "fonctions" (auteur et éditeur)
Update … Update … : YouTube se met aussi au NoFollow …
Wikipedia et les blogs ne sont-ils pas dès l’origine, des formes éditoriales ? Dans ce cas, le NoFollow ne serait qu’une précision sur cette forme. Est-ce bien nouveau ?
Le cas du Boombing me semble assez différent. Je ne suis pas informaticien non plus mais quelquechose me dit que c’est plutôt au niveau de la requête utilisateur que la détection aurait lieu (?) ce qui permettrait (??) de ne rien changer aux algorithmes d’indexation. D’ailleurs, comment Google pourrait-il détecter le Bombing en indexant les contenus ?
Ce qui est intéressant dans les deux cas, c’est le rapport à la publicité. Google nettoie pour rendre impossible la pub détournée (Trackbacks, commentaires, liens externe de Wiki) ou la contre-publicité (Boombing).
En chassant toute possibilité de publicité ou contre-publicité clandestine, il ne fait qu’entretenir et borner son prés-carré 🙂
C’est une bonne chose mais bizarre qu’ils aient modifié l’algorithme si tard alors qu’ils pouvaient finalement le faire automatiquement. L’excuse de l’intervention humaine aurait-elle été bidon ?
Ce qui est peut-être plus grave (je m’alarme peut-être pour rien), c’est que Google a décidé de bouger quand on a commencé à associer les “bombes” à ses “pensées”. Alors que des critiques vis à vis de leur politique n’a rien changé.
Google schyzophrène ou emporté par son inertie et toute-puissance ?
Tom>Il y a effectivement beaucoup de billets qui mettent clairement en doute la modification de l’algorithme et posent la question d’une intervention humaine dissimulée. Moi-même …
Pierre> Ce qui est nouveau pour la forme effectivement éditoriale mais éditorialement totalement ouverte qu’est Wikipedia, c’est l’application et l’imposition “Top-Down” de contraintes éditoriales, de contraintes fermes et “fermées”. Le NoFollow n’étant d’ailleurs pas la première. Pour les blogs c’est un peu différent, puisque leur caractéristique est d’être contraigants, éditorialement parlant (aspect ante-chronologique, etc.)
Pour la détection par Google d’une tentative de Google bombing, il suffit de détecter l’apparition de nouveaux liens entrants en masse dont le texte cliquable n’est pas présent et dans la page de destination. Par exemple, le terme sarkozy n’apparait nulle part sur la page du site Iznogoud…
Olivier,
Pour Nicolas Sarkozy -> Iznogoud, je suis d’accord. Les pointeurs ont dû être très nombreux pour que ça marche puisque Nicolas + Sarkozy n’est pas une association rare.
Mais la plupart des Bombing sont construits autrement. Ce n’est pas le nombre de pointeurs qui importe mais plutôt l’association inhabituelle et relativement rare de deux mots.
Comme pour miserable + failure, ministre + blanchisseur ou député + liberticide n’ont pas besoin du nombre pour que *l’amorçage* du Bombing prenne. Au départ, il suffit de quelques occurrences associées à l’URL de la victime pour que ça marche dès les premières indexations par le moteur.
Ensuite, dans une deuxième phase, quand le Bombing est amorcé avec quelques liens à peine, il y a ce qu’on pourrait appeler la *déflagration* pour rester dans le même registre. La déflagration, c’est la propagation virable de l’amorçage. C’est APRÈS la déflagration que les liens entrants sont massifs… mais ils n’avaient pas besoin de l’être pour que ça fonctionne.
Donc je persiste à penser qu’en général, une détection statistique au niveau des algorithmes d’indexation serait très, très hasardeuse. Mais bon : ???
Le cas du Bombing Nicolas Sarkozy est très différent : c’est un bras de fer entre sa notoriété et tous les militants anti-Sarko (ça fait du monde 😉 Sur les autres moteurs, Iznogoud arrive entre la 4ème et la 6ème position. Là oui, c’est une lutte sur la quantité de liens. Mais c’est plutôt l’exception qui confirme la règle, les ‘têtes de Turcs’ aussi populaire que lui sont finalement assez rares 🙂
… dans ce cas particulier (NS), je ne vois pas comment Google s’y prend pour éviter le Bombing vers Iznogoud avec un pur algorithme. L’absence des mots cliquables dans la page cible ça me semble vraiement casse-cou (?) et présente un gros risque de dommages colatéraux. Mais ces dommages peuvent très bien passer inaperçus puisque les algorithmes ne sont pas publiés…
Reste l’intervention humaine inavouable.
Google pourra-t-il continuer encore longtemps à consolider sa valeur sans publier ses algorithmes, en partie au moins ?
L’exemple mentionné plus haut d'”Iznogoud” renvoyant vers le site de Nicolas Sarkozy est d’autant plus remarquable que, désormais et après nettoyage, apparaît en deuxième résultat “le site officiel consacré à René Goscinny et à son oeuvre : Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, Le Petit Nicolas.”
“Le Petit Nicolas”… Presque plus drôle encore, finalement !! 😉
Salut, merci pour cette analyse, je me permets de vous soumettre mon commentaire sur cette décision de Google 😉
http://palpitt.free.fr/index.php?2007/02/01/202-le-google-bombing-est-mort-le-link-bombing-vit-encore
(je n’arrive pas à faire un trackback)
Palpitt> merci pour le lien vers votre blog que je découvre avec intérêt.
Pour les trackbacks, ils sont activés, mais typepad “oblige” à une validation, et je n’ai pas été alerté du votre 🙁
Votre mémoire sur l’histoire du GoogleBombing m’intéresse beaucoup. Envisagez vous de le déposer sur le site memsic (http://memsic.ccsd.cnrs.fr/) ou sinon, pourrais-je en avoir une copie ?
merci d’avance.
c’est la compatibilité Dotclear > typepad qui n’est décidemment pas au top ^^
en fait ma directrice de mémoire m’avaient conseillé d’en publier un résumé directement sur le site ArchivesSIC (ce que je comptais faire bientôt), je ne savais même pas que l’on pouvait y déposer un mémoire entier (ah la communication !), je pense donc répondre à vos 2 options 😉
De qui ‘trou du cul’ est-il le nom ? Eloge d’un bombardement sémantique.
Prologue. Mettons les différents cas de figure suivants : Si le chef de l’état t’insulte : le chef de l’état ne risque rien. Je suis le chef de l’état. Si tu écris sur une pancarte, dans une manifestation, la même…