Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'éducation nationale, en France, au 21ème siècle, est parti en guerre … contre un dictionnaire. Motif : celui-ci avait eu l'impudence de faire son travail lexicographique en ajoutant le mot "iel" dans ses pages (pour l'instant uniquement celles de sa version numérique).
"Et par le pouvoir d'un mot je recommence ma vie" écrivait pourtant Paul Eluard. Mais par le pouvoir de ce mot là, dans l'esprit dérangé du pathétique clown cisgenre qui prétend faire office de ministre de l'éducation nationale, c'est toute la civilisation judéo-chrétienne qui menace soudain de s'effondrer sous les coups de boutoir assassins de hordes de lexicographes fanatisés.
Jean-Michel Blanquer a donc déclaré :
"L’écriture inclusive n’est pas l’avenir de la langue française. Alors même que nos élèves sont justement en train de consolider leurs savoirs fondamentaux, ils ne sauraient avoir cela [sic] pour référence"
Vous noterez le mépris que l'on devine sans peine derrière le "cela" désignant le mot que le ministre bien sûr ne prononcera ni n'écrira jamais tant il prendrait en le faisant, qui sait, le risque d'être contaminé et de voir son sang se changer en eau de vie communiste radioactive.
En plus d'être ostensiblement très con – ou alors vraiment très bon acteur et très masochiste concernant la gestion de son image publique – le ministre Blanquer est aussi très lâche : il n'est pas monté au front le premier, mais s'est associé et a "soutenu" la "protestation" d'un autre immarcescible foutriquet qui n'a visiblement rien d'autre à faire à l'approche de l'hiver et de sa charge de "Rapporteur du budget du logement et de l’hébergement d’urgence", et qui préfère donc écrire à l'Académie Française pour dénoncer le Petit Robert (ah tous ces vils délateurs …) et s'indigner de cette "intrusion idéologique" qui va "souiller notre langue".
Sans déconner. Les mecs sont tellement perchés que si tu leur accroches Thomas Pesquet au cul, ils te le remettent en orbite stationnaire rien qu'en se levant de leur chaise.
Je vous mets la lettre de François Jolivet ici en entier non pour lui donner une importance qu'elle ne mérite pas, mais pour en souligner l'absolu pathétique et l'inextinguible ridicule.
"Campagne solitaire", "intrusion idéologique", "langue souillée", "destructrice des valeurs qui sont les nôtres". Le mec a pris une suite de 3 lettres pour une entrée des chars russes sur les Champs-Elysées.
La réponse du dictionnaire au Ministre et au député foutriquet est toute en sobriété, en intelligence, et en dignité factuelle, et elle met d'autant plus en lumière l'imbécilité pathétique et crasse de ces deux-là. Je cite :
"Est-il utile de rappeler que Le Robert, comme tous les dictionnaires, inclut de nombreux mots porteurs d’idées, présentes ou passées, de tendances sociétales, etc. ? Ce qui ne vaut évidemment pas assentiment ou adhésion au sens véhiculé par ces mots. Dit plus clairement : ce n’est pas le sujet pour nos lexicographes. La mission du Robert est d’observer l’évolution d’une langue française en mouvement, diverse, et d’en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c'est aider à mieux le comprendre."
Accuser un dictionnaire de verser dans l'idéologie au motif qu'il ajoute des mots c'est à peu près aussi con qu'attendre l'hiver pour accuser Météo France de connivence avec le lobby des remontées mécaniques et des pneus-neige.
Le truc c'est que là ce n'est pas un vieux troll de Twitter qui pond ces âneries au kilomètre, mais un ministre de la république qui accuse. C'est même un ministre de l'éducation. Nationale. En France. Le même ministre de l'éducation nationale qui t'explique l'importance des neurosciences pour ajuster les méthodes de lecture et que tu retrouves deux minutes plus tard à poil avec des peintures guerrières sur la tronche et en train de faire des invocations shamaniques pour combattre le wokisme.
Putain de cirque politique. Putain de pitre médiatique. Putain de naufrage intellectuel.
En même temps.
En même temps il y a une cohérence. Une logique. Qui remonte assez loin et qui est un marqueur, profond, de ce que l'on appelle la "Macronie", c'est à dire ce giscardisme post-moderne qui a germé comme un furoncle autour du charisme de kermesse d'un Francis Huster se prenant pour Gérard Philippe entouré d'une armée de guignols ternes et idolâtres.
Oubliez les hordes d'islamo-gauchistes tapies dans l'ombre des cerveaux malades de Frédérique Vidal et de Jean-Michel Blanquer. Oubliez aussi leur vision fantasmée d'une armée de Wokistes mangeurs d'enfants cisgenres.
Mais souvenez-vous.
Souvenez-vous qu'alors même que des visages éborgnés, défigurés de manifestants s'étalaient à la Une de tous les journaux, on trouvait en Macronie un ministre de l'intérieur qui ne reconnaissait rien d'autre que quelques "atteintes graves à la vision."
Souvenez-vous qu'alors même que des violences policières inédites dans leur nombre comme dans leur almpleur étaient depuis de longs mois documentées par le travail aussi vital que patient de David Dufresne, c'est le président de la république lui-même qui osait son désormais célèbre "Ne parlez pas de "répression" ou de "violences policières", ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit."
Souvenez-vous que le premier 1er ministre d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe et sa majorité, osaient baptiser du nom de "Bienvenue en France" un programme visant à multiplier par 16 les frais d'inscription à l'université pour les étudiants étrangers.
Souvenez-vous qu'après le passage à tabac de Michel Zeckler par des policiers en roue libre, le ministre de l'intérieur Darmanin parlait de policiers qui avaient "déconné".
Souvenez-vous du premier des ministres de l'intérieur de la macronie, Gérard Collomb qui parlait "d'éloignement" pour ne plus dire "expulsions".
Souvenez-vous de toute cela et de tant d'autres choses encore. Et regardez le vrai danger. Celui qui conduit le ministre de l'éducation nationale du pays des lumières (basse consommation) à s'attaquer à un dictionnaire.
Parce que c'est cela le vrai danger : à force de nier le réel dans la langue, à force de contraindre la langue à dénier le réel, on en vient naturellement à attaquer des dictionnaires et ceux qui les font. Et quand on s'attaque à un mot non pour ce qu'il dit mais simplement parce qu'il existe, quand on traite les lexicographes d'idéologues lorsqu'ils ne documentent rien d'autre que des usages de la langue, alors on porte une responsabilité immense et mortifère dans l'avènement ce qui est et fut toujours, toujours, le premier ressort de tous les totalitarismes : nier aux mots le droit d'exister pour ce qu'ils sont.
"La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force." Et concernant Jean-Michel Blanquer, c'est acquis, iel est con comme une bielle.
Bravo.
Petite coquille dans « avec [le] lobby des remontées mécaniques ».
C’est bientôt Noël. Je vais acheter et offrir ce nouveau dictionnaire Petit Robert. Merci! 🙂
Perfect.
Magnifique, bravo !
Je te tutoie, ce qui – pour moi – est une marque d’estime.
Donc, Olivier, cela fait des années que je te lis, que je te suis.
Des années que je m’accroche à ton blog comme à d’autres, trop peu nombreux. Il y a quelque chose de proprement incroyable, d’irréaliste, dans ce que nous vivons depuis quelques temps.
Une métamorphose douce, lente, insidieuse, du monde et de notre pays en particulier.
Merci d’être, de penser, d’écrire comme tu le fais