Knol fait quoi ?
Six mois après les effets d’annonce, Google lance enfin Knol,
son projet d’encyclopédie "marchande". A noter au travers des
différents billets s’étant fait écho de ce lancement : la possibilité
de piocher directement des illustrations dans l’archive des "cartoons"
du New Yorker (source), la possibilité d’utiliser différentes licences creative commons (cf copie d’écran ci-dessous), la possibilité "de choisir qui peut éditer vos articles (Ouvert, avec modération ou fermé)" (source),
la possibilité d’activer l’affichage de liens publicitaires (ou pas),
et le fait que tous les liens sortants seront en NoFollow (source), tirant ainsi les enseignements de ce qui arriva à Wikipedia.
Knol pourquoi ?
Globalement, les différents observateurs s’accordent sur deux points :
primo, à la date de lancement de
Knol, on compte essentiellement des
articles médicaux (ce qui est tout sauf un signal faible …), et deuxio, ce projet n’a pas grand chance de concurrencer Wikipedia (seul Christian semble y croire).
En revanche, il a de grandes chances de reformater le sens du projet
encyclopédique du XXIème siècle vers un alignement, une
superposition de deux écritures : l’écriture du "savoir" (écrire pour
comprendre) et l’écriture de la publicité (écrire pour être vu). Pour
le reste, j’ai déjà dit tout le mal que je pensais
de ce projet … <Mauvaise foi>Si vous ne me croyez pas, comparez deux entrées tout à
fait triviales de l’un et l’autre projet encyclopédique. Pour l’entrée
"Toilettes", Wikipedia nous entraîne de l’ancienne cité d’Harappa jusqu’aux derniers avatars défécatoires d’un post modernisme assumé quand Knol nous propose uniquement d’apprendre … à les déboucher
en affichant moult plombières publicités. C’est tout dire :-). </Mauvaise foi> Plus
sérieusement, l’approche qui semble mise en avant par Knol est une
approche "How To". Comment … "déboucher ses toilettes ?", "dépister
un cancer du sein ?", etc.
Bref, Knol ne me parait pour l’instant pas avoir grand chose à voir
avec Wikipedia. Il est par contre tout à fait adapté à l’écosystème
Google et devrait lui permettre rapidement de pouvoir "monétiser" une
grosse partie du traffic encyclopédique habituellement dirigé (à fonds
perdus puisque non publicisés) vers Wikipedia. Ce qui est bien
l’objectif premier du projet 🙂 (un second objectif étant probablement
de servir de base de connaissance à Google Health, mais j’y reviendrai
dans un prochain billet)
Knol procédural VS Wikipedia déclarative ?
Un positionnement qu’il est intéressant de replacer dans un (très
rapide) historique (subjectif) de la "tentation encyclopédique" sur le réseau. Ce
genre d’approche – et de tentation – est effectivement consubstantielle
au net depuis son origine.
- Elle émergea très tôt au travers des célèbres FAQs (Foires Aux Questions) : un
individu répond "es qualité" (webmaster, éditeur, auteur ou
"spécialiste") à sa communauté d’usage, sur des points très ciblés. L’autorité est ici constamment maintenue, affichée, lisible. Le principe est celui d’un ordonnancement, d’une rationalisation pensée, en l’occurence celle des questions les plus susceptibles d’être posées. - Passé l’ère des FAQs sur les sites webs, vînt ensuite l’ère des
projets "Bidule-Answers" (Yahoo!Answers et consorts) : le principe est
ici différent : n’importe qui peut répondre (parfois n’importe quoi) à n’importe qui et sur n’importe quel sujet. La dissolution de l’expertise est ici totale. Seule compte la temporalité (promptitude, instantanéité) de la réponse. Le principe est celui de l’agglutination
(les différentes réponses s’empilent les unes sous les autres) sans
autre discrimination que temporelle ou "élective" (il est possible de
voter pour telle ou telle réponse). - Le troisième temps est celui de Wikipedia. Un palimpseste planétaire de connaissances. Je vous renvoie à la rubrique idoine d’Affordance ou à ma dernière "synthèse" sur cet inépuisable sujet.
- Le quatrième temps sera celui de Knol, mais il n’enterrera pas pour
cela Wikipedia. Car Knol me semble concourir sur un autre terrain. Là
où la logique d’accumulation des connaissances dans Wikipedia est
clairement déclarative, celle de Knol (même s’il est encore un peu tôt
pour être affirmatif et s’il ne s’agit pour l’instant que de pistes d’analyses …) apparaît plutôt procédurale (question du
"comment faire…", "comment dépister …" …). Parallèlement à cette
macro-approche procédurale (qui n’empêche pas d’avoir des micro-knols
déclaratifs sur tel ou tel sujet, tel ou tel concept), l’autre
caractéristique de ce quatrième temps est celui de la mise en
concurrence des expertises par processus de labellisation de l’auteur
(Knol vous "reconnaît" comme expert en s’assurant de la levée de votre
anonymat, mais Knol ne vérifie en rien les titres et diplômes dont vous
vous parez). Labellisation fantôche donc pour Knol, contre babélisation fantasque pour Wikipedia. L’alibi qualitatif pour Knol, le vertige quantitatif pour Wikipedia. 2 mondes.
Conflits d’intérets en vue …
L’une des principales questions que Knol va poser dans un très proche avenir est celle du conflit d’intérêt suivant : la "mise en avant" du contenu de Knol au sein des résultats de recherche de Google (nonobstant une prudente mise en avant du NoFollow sur les liens sortants). Sur ce sujet, il faut lire d’urgence l’article de Jason Calacanis (pour qui Google est devenu un authentique fournisseur de contenu – voir aussi la synthèse qu’en fait Martin Lessard), ainsi que l’édito de Wired (ou pour les plus pressés, la synthèse en français de Jean-Marie Le Ray. De fait, il y a de mon point de vue longtemps que Google est devenu un fournisseur de contenus, notamment via ses innombrables rachats (Blogger, YouTube). De fait également, il est tout à fait évident que lesdits contenus des susmentionnés services bénéficient d’un référencement plus "aisé" que d’autres ne gravitant pas dans l’écosystème de services du moteur.
Mythologies.
Google en tant que mythologie contemporaine présente un nombre de plus en plus grand de similitudes avec le mythe de Cronos. Comme lui son histoire commence par une castration : celle de la bibliométrie de Garfield, "amputée" de son rattachement à un circuit de diffusion classique et contrôlé (modèle des revues et de l’évaluation par les pairs) au profit d’un chaos fécond (le web). Comme lui il dévore et ingère ses enfants (Youtube, Blogger, Picasa et tant d’autres furent des petites – ou moyennes – start-ups avant d’être happées par le monstre …). Comme lui, cette dévoration peut être lue comme le symptome d’une crainte : celle de voir l’un de ses enfants se retourner contre lui une fois atteint son âge adulte. Comme lui, il envoie l’essentiel de ses frères moteurs dans les profondeurs du Tartare, le laissant seul à son hégémonie (parts de marché et de traffic). La fin de l’histoire de Cronos est connue, celle de Google reste à écrire, mais (et j’arrête là avec les analogies mythologiques), il est clair – et le lancement de Knol ne fait que le confirmer – qu’il ne peut y avoir que trois issues à une telle appétence : soit le contrôle total, en amont et en aval, de l’accès à l’information et à la connaissance ; soit un final façon la grande Bouffe, c’est à dire l’effondrement de l’ogre sous le propre poids de son appétence ; soit la naissance d’un fils échappant à cette appétence qui à son tour, pourra tuer le père. Et dans cette dernière option (je reprends là mon analogie mythologique), je verrai bien Wikipedia en mère nourricière, telle Gaïa soustrayant un certain Zeus à l’appétit de son père, et du ventre de laquelle naîtront les initiatives sur le terreau desquelles une nouvelle mythologie s’écrira, une nouvelle génération de moteurs naîtra (songez à Trueknowledge ou encore Powerset, moteurs "sémantisés" travaillant avec Wikipedia comme base).
Knol encore …
Pour approfondir et/ou mesurer rapidement les principaux tenants et aboutissants du bidule : voir le billet très complet de Danny Sullivan et celui d’Astrid Girardeau dans Ecrans. A lire également les impressions de FredCavazza pour qui "Knol pourrait bien officialiser la création d’une nouvelle catégorie
d’outils de publication qui apportent une information différente des
blogs et wikis : un résumé ou plutôt une aggrégation / synthèse
réalisée par un auteur identifié." De mon point de vue ces outils existent déjà. La "nouveauté" ne me semble pas résider dans la capacité d’aggrégation et le rattachement à un auteur identifié, mais plutôt dans la cohabitation des deux écritures susmentionnées (écriture du savoir et de la publicité), cohabitation qui ne se fait plus en terrain "neutre" (comme dans certains blogs par exemple), mais au sein d’un projet "labellisé" encyclopédique, qui confère donc à cette cohabitation une légitimité a priori. Heureusement, tous les a priori sont discutables …
Ci-dessous une copie d’écran des fonctionnalités proposées lors de la création d’un Knol.
Et puis pour finir sur un clin d’oeil … le meilleur moyen de découvrir Knol, c’est encore de consulter l’article de Wikipedia qui lui est consacré 🙂 (et tout particulièrement les liens figurant en référence de l’article). Une chose est sûre en tout cas, les dîner de knols vont se multiplier 😉
Un dernier Knol mot.
Une dernière chose encore. Knol n’est pas un projet encyclopédique. Il ne vise pas la connaissance. Parce que la connaissance ne peut pas être la seule mise en concurrence des savoirs (le principe de Knol est que plusieurs "knols" concurrents peuvent être rédigés sur un même sujet, la prime allant au plus accédé, comme c’est l’usage dans l’écosystème Google). La connaissance est avant tout la définition et l’acceptation d’un concensus. « Le savoir affecte forcément une forme circulaire : c’est en effet la seule manière de se représenter un ensemble de données diverses tel que chacune renvoie à toutes les autres et ait perspective sur toutes les autres. (…) Ce savoir n’est pas simplement cumulatif (…) mais circulaire parce qu’il y a une circulation du savoir d’un point quelconque à tout autre point possible. Sans doute cette circulation se fait elle le long de certains axes perspectifs qui seront par habitude plus fréquentés que d’autres à l’intérieur du tout, mais dont la commodité ne tient jamais finalement qu’à un état momentané du savoir, à un équilibre météorologique métastable. » Varet G., Histoire et savoir – Introduction théorique à la bibliographie : les champs articulés de la bibliographie philosophique. Paris, Les Belles Lettres, 1956.
Le pot de Knol est d’abord et avant tout un pot de miel publicitaire. Et on n’attire pas les mouches nouveaux encyclopédistes avec du vinaigre.
Olivier,
Comment me convaincras-tu de ‘préférer’ oeuvrer pour (ou me tourner vers) knol plutôt que wikipedia ? Chronologiquement, Knol a déjà au moins 5 ou 6 ans de retard ! Wikipedia est tout sauf ‘parfait’, mais ses renseignements et infos me suffisent dans 95 % des cas depuis plus de 2 ans…
Alors, que faire ?
Avec mes amitiés 🙂
polo
Un dernier Knol mot.
(…) la prime allant au plus accédé,