Le jour où j’ai enfreint les règles de Twitter (et où mon compte a été suspendu)

Mon compte Twitter vient d'être "provisoirement" (ou pas) suspendu. La raison : les tweets signalant la parution de mon article sur le numéro payant mis en place par la ministre pour lutter contre la précarité étudiante (sic) et contenant donc les mots "Frédérique Vidal" et "immonde connasse". Cinq de ces tweets ont donc été signalés par différents comptes LREM (ou autres offusqués du vocable) et Twitter m'a donc proposé :

  • soit de les supprimer tous et de retrouver l'usage de mon compte après 12h de purgatoire (tout en continuant à pouvoir envoyer des DM et à accéder à mon compte mais sans pouvoir publier),
  • soit de faire appel (et ne plus du tout avoir accès à mon compte durant le temps de l'appel).

J'ai choisi d'en supprimer 3 et de faire appel pour les 2 suivants : 

Capture d’écran 2020-01-13 à 18.09.24Interpellé par un "journaliste freelance" au sujet de mon article et de mon apostrophe à la ministre (Emmanuel Schafroth – compte @emschaf dans la copie d'écran ci-dessus), celui-ci m'indiquait que ma "co-auteure Ludivine Bantigny" était également "une immonde connasse", sans d'ailleurs préciser pourquoi. Comme cela tombait à plat et que sur le moment je ne voyais plus qui était Ludivine Bantigny ni en quoi elle pouvait être ma co-auteure, je lui répondais donc via le second tweet ci-dessus (en fait il faisait référence à un – super – ouvrage collectif sur les Gilets Jaunes et dans lequel Ludivine Bantigny a aussi écrit un texte, indépendant du mien, donc nous n'avons jamais été co-auteurs, bref). 

Quant au premier Tweet pour lequel j'ai "fait appel", si on ne peut plus traiter quelqu'un de "saloperie de chevalier Sith" sur les internets, on se prépare des lendemains difficiles. 

Haddock-insulte

Nous verrons. En l'état, et connaissant un peu les rouages de réactivité dans le modération de Twitter, je réactiverai temporairement (enfin j'espère) mon premier compte Twitter et vous pourrez donc m'écouter gazouiller sur @Affordanceinfo si mon compte reste suspendu plus de 12h. 

Pour être tout à fait clair, je me réjouis (si, si) que, même s'il s'agit d'un signalement organisé par des militants LREM, Twitter fasse, pour une fois, preuve d'une relative réactivité car, en effet, traiter Frédérique Vidal (ou quelqu'un d'autre) "d'immonde connasse" contrevient aux CGU de la plateforme et accessoirement aux règles de la bienséance. Mais cette modération n'en est que plus révélatrice de l'incurie de la même plateforme pour modérer les comptes et propos racistes, anti-sémites, sexistes, homophobes, etc.

Cette histoire (me) rappelle également à quel point, comme je m'efforce de l'enseigner à mes étudiants, il est vital de préserver la promesse initiale du web, "un Homme, une page, une adresse", et que cette page et cette adresse soit indépendante de tout type de "jardin fermé". Même si j'aurais mauvaise grâce à nier l'impact en termes de viralité desdits jardins fermés, puisque sans eux jamais mon article sur la politique indigne de Vidal Frédérique n'aurait été vu plus de 20 000 fois en moins de 24 heures.

Cette page, c'est celle que vous êtes en train de lire, cette adresse c'est "www.Affordance.info", et cet homme, ben c'est moi. 

Je mesure aussi à quel point, même en étant conscient des usages, la dépendance en termes de visibilité à ces plateformes est grande. Presque plus personne n'utilisant les fils RSS pour se tenir au courant de ce qui se dit sur les internets, je suis comme les autres "réduit" à négocier en permanence des occurences de visibilité sur les plateformes sociales. Ainsi il y a de fortes chances que très peu de gens lisent cet article puisque je ne vais pas pouvoir "l'annoncer" sur Twitter et que Twitter est, dans mon biotope personnel de publication, l'un de mes premiers "referrals", une de mes premières sources de "trafic". 

Bref, comme me le faisait remarquer une amie avec qui je partageais cette mésaventure : "il ne te reste plus qu'à montrer tes tétons sur Facebook" (et à changer de sexe avant que de le faire étant entendu que seuls les tétons féminins sont assimilés par Facebook à de la pornographie). 

Addendum : j'en profite aussi pour expliquer de nouveau pourquoi je suis (parfois) un adepte de la grossièreté. J'ai en effet, de manière non-exclusive en presque 15 ans de blog, non seulement traité Frédérique Vidal d'immonde connasse mais aussi Gérard Collomb de métonymie programmatique ou bien encore prié l'institut Montaigne d'avoir la courtoisie de retourner sucer des bites en enfer. Ce qui, j'en conviens, est un registre de langue inhabituel pour un "universitaire". 

Mais je sais aussi faire preuve de modération 🙂 Par exemple lorsqu'en d'autres temps je ne traitais Luc Châtel que de "sinistre de l'éducation nationale" alors qu'il méritait bien d'autres titres et des plus saignants. Ou que Christophe Barbier s'en tirait plutôt bien en Ikéa de la pensée. Ou que j'allais même jusqu'à qualifier Nicolas Sarkozy de type formidable, même si usuellement je le préférais en trou du cul

Ma plus grande passion restant le doux plaisir de qualifier "l'éditeur" Elsevier pour ce qu'il est : une formidable escroquerie en bande organisée

J'ai en fait un rapport double à la grossièreté. Mon psychanalyste vous expliquerait que mon premier rapport marquant à la littérature fut le passage du jeune Gargantua inventant le torchecul chez Rabelais (j'avais une dizaine d'années). Et que la grossièreté est donc fondamentalement pour moi une jubilation car elle est une truculence. Et puis elle est ensuite (pour tous les cas évoqués ci-dessus) un argument et une "arme" de pure rhétorique. J'ai publié en 13 ans près de 3000 articles sur ce blog. Pas plus d'une petite (ou grosse) trentaine d'entre eux (1%) relèvent de la "grossièreté explicite" et encore je suis large.   

Je sais donc parfaitement à quel moment je sors du cadre de l'énonciation universitaire pour aller dans celui du pamphlet, de l'invective ou du "crime de langue". Et je le fais à dessein. Non pas par calcul (aucune de mes indignations n'est feinte) mais en ayant parfaitement intégré les logiques virales permettant de marquer l'adversaire en donnant de la visibilité à une parole (universitaire et citoyenne) que "le" politique et "les" médias s'échinent à nier et à étouffer dès lors qu'elle intervient en contrechamp critique pour lui préférer les docilités tranquilles de polémistes de plateau télé. 

Enfin, il faut le rappeler, cette grossièreté répond finalement et peut-être surtout à des formes de moins en moins feutrées, de plus en plus explicites de brutalité dans les actes et les discours politiques de celles et ceux qui sapent méthodiquement tous les fondamentaux des services publics ou travestissent la langue pour en faire un instrument de domination, comme je vous l'expliquais justement en clausule de l'article qualifiant Frédérique Vidal "d'immonde connasse".  

A vous maintenant, de partager cet article sur Twitter 😉

13 commentaires pour “Le jour où j’ai enfreint les règles de Twitter (et où mon compte a été suspendu)

  1. Conclure en faisant de la promotion pour un réseau socionumérique privé à qui tu as accepté de céder tes données quand tu publies dessus, et qui te sanctionne/censure pour ta liberté de ton (ou ton style de langage), est-ce cohérent avec la manière dont tu penses ces dispositifs ? Ce ne sont pas des dispositifs au service de l’expression publique de la pensée. Que tu en testes les limites, c’est de bonne guerre. Mais que tu t’en étonnes, n’est-ce pas de la naïveté ? Ceci étant, je n’ai rien contre la naïveté, au contraire, et l’étonnement est une valeur à préserver.

  2. Bonsoir Brigitte, le seul dispositif que je revendique et maîtrise pour l’expression publique de ma pensée est … ce blog 🙂 Je ne m’en étonne pas (je le constate et le documente) et je n’ai jamais prononcé le mot de censure car il ne s’agit pas de censure. J’ai injurié publiquement une ministre, il y a eu des signalements, la plateforme me propose de supprimer ces tweets, j’assume et j’explique pourquoi dans cet article. Quant à ma conclusion, elle n’a valeur que de boutade ou de 2nd degré 🙂

  3. Bonsoir, justement j’utilise un lecteur de flux (antenna pod) et là, je vous ai encore perdu (c’était déjà périodiquement le cas, au taff avec Outlook par ex) J’ai toujours eu du mal à récupérer votre flux, je dois être un peu tâche mais il me faut un lien http pour nourrir le zinzin. Merci, au plaisir d’être notifiée par mon lecteur,entre autres sources.

  4. @MB : il y a un lien http pour récupérer le flux RSS dans le menu en haut de chaque page du site (à côté des liens « accueil » « archives » et « contact ») : celui-ci ne marche t-il pas correctement ? Je n’ai personnellement jamais eu de soucis pour suivre le flux RSS (j’utilise Feedly et tinytynyRSS )

  5. @GEO merci de te soucier ! Ce lien me propose de télécharger Atom.XML mais pour m’abonner j’ ai besoin d’un lien ou d’un import opml. Celui qui fonctionnait jusqu’à présent était https://www.affordance.info/mon_weblog/atom.xml mais ça marche pu et « erreur de token », je suis pas assez hobbit… Et je ne veux pas utiliser Feedly et mon logiciel libre fait bien le job (ou pas justement), mais avec moins de confort parfois, la preuve… Merci quand même ^^

  6. c’est marrant en te lisant je me disait que tu es/semble beaucoup plus grossier sur twitter que sur Affordance.

  7. Toujours pas d’accord avec toi Olivier, mais je regrette et le signalement et la réaction de Twitter. On lit bien plus crasse sur les RS. Cordialement.

  8. Guy Debord a rappelé un principe moral immuable concernant la lettre d’injures : TOUTES les injures qu’elle contient doivent être méritées.

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