Préambule.
La roue à livres est un dispositif inventé par Agostino Ramelli en Italie à la fin du 16ème siècle. On la présente souvent comme une sorte de précurseur mécanique du lien hypertexte. Elle correspond en tout cas à un moment où dans l'histoire de la lecture et des connaissances, il était devenu nécessaire d'instrumentaliser, d'appareiller au moyens de dispositifs externes, nos capacités cognitives pour leur donner davantage d'amplitude, pour les laisser se déployer à plein. On pouvait lire davantage, de manière silencieuse, comparer et prendre des notes. Un livre, le "codex", n'y suffisait plus. En étaler quelques-uns sur une table non plus. Ramelli imagina donc cette roue.
A bien y réfléchir, elle est autant l'ancêtre du lien hypertexte que celui du scrolling infini (inventé par Aza Raskin dans les années 2006). Et c'est alors d'une autre roue dont il est question : non plus celle de l'organisation de contenus que l'on choisit et que le dispositif ne fait que … "disposer" devant nous de manière optimale, mais celle de la circulation infinie de contenus choisis par d'autres. Et comme le rappelait très justement Anil Dash :
"La différence entre des individus choisissant les contenus qu'ils lisent et des entreprises choisissant ces contenus à la place des individus affecte toutes les formes de médias."
Cela affecte toutes les formes de médias mais cela affecte aussi toutes les formes de cognitions individuelles, pour autant que celles-ci, bien sûr, se limitent ou se résument pour l'essentiel au défilement continu de ces contenus choisis par d'autres.
Dans nos roues qui sont davantage celles du hamster et du défilement infini que celles de Ramelli et des contenus choisis, nous n'apprenons plus que très difficilement et occasionnellement ; nous ne naviguons même plus puisqu'il n'est ni de départ ni d'arrivée, et que nous ne revenons que très exceptionnellement en arrière. Mais nous fonçons perpétuellement vers le prochain contenu proposé et étalé à disposition. En roue libre. Libre d'avancer bien plus que de choisir de le faire. Le retour en arrière, la capacité du retour en arrière, est pourtant l'un des fondamentaux de la comparaison et donc de l'esprit critique. Si l'on ne peut que se projeter vers l'avant on n'apprend rien puisque littéralement on ne "com – prend" rien, on ne prend rien avec rien d'autre pour établir une subséquence ; on se contente de la séquence suivante. De la même manière, le perpétuel retour en arrière, qui est l'autre modalité de consultation souvent dominante où nous revoyons ou renvoyons toujours du même, est tout autant l'ennemi de formes fines de compréhension. Comme le résumait joliment et récemment Luc De Brabandère dans Usbek & Rica :
"Le but premier des algorithmes n’est pas de faire réfléchir l’utilisateur, mais de le faire revenir. Et il reviendra plus s’il réfléchit moins."
Citation qu'il faudrait ainsi préciser pour qu'elle soit plus juste : "le but premier de celles et ceux qui développent des algorithmes n’est pas de faire réfléchir l’utilisateur, mais de le faire revenir. Et il reviendra plus s’il réfléchit moins."
Antivaccin, tu pers ton sang-froid.
Dans l'un de ces cycles de défilement infini, j'ai lu, sans me souvenir si c'était sur Twitter ou Facebook, quelqu'un qui écrivait qu'il serait aujourd'hui impossible de rendre obligatoire le vaccin contre la variole ou la tuberculose. Non pas à cause du discours antivax qui, dans l'histoire, a toujours été présent mais marginal, mais à cause de la mise en avant permanente du discours antivax par les plateformes de réseaux sociaux et certaines chaînes d'opinion s'y articulant parfaitement.
"Quand James Gillray et l' "anti-vaccine society" avaient peur que la vaccination contre la variole modifie notre ADN… (1802)"
(Piqué chez Jean-Noël Lafargue)
Concernant l'illustration ci-dessus, notez d'ailleurs déjà à l'époque l'angoisse de ce que l'on nomme aujourd'hui zoonose (franchissement de la barrière des espèces), une angoisse littéralement étymologique, la "vaccine" étant directement établie sur le latin "vaccinus, -a, -um" qui désigne la vache.
Dans la longue liste des biais cognitifs ou sociaux associés à l'épidémie, cette mise en avant des discours antivax par les médias sociaux (et les chaînes de télé) relève principalement – selon moi – de deux phénomènes. Le premier est l'effet de simple exposition. Et le second celui de la fenêtre d'Overton. L'expérience de la pandémie et des discours sur la pandémie est une sorte de mix des deux. Les médias sociaux, les chaînes d'information, et les chaînes d'opinions de droite nous exposent constamment à des discours antivax y compris pour les dénoncer, discours qui finissent par nous devenir familiers. Qui "entrent" littéralement dans le cercle familial et amical. Et ces discours ou les médias qui les portent, finissent par devenir "acceptables" dans le débat public. Etant acceptables, ils sont de plus en plus exposées, donc de plus en plus familiers, donc de plus en plus acceptables, et ainsi de suite. Là aussi plus que jamais il s'agit de casser les chaînes de contamination virales mais il devient extrêmement difficile de le faire une fois passé un certain seuil d'audience, de diffusion et donc d'acceptabilité tant sociale que personnelle.
J'ai aujourd'hui 49 ans. Et quand j'essaie de réfléchir à ce qu'était, dans les médias, la place de la parole et de l'expertise médicale dans ce qui constituait mon environnement informationnel d'adolescent (dans les années 80-90 donc), je ne me souviens que d'un nom : celui de Jean-Daniel Flaysakier. Médecin et chroniqueur, il intervenait dans le journal télévisé du service public à chaque fois qu'un sujet médical était abordé. La parole médicale médiatisée, faisant office de vulgarisation mais légitimée par l'expertise de son locuteur, était donc très rarement exposée et débattue dans l'espace public. Quelques secondes à la fin d'un JT, quand l'actualité s'y prêtait, et plutôt en général sur des sujets "légers" (le mal au dos, les régimes, l'exposition au soleil …).
La première fois que la médecine devint un sujet média omniprésent et convoquant une diversité de points de vue et d'expertises ce fut, justement, à la fin des années 1980 et au début des années 1990 pendant la première pandémie moderne et ce que l'on appela "les années SIDA" (1983-1995). Pour mémoire, en 1995, moins de 100 000 personnes en France sont connectées "à internet", lequel internet est encore sous le règne de l'annuaire de recherche Yahoo.
A l'abri d'internet donc, et dans un environnement médiatique réduit à la sainte-trinité de la presse, radio et télévision (6 chaînes "seulement" en 1995), l'expertise médicale va devenir médiatique et avec elle son lot de controverses, des figures ambivalentes, de postures, de témoignages antagonistes, d'approximations et de contre-vérités scientifiques.
"Tout se passe comme si le sida tendait à redevenir un sujet journalistique comme un autre, c'est-à-dire un sujet qui n'implique pas un mode de traitement à part, ni un sérieux particulier, ni même une responsabilité plus grande des journalistes vis-à-vis des informations qu'ils publient. Au nom de la "liberté de l'information", toutes les opinions, ou presque, sont recevables, et tout peut donc être dit et publié, sous la seule réserve d'un "droit de réponse" ou d'un rectificatif, généralement discret, et cela au grand regret d'un certain nombre de médecins spécialistes de la maladie, de chercheurs qui déplorent le climat ainsi créé autour du sida et de journalistes médicaux qui voient parfois la "couverture" de l'épidémie, ou du moins la question de la contamination par le sang, leur échapper au profit de journalistes politiques, de commentateurs, voire de reporters sans aucune compétence médicale ou scientifique." [Champagne, Marchetti, 1994]
Cette première pandémie du Sida est aussi celle où, en plus du cercle et du cirque médiatique qui lui font écho, viennent s'ajouter des postures, des positionnements et des scandales politiques. On se souviendra notamment du scandale du sang contanimé évoqué ci-dessus, ou des invectives de Jean-Marie Le Pen à l'égard de ceux qu'il nomme avec mépris les "sidaïques".
Pandémie médiatique et politique.
En se retournant aujourd'hui sur cette pandémie passée, on y trouve en germe l'essentiel des caractéristiques de ce qui fait l'environnement médiatique et les controverses de la pandémie actuelle :
- l'expertise médicale omniprésente mais souvent contradictoire ou en tout cas non univoque, et donc souvent contestée,
- le décrochage entre l'expertise ancrée dans une pratique médicale et l'avis, l'opinion, le point de vue (d'éditorialistes, d'animateurs, etc.)
- le parole politique publique outrancière et vindicative,
- des "figures" médicales médiatiquement construites (l'incontournable Gilles Pialoux signait déjà à l'époque des chroniques médico-sociales dans le journal Libération sous le pseudo de Gilles Pial !),
- des débats sociétaux sur des modes de contamination en permanence sujets à d'innombrables bobards (on dirait aujourd'hui "fake news"),
- des débats autour de la gratuité ou du prix des préservatifs comme autour des masques ou des tests aujourd'hui,
- etc.
Tout y était. Sauf internet et les médias sociaux. Et les chaînes d'information continue. Mais même sans cela, les fractures apparaissaient définitives. Comme si alors que Doctissimo, Facebook ou Twitter n'existaient pas davantage que Cnews, comme s'il fallait créer et entretenir – le plus souvent artificiellement – les conditions nécessaires d'une hystérie sociale autour des traitements possibles, autour de la recherche d'un vaccin, autour du sort fait aux victimes et aux malades, autour d'une société qui déjà avait tant de mal à penser autrement que dans des termes où l'enfermement de quelques-uns conditionnerait la liberté de tous les autres. Et déjà aussi la place "des jeunes". De cette jeunesse enfermée au temps du Corona(virus) et tellement entravée et empêchée au temps du Sida.
Y compris dans le champ scientifique, cette première pandémie et ces années SIDA marquèrent une fracture qui révèlera moins des différents scientifiques sincères que des relations de pouvoir et de mandarinat au sein des institutions scientifiques :
"A partir de 1989, tout paraît basculer. D'une part, la communauté scientifique est traversée par des luttes internes qui deviennent plus perceptibles des « mandarins » sont contestés, certains médecins non spécialistes occupent la scène médiatique sous le regard désapprobateur des chercheurs." [Champagne, Marchetti, 1994]
Derrière la pandémie de Sida comme derrière celle du Corona, ce sont les fractures d'une société qui se révèlent comme autant d'invariants à 40 ans d'intervalle :
"Devant l’impuissance de la médecine, face aux lenteurs des pouvoirs publics à prendre la mesure de cette épidémie, les malades du sida, les patients, vont peu à peu jouer un rôle essentiel. La chose est facilitée par l’éclatement du corps médical en tant que tel, parce qu’il n’a pas de réponse satisfaisante et que, à l’inverse, de nombreuses erreurs d’analyse et d’appréciation sont même commises par des spécialistes renommés, dont les jugements ont été utilisés au cours des procès du sang contaminé. Une infime minorité de médecins et de chercheurs ramera longtemps à contre-courant. (…)
L’épidémie de sida va se révéler comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de la société. Pointant, par exemple, l’indigence de la santé publique en France, mais aussi la sclérose du couple patient-médecin, voire le fonctionnement archaïque des institutions de santé." [Favereau, 2005]
Et, pourrait-on ajouter aujourd'hui, l'hyper-polarisation de la sphère des médias sociaux (le terme "médias sociaux" désignant ici l'écosystème médiatique dans son ensemble – radio, presse, télé, web – tant celui-ci est traversé de manière structurelle par les effets de polarisation de l'attention que l'on a pris la mauvaise habitude d'attribuer exclusivement et de manière causale aux seuls "réseaux sociaux").
La hiérarchie des médias est également bousculée. Et avec elle la hiérarchie de l'information. Et donc de la socialisation. Car l'information est ce qui tient le corps social ensemble.
"En second lieu, et sans doute plus fondamentalement encore, les années 80 sont marquées par une restructuration profonde du champ médiatique du fait du poids grandissant de la "presse magazine" et, surtout, de la télévision dans la production de l'information dominante. Au milieu des années 80 est lancé avec succès L'Événement du Jeudi, un nouvel hebdomadaire d'information dont les couvertures, souvent provocantes ou excessives, sont (bien) faites pour attirer des lecteurs et pour imposer un ton nouveau, plus agressif, à l'ensemble de la presse politique hebdomadaire (Le Point, L'Express, Le Nouvel Observateur). Mais le changement sans doute le plus important réside dans le poids croissant de l'information télévisée qui résulte notamment de la multiplication des chaînes et de l'indépendance plus grande des rédactions par rapport au pouvoir politique. A partir de 1986, avec la privatisation de TF1, on assiste à une intensification de la concurrence entre les chaînes, notamment dans le secteur, stratégique pour "l'image des chaînes", des journaux du soir et des magazines d'information. Plus autonome politiquement mais aussi plus dépendante des attentes réelles ou supposées du grand public qui devient, par le biais de l'audience et de la publicité, une source essentielle de revenus, l'information télévisée, qui se veut plus "professionnelle" concurrence désormais directement la presse écrite. Jusque dans les années 70, les journalistes de la presse écrite ignoraient délibérément l'information télévisée, qu'ils jugeaient trop "officielle" et liée au pouvoir pour être prise au sérieux. Ils méprisaient cette information fabriquée par des "militants politiques" plus que par de vrais "professionnels de l'information". Durant les années 80, les rapports de la télévision avec la presse écrite se modifient fortement au détriment de cette dernière." [Champagne, Marchetti, 1994]
Pour résumer un peu abruptement, les années Sida ont été celles de la bascule du champ médiatique de la presse écrite (et son modèle reposant sur "l'autorité") à celui de la télévision (et son modèle reposant sur la publicité et la notoriété). Les années Corona sont celles de la bascule du champ médiatique de la télévision à celui des médias sociaux (et leur modèle reposant sur la viralité et la polarisation). Ceci ne tuera pas cela et les 2 puis les 3 écosystèmes (presse, télé, web) continueront bien sûr de cohabiter mais chacun, au moins dans un premier temps, prendra de son nouveau média "dominant" les traits les plus saillants pour garantir sa propre survie.
Et puis surtout, au temps du Sida comme à celui du Corona, les médias deviennent à la fois la source et la cible de l'expression des politiques de santé publique.
"Cette entrée de la maladie dans l'espace public se manifeste aussi travers les relations que les instances politiques entretiennent par l'intermédiaire de la presse avec une opinion publique informée jour après jour de son évolution. L'importance des mesures prises peut alors être rapportée à leur retentissement médiatique autant qu'à leurs enjeux effectifs. La presse n'est plus un relais, elle est devenue la cible des interventions des différents acteurs progressivement mobilisés par la maladie. Déclarations, prises de position, actions diverses ont toujours pour fin au moins partielle le retentissement médiatique auquel elles donnent lieu." [Herzlich, Pierret, 1988]
Les similitudes "médiatiques" entre les deux épidémies, celle du Sida et celle du Corona, sont multiples et tout à fait troublantes a posteriori. En plus des points déjà soulignés, on notera par exemple que si l'épidémie de Coronavirus eut son moment chloroquine comme médicament miracle, l'épidémie de Sida eut aussi son moment où la ciclosporine fut présentée comme le traitement et l'espoir tant recherché.
Mais ce qui est peut-être le plus frappant, c'est l'arrivée de la notion de "porteur sain" à un moment de l'épidémie où celle-ci est désormais connue, documentée, toujours très active mais où l'on commençait aussi à accepter qu'elle concerne en majorité certaines catégories d'individus et où, en population générale, le risque d'être contaminé était supposément beaucoup plus faible. Arrive alors dans l'écheveau discursif et médiatique, cette notion de "porteur sain" qui fait rétrospectivement écho à celle de "cas contact" dans l'épidémie de Coronavirus. A ce moment là, la question de savoir "qui" peut non seulement être touché et malade mais également être transmetteur de l'agent infectieux devient centrale et va fracturer très violemment la société, jusqu'à s'étendre, encore une fois comme aujourd'hui, à la question des écoles et des enfants :
L'information : virus ou vaccin ?
Les problèmes de Facebook au regard du droit à l'information sont connus. Le premier est celui qui oppose Free Speech (liberté d'expression) et Free Reach (capacité d'atteindre des millions de personnes). Le second est celui du paradoxe de la tolérance de Popper : pour maintenir un niveau d'information ou de discussion "raisonnable" (qui peut inclure des arguments ou des postures déraisonnables), cela suppose d'être intolérant avec les discours et les personnes ouvertement intolérantes (racistes, homophobes, etc.). Mais le paradoxe de la tolérance contrevient à la première règle de la conception américaine de la liberté d'expression (Free Speech). D'où le faux équilibre permanent entre le risque, côté business, d'être en permanence rappelé au fondamental du "ce que vous tolérez est ce que vous êtes vraiment", et celui, côté éthique, de disposer d'un cadre clair, non-ambigu et non uniquement circonstanciel de ce qui peut être accepté dans la plateforme à l'échelle individuelle (Free Speech) comme à l'échelle collective (Free Reach). A ce titre, la pandémie de coronavirus, notamment au travers de la question des vaccins, n'a jamais cessé d'offrir un passionnant terrain d'observation, de recherche, mais aussi d'affrontements.
Elles tuent des gens.
Le 16 Juillet, Joe Biden se lançait dans une attaque frontale contre Facebook en particulier en expliquant qu'en laissant prospérer des discours anti vaccinaux, ces plateformes "tuaient des gens" ("They're killing people"). Ce à quoi Facebook répondait dès le lendemain par la plume de son VP à l'intégrité (sic) en indiquant que tout au contraire ils sauvaient des vies. Quelques jours plus tard, Joe Biden tempèrera son propos en précisant que ce n'était pas Facebook qui tuait des gens mais les fausses informations diffusées par des utilisateurs de la plateforme.
Le fait est que la même armée, que la même force, peut à la fois tuer des gens et en sauver d'autres. Mais le débat n'est ici pas seulement rhétorique. Ni même quantitatif. Oui, bien sûr que Facebook retire un grand nombre de publications explicitement antivax lorsqu'elles s'appuient sur la propagation de rumeurs déjà analysées (fact-checkées). Et oui, bien sûr que Facebook déploie des stratégies de lutte contre la désinformation. Mais oui, bien sûr que Facebook laisse en ligne d'autres publications antivax et leur permet d'atteindre des communautés et des audiences colossales. Une seule goutte de sang suffit à colorer plusieurs litres d'eau en rouge. Il en va de même pour les publications dont on parle ici. Chacun peut en faire l'expérience. S'il faut vous parler de la mienne, et sur Twitter, je ne suis abonné qu'à très très peu de personnes qui assument et revendiquent (et font circuler) un discours clairement antivax. Mais parce qu'elles sont bien plus actives que les autres, et parce que leurs tweets sont bien plus intéressants pour la plateforme en termes d'interactions et donc d'audience, ces 5 ou 6 personnes qui ne représentent qu'à peine 1% des gens auxquels je suis abonné réussissent à colorer à plus de 50% (à la louche) mon fil Twitter de contenus antivax.
12 hommes en colère connerie.
Une étude de Mars 2021 du Center For Countering Digital Hate, une ONG qui étudie et lutte contre la haine et la désinformation en ligne, titrée "The Disinformation Dozen : Why Platforms Must Act on Twelve Leading Online Anti-Vaxxers", venait rappeler qu'une douzaine de comptes était responsable, sur Facebook, de 73% des contenus antivax. Et que les communautés atteintes (Free Reach) par ces douze personnes rassemblaient 59 millions d'abonnés sur Facebook, Instagram et Twitter. Avec ce que l'on sait des chaînes de contamination virales de l'information en ligne, et au regard de la théorie des graphes mais aussi de celle de Granovetter sur les liens forts et les liens faibles, on mesure immédiatement le "poids" dans le graphe relationnel et informationnel de ces 12 "sommets" ainsi que la capacité des presque 60 millions de personnes directement touchées à propager à leur tour et dans leurs propres graphes relationnels et informationnels, les différents bobards et théories complotistes mises en avant par les 12 comptes initiaux. Et tout cela de manière en partie observable (ce que fait l'étude du Center For Countering Digital Hate) mais hélas aussi de plus en plus inobservable puisque des désinformations circulent de plus en plus amplement et densément dans le "Dark Social" des messageries instantanées des plateformes.
Qu'il s'agisse de celle des élections américaines, de celle des Gilets Jaunes, ou donc de celle du Covid et des différentes polémiques autour des vaccins, chaque crise dans son reflet sur les réseaux sociaux démontre de manière constante qu'un tout petit nombre d'individus déterminés suffit à orienter le débat public sur n'importe quelle voie, y compris à l'abri de toute forme de logique ou de rationalité. Une forme de "tyrannie des agissants" pour reprendre une expression de Dominique Cardon. Mais aussi, plus largement, un écho du vieux classique des études médiatiques et communicationnelles, celui de "l'agenda setting" où les médias finissent par parvenir à nous dire quoi penser simplement en nous rappelant et indiquant en permanence à quoi il faut penser (en plus des effets de simple exposition et de fenêtre d'Overton déjà évoquées plus haut).
Nombre d'autres études, dont la dernière en date de Juillet 2021 du Covid State Project (un organisme indépendant regroupant des chercheurs universitaires issus de champs allant de l'épidémiologie à l'analyse des réseaux et aux sciences politiques), "Report #57 : Social Media News Consumption and Covid-19 Vaccination Rates", rappellent qu'il serait dangereux de nier les effets de ces plateformes en termes de désinformation et leurs impacts en termes de santé publique :
"Nos données suggèrent que Facebook est une source majeure d'informations concernant le COVID-19, comparable à CNN ou Fox News. En outre, nous constatons que les personnes qui dépendent le plus de Facebook pour s'informer ont des taux de vaccination nettement inférieurs à ceux des personnes qui s'appuient sur d'autres sources. En fait, les consommateurs d'informations sur Facebook sont moins susceptibles d'être vaccinés que les personnes qui obtiennent leurs informations sur le COVID-19 auprès de Fox News, souvent sceptique à l'égard des vaccins."
Et plus loin en conclusion (je souligne) :
"Si nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que Facebook est en train de "nous tuer", comme l'a affirmé le président Biden, il est néanmoins clair que la plateforme offre un milieu informationnel qui est associé à une moindre confiance dans les institutions, à des taux de vaccination plus faibles et à une plus grande acceptation de la désinformation. Cela souligne l'importance de la recherche qui évalue ce que les gens voient sur les médias sociaux au fil du temps, et comment cela est lié à des changements ultérieurs dans les attitudes et les comportements."
Tout ceci étant posé, si 12 personnes, 12 comptes, peuvent être responsables de près de 75% des contenus antivax d'une plateforme revendiquant plus de deux milliards d'utilisateurs actifs (ou même en se limitant "uniquement" aux plus de 210 millions d'américains disposant d'un compte), et si ces 12 comptes et ces 75% de contenus antivax peuvent avoir des effets délétères dans les médias et dans la population et donc peser significativement dans les politiques de santé publique, et par-delà toute forme de considération autour de la liberté d'expression, alors c'est bien que le problème de cette plateforme est structurel, qu'il est architectural. C'est bien que cette plateforme dispose et se déploie sur une architecture technique toxique. Et que c'est cela, le premier problème à régler pour lutter contre la désinformation. Comme je me tue à vous le répéter depuis 15 ans sur ce blog et dans au moins deux excellents bouquins (L'appétit des géants et Le monde selon Zuckerberg chez C&F Editions 😉
Isolats et agrégats.
Mais comment qualifier ces individus aux profils variés ? Ils et elles sont entrepreneurs, médecins, neveu d'un ancien président des Etats-Unis, naturopathes, comiques troupiers en décrépitude avancée, universitaires, etc.
Les qualifier simplement "d'influenceurs" semble trop flou et trop confus également. Les qualifier de simples "désinformateurs" ne permet pas non plus de mesurer l'impact et la nature spécifique de leur capacité à créer et à fédérer des audiences. Et il paraît difficile de se contenter du mantra selon lequel grâce aux réseaux sociaux "chacun devient son propre média".
Ce sont des individus isolés mais qui finissent pas disposer d'un statut énonciatif et discursif de média et même de "mass-média". Je propose pour les qualifier l'acronyme I.H.M. Des Isolats Humains-Médias. Un isolat c'est "quelque chose qui n'appartient à aucun ensemble déterminé connu ou caractérisable". De fait, les gens dont nous parlons ici n'appartiennent en tant que tels à aucun ensemble caractérisable. Certes Didier Raoult est un scientifique, Jean-Marie Bigard un comique dépressif, Robert F. Kennedy Jr est un avocat, Joseph Marcola et Erin Elisabeth sont des entrepreneurs qui vendent des compléments alimentaires. Mais leur notoriété dans le sens d'une capacité à construire et à fédérer des communautés idéologiques fermées ne peut pas être résumée à l'ensemble sociologique connu et caractérisable auquel ils se rattachent initialement. Ce que je veux dire c'est que Didier Raoult aurait tout autant pu être un comique, Bigard aurait pu être un entrepreneur vendant des compléments alimentaires, Robert F. Kennedy Jr. être un scientifique, et Joseph Marcola et Erin Elisabeth être deux avocats : cela n'aurait changé en rien leur capacité à construire et à fédérer des communautés idéologiques fermées. De la même manière, la "notoriété" dont ils disposent aujourd'hui n'a rien à voir avec celle de leur cercle social initial : personne en France n'avait entendu parler de Didier Roult il y a un an et demi, et Robert F. Kennedy Jr aurait pu rester un avocat seulement connu du fait de son hérédité. Voilà pourquoi je propose de les qualifier "d'isolats". On remarquera d'ailleurs qu'un marqueur fort de ces isolats consiste à ne pas se prévaloir de leur propre expertise (sauf pour Didier Raoult qui est un cas à part puisque scientifique de formation) mais le plus souvent de celle d'autres qu'eux-mêmes. Un autre de leurs points communs est de s'extraire et de s'abstraire de leur déterminisme social initial pour n'y être plus qu'accessoirement rattachable : Bigard ne se soucie plus de faire rire, Raoult répète à l'envie que tout scientifique hors lui-même ou pensant contre lui-même est un abruti, Robert F. Kennedy Jr conspue les avocats qui sont tous corrompus sauf lui-même, et ainsi de suite. Ils se revendiquent comme "les seuls qui" (les seuls qui ont compris, les seuls qui ont vu ce document qui prouve que c'est un complot, les seuls etc.). Cette rhétorique première (par ailleurs classique dans les comportements complotistes ou plus généralement narcissisants) va constituer l'amorçage de la dynamique structurelle qui va permettre aux plateformes sociales d'étayer d'abord artificiellement la notoriété de ces individus, pour la vêtir ensuite des (faux) atours d'une "autorité".
Avant la pandémie de Covid, à l'époque du mouvement des Gilets Jaunes, on avait assisté à l'émergence d'autres isolats qui se nommaient alors Priscillia Ludosky, Ingrid Levavasseur, Eric Drouet, Jérôme Rodrigues ou Maxime Nicolle. Là encore l'émergence de ces 5 ou 6 profils dans une période de temps très courte avait suffi à créer une audience pérenne permettant de porter, à la fois sur le terrain mais aussi et surtout dans l'espace médiatique, tout autant les questions légitimes portées par les Gilets Jaunes et leurs sympathisants que les discours complotistes les plus caricaturaux et extrêmes. Exactement à l'image des 12 leaders antivax précédemment évoqués dans l'étude du Covid State Project.
Des isolats donc. Des isolats humains, forcément. Et des isolats média. Ou plus précisément des isolats "humain-média" car c'est ce couplage qui fait sens. L'humain dispose de sa capacité de liberté d'expression (Free Speech). Le média, le mass média, est quant à lui concerné par la question du Free Reach, de l'audience. Une audience particulière sur les réseaux sociaux puisqu'il s'agit principalement, comme l'expliquait danah boyd il y a déjà 15 ans, "d'audiences invisibles", l'essentiel des publics étant absents au moment de l'énonciation du message.
Ce que l'on comprend aujourd'hui de la dynamique informationnelle des réseaux sociaux est que ces audiences invisibles produisent structurellement des effets d'hyper visibilisation des messages les plus triviaux mais surtout de ceux disposant, dans l'heuristique mathématique des algorithmes, de la plus forte probabilité d'interaction. Pour le dire plus simplement, c'est parce que la majorité des audiences est absente au moment de la médiation qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre des processus d'actualisation permanents. Processus dont certains dépendent de nous (likes, partages, etc.) et d'autres des plateformes elles-même (structuration du fil d'actualité, et interfaçage via des instanciations diverses de la peur de manquer quelque chose – "Fear Of Missing Out" ou FOMO)
Et et en tant qu'isolats, ils finissent presque nécessairement par converger et par faire converger leurs communautés idéologiques fermées. Ils deviennent alors des agrégats. Et cette agrégation peut s'autonomiser et s'auto-alimenter. Elle n'a plus besoin d'eux ni même de leur parole. A la manière des dynamiques sectaires ou religieuses, la communauté suffit à faire vivre l'idéologie dont elle fut nourrie et à laquelle elle continue de se référer en permanence et de s'identifier en immanence. Les groupes pro-Raoult, pro-Bigard ou pro-nawak en général continuent toujours d'avoir une activité minimale ou à se mettre en sommeil quand l'effet médiatique principal est moins prégnant. Mais ils sont toujours prompts à se réveiller et cette mise en sommeil sur un réseau donné est aussi souvent l'occasion d'innerver d'autres réseaux (messageries instantanées notamment). Ce sont des cellules dormantes au sens presque littéralement métabolique du terme. Et ils percolent en permanence avec d'autres isolats ou agrégats idéologiques proches puisque c'est à la fois l'objectif et la dynamique structurelle de Facebook et des réseaux sociaux en général que de fabriquer la possibilité de ces rapprochements au sein des graphes et des architectures informationnelles qui sont leur coeur de métier.
Apostille.
On parle souvent, beaucoup, et la plupart du temps à raison, des nouvelles formes de féodalité que les grandes plateformes instituent dans les rapports sociaux et les organisations qui les instancient (voir notamment du côté de la CNIL en 2017 ou plus récemment dans cette tribune de Libé autour du techno-féodalisme).
Mais plus que de féodalité c'est de féralité qu'il faudrait aussi parler : ce retour à l'état sauvage de ce qui a déjà été domestiqué. Et qui peut concerner des animaux, des paysages, mais aussi probablement certaines formes de sociabilités et de politiques … L'envahissement du Capitole nous en a déjà fourni l'iconographie.
Cette féralité, pour être pleinement comprise, doit s'accompagner d'un travail sur l'agnotologie, cette discipline qui étudie les différents modes de production culturelle de l'ignorance et dont les médias sociaux et les chaînes d'opinion continue sont l'un des principaux affluents.
One More Thing
[Message personnel] A titre personnel j'ai hélas nombre de mes pairs qui sombrent dans un discours qui n'a plus rien de scientifique mais qui se présente (et se défend) comme un discours rationnel et même hyper-rationaliste. Ils citent en effet en permanence des études dont certaines sont tout à fait scientifiquement viables mais ils en extrapolent les résultats ou les postulats à des champs ou à des objets sans rapport ou sans tenir compte des échelles présentées, et ils n'ajoutent que très rarement à leurs bibliographies ou à leurs recherches les études et articles qui présentent des thèses opposées aux leurs.
Je vois, dans le sillage du Didier Raoult des sciences sociales, Laurent Muchielli, beaucoup de collègues (dont certains pour lesquels j'ai encore de l'estime) qui ne voient même plus le problème à partager des vidéos ou des tribunes publiées uniquement sur France Soir et qui lorsqu'on le leur fait remarquer, se drapent dans un complexe de persécution de cour d'école, il est vrai alimenté par les errances répétées du gouvernement.
Puisque je me désole des points de vue personnels exprimés par des collègues, l'honnêteté m'oblige à préciser rapidement le mien : je suis pour une obligation vaccinale (parce que cela relève d'une politique de santé publique) et contre le pass sanitaire (je vous en avais déjà parlé en le remettant en contexte dans un long article de Février 2021 : "Vaccinés, vos papiers !").
Mais. Mais tant qu'il n'y aura pas d'obligation vaccinale, alors oui le pass sanitaire reste la moins mauvaise des solutions même si, encore une fois, j'en vois clairement les limites, les entraves et les dangers pour les libertés publiques. Pourquoi la moins mauvaise des solutions ? Parce qu'elle incite à la vaccination (l'explosion des demandes au début de l'été l'a largement démontré), et parce que si la vaccination n'est pas massive nous ne reprendrons jamais pleinement une existence faite de ces micro-sociabilités qui nous tiennent tout simplement en vie. Et parce que je mesure, depuis maintenant déjà 2 années universitaires, le désastre absolu que cette crise a produit sur la jeunesse, tant sur le plan psychique que sur le plan matériel, désastre dont nous n'avons pas fini de mesurer l'étendue. Et qu'il est impératif que cela s'arrête. Et que cela s'arrête vite. [/Message personnel]
Eléments bibliographiques indicatifs.
Champagne Patrick, Marchetti Dominique. "L'information médicale sous contrainte." In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994. L’emprise du journalisme. pp. 40-62. DOI : https://doi.org/10.3406/arss.1994.3084 URL : www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1994_num_101_1_3084
Favereau Éric, "Le journalisme, de l'information médicale à l'information santé", Les Tribunes de la santé, 2005/4 (no 9), p. 21-26. DOI : 10.3917/seve.009.26. URL : https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2005-4-page-21.htm
Herzlich Claudine, Pierret Janine. "Une maladie dans l'espace public. Le SIDA dans six quotidiens français." In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 43ᵉ année, N. 5, 1988. pp. 1109-1134. DOI : https://doi.org/10.3406/ahess.1988.283546 URL : www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1988_num_43_5_283546
Salvadori Françoise et Vignaud Laurent-Henri, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. Editions Vendémiaire. Janvier 2019. 360p. (Collection Chroniques). ISBN : 978-2-36358-322-2
Olivier Ertzscheid > Vous êtes « pour la vaccination avec des vaccins génétiques en phase d’expérimentation clinique obligatoire », au nom du contexte d’urgence sanitaire toussa, toussa qui mérite qu’on s’assoie sur le principe de précaution, les risques inconnus et les libertés publiques… soit.
C’est amplement discutable, mais admettons.
En revanche vous êtes contre le passe sanitaire. Franchement contre hein, faut pas déconner non plus ! On se demande alors comment vous manifesteriez ce désaccord, sauf que le contexte d’urgence sanitaire toussa, toussa (voir plus haut) fait qu’il faut l’accepter.
Aaah ! comme les choses sont bien faites au fond ! Pas besoin de s’opposer à la présentation du Passe sanitaire alors, puisque c’est un impératif de santé publique on vous dit !
D’autant plus que, d’après vous, le désastre absolu n’est pas le renoncement aux libertés publiques ni le franchissement d’un premier pallier vers le contrôle social (étudiants inclus), non le désastre absolu c’est les dégâts « psychiques et matériels sur la jeunesse ».
C’est vrai ça, au fond les non vaccinés qui ne comprennent pas que, pour une fois, l’Etat et les multinationales pharmaceutiques se sont unies malgré leurs divergences notoires pour sauvegarder « nos micros-sociabilités » (c’est mignon) puis ces crédules sans diplôme, complotistes et d’extrême droite qui imaginant qu’il existe des alternatives aux vaccins génétiques (je le précise lourdement car c’est bien cette technique qui est remise en cause non pas par les « antivax » mais par les « non-vaccinés » qui préfèrent respecter le principe de précaution en attendant la fin des essais cliniques ou la commercialisation du vaccin classique à virus inactivé Valneva, ou en demandant qu’on étudie les traitements médicamenteux contre la Covid) … qu’ils perdent leurs boulots ces cons, ce ne sera que la conséquence d’un choix individuel non éclairé. Heu ? et s’il y a quelques étudiants parmi les non vaccinés on fait comment ?
Comme c’est la dernière fois que je poste un commentaire sur ce blog que j’ai apprécié lire depuis de le début (je crois) et ce pour quoi je vous en remercie, je vous adresse l’analyse la plus intelligente que j’ai eue à lire sur cette actualité dramatique que nous vivons.
Elle ne provient pas d’un universitaire au pédigrée conforme aux exigences de l’influenceur Thomas Durand (sophiste et chien de garde de la « Tronche en biais mais la pensée droite », mais d’un simple inconnu, citoyen éclairé. Peu importe son nom et où il a posté son commentaire, que voici :
7/08/2021 à 11:48 par Jean-Yves L.
J’aurais envie de modifier le titre de cet article en : « la lutte contre la tyrannie, urgence politique d’aujourd’hui ».
et peut-être d’ajouter en sous-titre « La gauche aux abonnés absents »
Certains commentateurs estiment que les “vraies” luttes concernent les retraites ou la Sécu et que le pass est une diversion. Je suis de l’avis opposé. La passivité complice actuelle de la gauche permet à la Macronie d’instaurer étape par étape (effet cliquet) une forme de dictature acceptée qui rendra impossible tout retour en arrière et toute mobilisation ultérieure sur les questions sociales. La mobilisation contre le pass sanitaire est donc une urgence absolue.
La situation est somme toute semblable à celle de la seconde guerre mondiale. L’urgence était alors de se libérer de l’occupation qui interdisait tout autre combat social. A l’époque, il y avait un PC capable d’analyser, de laisser de côté le « défaitisme révolutionnaire“ de 1918 et de dire ”à chacun son boche ». Aujourd’hui, les samedis de manifs se suivent et s’étioleront sans que la gauche n’ait levé le petit doigt, prenant une lourde responsabilité face à un futur bien sombre.
La pensée marxiste du 21ème siècle me semble bien prisonnière des bureaux de ses intellectuels, de ses grands livres et du sectarisme confortable de ses militants. Elle me paraît bien peu soucieuse d’analyser le réel d’aujourd’hui et d’y réagir.
La guerre mondiale d’aujourd’hui semble se livrer entre le camp mondialiste dirigé par les GAFAM et le camp multipolaire représenté par la Russie capitaliste et la Chine socialiste. Elle se décline en Europe en une confrontation entre européistes/mondialistes et souverainistes.
Les mondialistes sont hyper-puissants : ils règnent sur la finance, le numérique, les réseaux, la communication. Ils « possèdent » la plupart des organismes internationaux, les ONG, et, de plus en plus, la science et la santé. Ils dirigent, de fait, la plupart des pays occidentaux.
Ce qui décuple leur force, c’est qu’ils ont neutralisé l’essentiel de l’opposition au Capital en récupérant des pans entiers de la pensée de gauche (internationalisme, critique de la libre-entreprise, croisade contre « l’extrême-droite », haine des nations, tiers-mondisme, soutien aux migrations, anti-racisme, écologie, et tout l’éventail sociétal) et que contrairement au capitalisme traditionnel anti-état, ils prônent des états forts, gendarmes de leur gouvernement mondial.
Leur principale force de frappe, c’est le climat et le sanitaire qui sont les deux leviers privilégiés pour faire accepter leur programme d’austérité et de contrôle social. Leur autre atout, c’est de faire passer toute opposition au mondialisme pour d’extrême-droite.
De ce fait les gauches occidentales (beaucoup plus universitaires qu’ouvrières) se retrouvent bien plus en phase avec eux qu’avec les peuples et elles se contentent d’une opposition fictive.
En France, Macron est le représentant officiel des mondialistes. La gauche radicale le critique, certes, mais dès qu’il s’agit de covid ou de climat (donc les deux clés ouvrant la porte de l’austérité et de la dictature) elle lui apporte son soutien implicite voire explicite puisqu’elle pourfend toute voix s’écartant de la doxa officielle.
Dans notre pays, le combat mondial contre la bande à Gates et pour la liberté ne repose donc cet été (et pour la deuxième fois depuis 2018) que sur le courage de manifestants dépourvus d’organisations et de relais politiques.
Un jour peut-être justice sera rendu à Laurent Mucchielli, Didier Raoult et les manifestants anti capitalisme sanitaire associés à tort et avec un mépris de classe caractérisé, aux militants trumpistes ayant envahi le Capitole
https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/300921/crise-coronavirale-entretien-1-avec-le-toxicologue-jean-paul-bourdineaud
Un jour encore il faudra bien que les universitaires en activité admettent les conflits d’intérêts qu’induit le sous-financement de la recherche publique