[Mise à jour du lendemain] Je viens de tomber, sur la page LinkedIn du groupe Abeille Assurances, sur la vidéo promotionnelle réalisée avec Frédérique Vidal. Ils lui ont fait faire un espèce Fast & Curious de chez Wish dans lequel elle donne sa recette de petits-pois carotte au chorizo, sincèrement je ne sais pas si je vais m’en remettre. [/Mise à jour]
La définition du malaise.
Voilà. Frédérique Vidal va présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et moi j’ai vomi. J’ai vomi métaphoriquement, j’ai vomi dans ma tête, j’ai rêvé de vomir sur la tête de Frédérique Vidal. J’espère bien sûr que c’est purement un titre honorifique qu’elle assurera à titre bénévole (rien n’est très clair là-dessus) parce que s’il devait en être autrement, en plus de lui vomir dessus, c’est d’un tombereau de matière fécales à déverser dont j’aimerais également pouvoir me fendre auprès de Frédérique Vidal.
Frédérique Vidal, je vous en ai souvent parlé sur ce blog, c’est l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche d’Emmanuel Macron. C’est elle qui était là pendant la période du Covid et qui s’est torchée autant qu’il est possible de le faire avec la misère et la détresse étudiante. Frédérique Vidal c’est elle qui après l’immolation par le feu d’un étudiant a mis en place un numéro d’appel payant. Frédérique Vidal c’est elle qui a fait passer la 1ère loi discriminatoire et raciste à l’encontre des étudiants étrangers hors de la communauté européenne en ouvrant la boîte de Pandore de l’augmentation des frais d’inscription les concernant, et qui joignant la pure saloperie au plus dégueulasse cynisme, a osé appeler ça « Bienvenue en France ». Si beaucoup de ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche, du gouvernement Macron comme de ceux précédents, ont contribué à désosser et à détruire l’université, et ce depuis la loi LRU dite « d’autonomie » voulue et portée par Valérie Pécresse et le gouvernement Fillon, Frédérique Vidal est sans conteste celle qui aura le plus abîmé ce bien commun que constitue la possibilité, pour chacun.e, d’accéder à l’université dans des conditions dignes. Frédérique Vidal fut aussi le poste avancé de l’extrême-droite en lançant la plus vaste campagne de désinformation dont l’université et ses enseignant.e.s furent victimes en accréditant la rumeur d’une gangrène islamo-gauchiste de l’université et en prétendant mobiliser les moyens de l’état et du CNRS au service de l’agenda de ce qui était déjà, une internationale réactionnaire à l’initiative non pas d’Elon Musk mais de Blanquer, de Macron, d’elle-même et de quelques autres.
Frédérique Vidal dans son biotope médiatique naturel : l’extrême-droite torcheculatoire.
Et aujourd’hui voilà qu’après avoir totalement disparue de la vie médiatique, et tenté diverses reconversions ratées pour s’immiscer au board d’écoles de commerce pourries dont elle avait elle-même augmenté les subventions lorsqu’elle était ministre (parce que vraiment non seulement elle née avant la honte mais dans l’insémination artificielle de son éprouvette politique il y avait un donneur de sperme à forte teneur en cynisme et des ovocytes chargés en crapulerie), Frédérique Vidal va donc présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante. Et à ce moment là de l’histoire de nos sociétés, alors tout devient possible : que Marc Dutroux soit en charge d’un ministère de la petite enfance, que Xavier Dupont de Ligonnès soit nommé à la tête du ministère de la famille, et qu’Emile Louis prenne la tête d’une fondation pour l’inclusion des personnes handicapées.
Donc j’ai appris que Frédérique Vidal allait présider une fondation de lutte contre la précarité étudiante et j’ai vomi. Et derrière cette nomination et ce pantouflage en mode recyclage d’ordure ministérielle, on trouve des assureurs, « Abeille Assurances » derrière qui se trouve l’assureur Aviva, bien connu pour ses pratiques délétères y compris contre ses propres assurés. On saluera donc cette forme de cohérence dans la mise en avant de l’ex-ministre qui aura le plus agi contre les intérêts des étudiantes et étudiants.
Si je vous parle de cette information c’est parce que de mon côté, avec deux collègues formidables et une tripotée d’étudiant.e.s formidablissimes, cela fait désormais pile 5 ans que nous organisons des distributions alimentaires sur le campus de l’université de Nantes à La Roche sur Yon. Je vous en ai souvent parlé aussi sur ce blog, et de comment on pouvait, à la fois, donner des cours et à manger.
Cinq ans que tous les jeudis ou presque on décharge des camions de la banque alimentaire ; cinq ans que tous les jeudis on range ça dans des désormais vrais rayonnages de supermarché qu’on a récupéré ; cinq ans qu’on se forme aux règles d’hygiène pour ne pas faire n’importe quoi avec les produits frais qu’on reçoit ; cinq ans qu’on jongle entre nos métiers et cette forme étrange de bénévolat qui se fait sur notre temps de travail, sur notre lieu de travail, et auprès des publics avec lesquels on ne devrait surtout pas avoir ce genre de « relation » ; cinq ans qu’on se démène pour embaucher, en complément du bénévolat étudiant, des contrats aidés qu’il faut aussi former et accompagner ; cinq ans qu’on galère à chercher des subventions que les structures publiques nous refusent ou nous minorent de plus en plus, parce qu’elles n’en ont pas les moyens ou qu’elles tentent de rivaliser avec Christelle Morançais en terme de saloperie programmatique.
Alors forcément quand je vois qu’un assureur peu scrupuleux (déjà condamné à une amende de 3,5 millions d’euros pour de lourds manquements et des carences significatives sur la lutte contre la fraude et le financement du terrorisme), confie à Frédérique Vidal la présidence d’une fondation de lutte contre la précarité étudiante, j’ai la même envie que le personnage de Woody Allen quand il écoute trop Wagner : sauf que là c’est pas la Pologne que j’ai envie d’envahir mais le peu de dignité qui reste à Frédérique Vidal et qui doit déjà se trouver dans les gogues des bureaux d’Abeille Assurance.
Aujourd’hui je l’ai déjà dit et écrit, la plupart des campus universitaires se sont transformés en succursales des Restos du coeur, on a même été obligé de publier le classement de Miamïam des universités françaises. Aujourd’hui cette lette contre la précarité alimentaire s’exerce principalement via deux modèles : soit des bricolages circonstanciels (c’est le cas de ce que nous mettons en oeuvre sur le campus de Nantes Université à La Roche sur Yon avec la Ma’Yonnaise épicerie, mais aussi de ce que fait la Surpre’Nantes épicerie sur le campus Nantais, mais d’autres modèles existent comme à Toulouse où c’est l’AGEMP qui met cela en place), soit des externalités qui captent l’essentiel des subventions publiques et privées sur le sujet, avec en première ligne des structures comme Linkee ou Cop1 et sur lesquelles les universités s’appuient de plus en plus en finissant par malheureusement se défausser de ces sujets tout comme l’état a fini de se défausser des questions de précarité alimentaire en les déportant sur des structures associatives comme les Restos du Coeur.
Pour vous donner une idée de la manière dont Frédérique Vidal a pris la mesure de la responsabilité qui lui avait été confiée dans le cadre de la présidence de cette fondation, à la question du journaliste d’Ici Maine qui lui demande « Aujourd’hui, selon vous, combien d’étudiants sont potentiellement concernés par ces difficultés à se nourrir encore aujourd’hui ?« , elle répond :
Frédérique Vidal : Je crois que les derniers sondages indiquent qu’il y a près de 40% des étudiants qui indiquent avoir sauté un repas par manque de moyens. Donc c’est encore quelque chose qui est relativement important et c’est pour ça qu’il faut aider.
Déjà vous noterez le « je crois« . C’est pas comme si c’était un peu supposé être son sujet et qu’elle était supposée être un peu plus au courant que Gilbert qui tient le PMU de l’angle de la rue de la gare et qui lui aussi « croit » que « oui bon quand même c’est pas facile d’être étudiant même s’il y a pas mal de feignasses aussi et que soit dit en passant, Charles Martel aurait pu finir le boulot. »
Presque la moitié des étudiantes et des étudiants qui sautent des repas par manque de moyens et la présidente de la fondation de lutte contre la précarité étudiante ne répond pas que c’est « scandaleux », que c’est « une honte pour un pays comme la France », que ce « devrait être une priorité nationale ». Bah non. Elle te regarde avec ses yeux de teckel mort et te dit avec sa voix tortue neurasthénique : « c’est relativement important. »
Moi je veux bien que l’injure ne soit pas une solution constructive mais franchement devant ce genre de déclaration c’est quand même compliqué, pour décrire le niveau de pertinence de Frédérique Vidal sur ces sujets, de mobiliser autre chose que le champ sémantique et visuel liant les potentielles vertus curatives d’une râpe à fromage et le traitement médical d’un furoncle à l’anus.
On apprend d’ailleurs en même temps que l’info sur cette fondation que c’est l’association Cop1 qui va d’entrée bénéficier de 147 000 euros pour ouvrir « des antennes » sur les sites universitaires de Tours et du Mans. Je n’ose même pas vous raconter tout ce que nous pourrions faire avec ne serait-ce que le quart ou la moitié d’une telle subvention. D’ailleurs nous avons bien entendu rempli le formulaire de cette nouvelle fondation de lutte contre la précarité étudiante pour nous aussi aller croquer un peu des sous d’Abeille Assurance avant qu’elle ne s’en serve pour les défiscaliser. Etant l’une des plus anciennes structures associatives reposant sur un modèle entièrement bénévole (et local et étudiant) qui organise des distributions alimentaires pour les étudiantes et les étudiants en France et avec la plus grande régularité, je n’ai absolument aucun doute sur le fait que non seulement la fondation Abeille Assurance va nous aider mais que nous figurerons parmi les tout premiers à bénéficier de sa munificence. Et vous tiendrai au courant.
Et puis tiens, rien à voir, ou plutôt si.
Rien à voir ou plutôt si parce que donner à manger aux étudiantes et aux étudiantes est une priorité mais pour traiter de la précarité étudiante il faut aussi accepter de considérer que les questions de travail subi (pour financer ses études dans des conditions ne permettant pas … d’étudier), que les questions de logement, et que les questions de santé mentale (pour lesquelles écouter ne suffira plus), fonctionnent comme un tout et s’interpénètrent en permanence pour définir le périmètre réel de ce que l’on nomme « précarité ».
Cette semaine donc Nicolas Demorand a eu ce formidable courage de parler de lui, de sa souffrance, de sa maladie mentale, de sa bipolarité. Une maladie qui se déclenche souvent à l’âge où l’on entre à l’université. Depuis que j’y enseigne, depuis donc 20 ans, nombre des étudiantes et étudiants que j’ai croisés en ont souffert sans que nous n’en sachions rien, et sans qu’ils ne le sachent eux-mêmes. Aujourd’hui, notamment depuis cette période du Covid, ces maladies mentales ont explosé parmi nos étudiantes et nos étudiants, en tout cas elles sont de plus en plus documentées et diagnostiquées. Et nous derrière comme enseignantes et enseignants nous faisons ce que nous pouvons, c’est à dire pas grand-chose d’autre que d’écouter, et que d’essayer d’aménager ce qui peut l’être, ou de renvoyer vers des services de médecine universitaire (lorsque les campus en disposent ce qui est loin d’être tout le temps le cas) totalement exsangues et débordés, soit vers des services d’urgences psychiatriques qui se sont tout autant. Des étudiantes et des étudiants bipolaires ou en présentant les symptômes, diagnostiqués ou en errance médicale, nous en voyons passer plusieurs chaque année dans nos cours et dans nos amphis. Parfois nous avons la pleine connaissance de leur situation, d’autres fois nous l’ignorons totalement et ne la découvrons qu’après coup, ou dans d’autres cercles de nos vies sociales et associatives.
Quand j’ai découvert le témoignage de Nicolas Demorand c’est donc instantanément à l’ensemble de ces étudiantes et étudiants que j’ai pensé, et à ce que ce témoignage médiatique, public, si universellement intime, allait peut-être pouvoir changer pour elles et eux ainsi que pour leurs familles et leurs accompagnants.
Notre ligne de crête pour tenir dans ce monde de fracas, la mienne en tout cas, c’est d’imaginer que pour une pathétique crapule comme l’est Frédérique Vidal il existe aussi des dizaines de Nicolas Demorand dont chaque témoignage resserre nos liens d’empathie et nos capacités d’attention aux autres bien davantage encore que les projets de défiscalisation d’une compagnie d’assurance portés et incarnés par l’opportuniste veulerie d’une personnalité politique plus que jamais étanche à toute autre quête ou cause que celle de la mise en scène de sa propre fatuité sur les ruines à peine froides de l’autel de sa propre indigence.